vendredi 29 mai 2009

Quand les Etats-Unis se prennent pour une banque d'investissement

Par Hélène Rey

Comme les particuliers, les pays ont des avoirs (les actifs financiers du reste du monde qu'ils possèdent) et des dettes (que le reste du monde détient). Lorsque les avoirs sont supérieurs aux dettes, le pays est créditeur du reste du monde. Analyser l'histoire de la position extérieure des Etats-Unis est fascinant.

Durant la Seconde Guerre mondiale, le Trésor américain fit réaliser une étude précise des avoirs des Etats-Unis à l'étranger et des possessions d'actifs financiers américains par les non-résidents. Ces données avaient une valeur stratégique. Il fallait localiser les richesses de l'Axe et protéger dans la mesure du possible les investissements américains. A l'époque, les actifs détenus par les étrangers étaient largement inférieurs et les investissements américains à l'étranger étaient du même ordre de grandeur, autour de 10 % du PIB des Etats-Unis. Le pays prêtait au reste du monde mais sa position extérieure (avoirs moins dettes) n'excédait pas 4 % du PIB. La grande période de globalisation financière n'avait pas commencé.
Pendant toute la période de Bretton Woods, les régulations sur les flux de capitaux sont maintenues et les avoirs et dettes externes des Etats-Unis ne s'accroissent que lentement. Leurs montants ne dépassent pas 15 % du PIB américain en 1973. Le Trésor focalise son attention sur la gestion de son stock d'or et essaie de contrer les attaques françaises, emmenées par Giscard d'Estaing et de Gaulle, contre l'hégémonie du dollar. Les pressions inflationnistes des années 1960 auront finalement raison de Bretton Woods. Avec la libéralisation des flux de capitaux dans les années 1980 et 1990, commence une croissance nettement plus rapide des achats d'actifs transfrontaliers. Fin 2007, au début de la crise, les actifs étrangers détenus par les Etats-Unis s'élevaient à 122 % de leur PIB en actifs étrangers et leur dette au reste du monde s'élevait à 135 %. Leur endettement net extérieur était donc de 13 % du PIB. Cet endettement net croissant résulte directement des déficits de la balance commerciale américaine accumulés depuis les années 1980.
Mais plus intéressant est l'accroissement exponentiel des positions brutes. Les Etats-Unis d'avant la crise ressemblent à une banque d'investissement qui se finance massivement en émettant de la dette et investit de façon colossale en actifs risques étrangers (stocks, investissements directs). Ce faisant, les Etats-Unis obtiennent un rendement élevé sur leurs actifs et se refinancent à bas pris sur le marché de la dette, profitant de l'engouement mondial pour les bons du Trésor américain. Ils encaissent ainsi la différence de rendements.
Mais, comme pour les banques, cette stratégie d'investissement était risquée. Lorsque les prix des actifs et de la dette deviennent volatils, la valeur du portefeuille externe des Etats-Unis devient encore plus volatile en raison de l'effet de levier. C'est exactement ce qui se passe dans la crise actuelle. Fin 2008, la valeur des actifs étrangers détenus par les Etats-Unis est tombée à 85 % du PIB, la dette externe à 122 % du PIB, si bien que la position extérieure nette des Etats-Unis s'est effondrée jusqu'à - 37 % du PIB !
Des mouvements d'une telle amplitude sont inédits pour les comptes externes des Etats-Unis. Ils sont dus à de très fortes fluctuations des valeurs : les actifs et la dette ont eu des taux de rendement très négatifs (environ - 30 % et - 10 % entre fin 2007 et fin 2008). Mais les rapatriements de capitaux ont aussi joué un rôle important. Les agents privés ont vendu les actifs qu'ils détenaient à l'étranger en proportion importante : le monde financier se rétracte derrière les frontières nationales en temps de crise. Ironiquement, le seul actif qui ait trouvé grâce aux yeux des investisseurs internationaux durant cette période est constitué par les bons émis par le gouvernement américain. Ils constituent maintenant 45 % de la dette totale externe des Etats-Unis et sont concentrés tout particulièrement dans les mains de la banque centrale de Chine. Malgré les déclarations agressives des autorités chinoises contre l'hégémonie du dollar, la Chine continue à être un gros acheteur de bons du Trésor. Ainsi, la crise a rendu de facto l'économie américaine encore plus dépendante des décisions d'investissement de la Chine. Comme durant la Seconde Guerre mondiale, comme dans les années 1960 où de Gaulle cherchait à miner la position du dollar, la dimension stratégique de la finance internationale refait surface.










Dr. Hélène REY
Professeur
London Business School
Photo: www.london.edu


//Source:
http://www.lesechos.fr/info/analyses/4868436-quand-les-etats-unis-se-prennent-pour-une-banque-d-investissement.htm
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//Autre lien:
http://www.lematinhaiti.com/Article.asp?ID=18743
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samedi 23 mai 2009

Haïti: La situation des fonds de Petrocaribe au 30 avril 2009

Source: Le Nouvelliste, 22 mai 2009


Pour la première fois, le Ministère de l'Economie et des Finances donne des détails sur les modalités de l'accord Petrocaribe et sur la gestion des fonds. Une première qui nous l'espérons sera suivi d'autres exercices de transparence.


A la faveur de l'Accord Petrocaribe démarré en octobre 2007, l'Etat haïtien bénéficie de facilité de paiement pour l'achat de gazoline, de diesel, de kérosène, de mazout et d'asphalte du Venezuela, principal fournisseur du marché local depuis 20 ans.


Ces produits pétroliers sont achetés au prix en vigueur sur le marché international. Les commandes sont placées à travers le Bureau de Monétisation, ci-devant Bureau de Gestion PL-480, pour le compte des compagnies pétrolières locales. Le Bureau de Monétisation joue, en fait, un rôle d'intermédiaire entre le fournisseur vénézuélien Petroles de Venezuela SA (PDVSA) et les compagnies pétrolières locales.


Des modalités de paiement


Les facilités s'appliquent seulement au paiement, lequel est conditionné par un délai allant de 30 à 90 jours maximum à partir de la date de chargement du bateau. Une facture du montant facturé est payée cash sans intérêts jusqu'aux 30 premiers jours et avec 2% d'intérêt annuels du 31e au 90e jour. La balance est payable sur 25 ans avec 1% d'intérêt annuels. A noter qu'une période de grâce de deux années est accordée avant le premier versement sur la dette.


Le montant cash à payer varie en fonction du prix du baril de pétrole sur le marché international. Ceci dit, quand le prix du baril augmente, la partie cash diminue et vice versa. Pour un baril en dessous de 40 dollars, le paiement cash couvre 75% de la livraison (voir note (1) ci-dessous). Le pourcentage non encore payé représente la dette à long terme de l'Etat haïtien reconnue par des Notes d'Engagement.


A chaque livraison de produits pétroliers au pays, PDVSA facture le Bureau de Monétisation qui en retour facture les compagnies pétrolières locales. Ces dernières doivent payer 100% des montants facturés dans un délai maximum de 30 jours à partir de la date de chargement des bateaux transportant les produits en Haïti. Ces paiements s'effectuent par transfert de fonds sur le compte de Petrocaribe logé à la BNC.


Le volume des achats et les flux du compte Petrocaribe


De l'entrée en vigueur de l'Accord Petrocaribe au 30 avril 2009, le montant total des importations de produits pétroliers du pays s'élève à 489 792 555, 15 dollars US. La portion cash à payer, incluant les intérêts de 2% annuels, est de 250 208 178, 85 dollars US et la dette à long terme, c'est-à-dire sur une période de 17 à 25 ans, se chiffrent à 239 584 376, 30 dollars.


Il a été versé à PDVSA 207 304 079,28 dollars. La balance de 42 904 099, 57 est à payer avant le 24 juillet 2009.


Il a été également décaissé 197 560 000 dollars pour le financement du Programme d'Urgence Post désastre adopté par le gouvernement suite au passage des cyclones sur le pays. Ainsi, au 30 avril 2009, les fonds de Petrocaribe accusent un solde de 58454130,63 dollars.

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(1)

Partie financée sur 25 ans avec 1% d'intérêts annuels incluant 2 années de grâce

  • Si le prix du baril est égal à 150 dollars et plus, Partie cash 30%-Partie financée 70%
  • Si le prix du baril se situe entre 100 et 150 dollars, Partie cash 40%-Partie financée 60%
  • Si le prix du baril se situe entre 80 et 100 dollars, Partie cash 50%-Partie financée 50%
  • Si le prix du baril se situe entre 50 et 80 dollars, Partie cash 60%-Partie financée 40%
  • Si le prix du baril se situe entre 40 et 50 dollars. Partie cash 70%-Partie financée 30%.

Partie financée sur 17 ans avec 2% d'intérêt annuels incluant 2 années de grâce

  • Si le prix du baril se situe entre 30 et 40 dollars, Partie cash 75%-Partie financée 25%
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http://www.lenouvelliste.com/article.php?PubID=1&ArticleID=70526&PubDate=2009-05-22
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Haïti (Économie) : III. Les composantes d'une stratégie

Source: Le Nouvelliste, 21 mai 2009
Par Marc L. Bazin
Président (MIDH)
marclouisbazin@hotmail.com


Introduction
Il était une fois un poète africain qui s'était égaré dans la brousse. Comme un paysan venait à déboucher d'une clairière, le poète lui demanda : « quelle direction prendre pour aller d'ici à la capitale ? » D'un geste de la main, le paysan indiqua la direction. Mais à peine avait-il fait le geste de la main que le paysan s'empressa d'ajouter : « seulement, si j'étais vous, je ne partirais pas d'ici », à quoi le poète répondit: « malheureusement, je ne peux partir que d'ici. » Nous sommes comme le poète africain. Pour dégager valablement des composantes fiables à notre stratégie de croissance et de réduction de la pauvreté, il nous faut partir de l'état de l'économie haïtienne telle qu'elle est en ce mois de mai 2009.
Ce texte est en deux temps:
A) Notre économie n'est pas en bon état et son incapacité à générer la croissance vient en grande partie de l'échec de la politique de stabilité macroéconomique actuelle, telle qu'elle a opéré jusqu'ici.
B) A la question : quelle croissance, comment et pour quoi faire ? nous répondrons que pour avoir la moindre chance de réduire substantiellement la pauvreté, toute politique de croissance doit nécessairement s'accompagner d'une politique systématique de réduction de la fracture sociale, laquelle ne se conçoit pas sans un consensus national.
A. Notre économie n'est pas en bon état
2008 a été l'année de la pire crise humanitaire depuis 100 ans. Les dommages consécutifs aux ouragans sont estimés à $ 900 millions (15 % du PIB) sans compter la réhabilitation du secteur agricole, la reconstruction de l'habitat et des infrastructures. Les besoins de financement au titre de la réparation des désastres ont été évalués à $ 763 millions. L'insécurité alimentaire atteint plus de 3 millions de personnes. A la fin mars 2009, le Programme Alimentaire Mondial n'en touchait que 650.000 et si les donateurs ont augmenté considérablement leur financement de programmes de nourriture et de cash contre travail, l'appel d'urgence lancé par les Nations Unies ne recueillait que $ 127,5 millions en promesses, mais sur ces $ 127,5 millions de promesses, des engagements fermes n'étaient effectifs que à hauteur de 45 %. Par suite de la crise économique mondiale, les transferts des Haïtiens de l'étranger ont baissé, fait d'autant plus préoccupant que la consommation privée dépend fortement des transferts de la diaspora.
Entre octobre 2007 et septembre 2008, le PIB réel par tête s'est effondré. La croissance pour 2008 est maintenant estimée à 1,3% contre 3,4 % en 2007. En septembre 2008, le taux d'inflation avoisinait les 20 % contre moins de 8 % en 2007. Le déficit budgétaire global (hors dons et financements extérieurs) était de l'ordre de 2% du PIB au lieu des 1,7% programmés. La base monétaire s'est envolée, atteignant 14 % contre les 7,9% programmés. Bien entendu, le gouvernement, soucieux avant tout de contenir l'inflation et de contrôler les fluctuations du taux de change, a vendu pour $ 52,2 millions de devises étrangères, a augmenté de 20% le volume de bons BRH à souscrire par les banques commerciales pour un total de G 1,5 milliard et a doublé les taux d'intérêts. Pendant ce temps, et comme il fallait s'y attendre, les crédits au secteur privé stagnaient à hauteur de 13,1% du PIB. Pour sa part, le déficit commercial passait, entre 2007 et 2008, de G 1 milliard à G 1,6 milliard. La couverture de nos importations en devises est restée inférieure à trois mois et le service de la dette représentait 225,7% des exportations et plus de 10% des recettes fiscales.
Qu'en est-il de 2009? La situation se présente-t-elle sous un meilleur jour? Pas du tout. Au contraire. Les projections de croissance ont dû être révisées à la baisse, de 4,5 % à 2,5 %, et d'inflation à la hausse de 7% à 9,5%. Même à 2,5 %, taux à peine supérieur au taux d'accroissement de la population, la projection de croissance en 2009 est hautement spéculative, car elle sera vraisemblablement handicapée notamment par une baisse nette des exportations par suite de la récession mondiale, une baisse des envois des Haïtiens de l'étranger, laquelle réduira la consommation, et une augmentation des importations alimentaires.
Le budget 2009 prévoit un programme ambitieux de dépenses d'investissements, en augmentation de 1,8 points de pourcentage par rapport à 2008. Les dépenses de 2009 (y compris les investissements financés par l'extérieur) sont projetées à hauteur de G 61 milliards. Pour financer en partie ces G 61 milliards, le gouvernement espère collecter des ressources propres à hauteur de 10,5 % du PIB. Comme pour la projection de croissance, cette projection de couverture des dépenses par des ressources internes propres est aléatoire. Depuis le rejet par l'opinion, appuyée par le Parlement et les distributeurs de cellulaires, de l'augmentation de la taxe sur les communications, il souffle dans notre pays un vent de fronde contre l'impôt dont les autorités auraient tort de sous-estimer l'impact.
Les ressources (y compris financement extérieur) sont évaluées à G 48,8 milliards. En excluant le financement extérieur, le déficit prévisionnel global est de G 8,8 milliards pour 2009. Fin mars 2009, le gouvernement espérait pouvoir couvrir ce déficit avec un soutien budgétaire de G 6 milliards, dont une grande partie viendrait des ressources des fonds vénézuéliens, des allègements et des rééchelonnements de la dette à hauteur de G 900 millions, un tirage de G 300 millions sur les dépôts du gouvernement à la Banque Centrale et G 2 milliards qui viendraient de la réunion de Washington. Au cas où ces G 2 milliards ne viendraient pas, c'est la planche à billets qui serait mise à contribution mais à une condition qui défie le bon sens : en effet, le gouvernement s'est engagé par devant le Fonds Monétaire International, au cas où il était condamné à faire du financement monétaire pour les G 2 milliards, à rembourser la Banque Centrale intégralement en 2010 par des ressources budgétaires normales. Choisir une année électorale pour rembourser $ 50 millions nous paraît, quant à nous, une idée intempestive et plutôt originale qui exposera le pays soit à des remous sociaux considérables soit à la non-exécution de ses engagements internationaux.
Pour ce qui est de la balance des paiements, en 2009, elle sera négative pour la première fois depuis 2003. Les importations de produits pétroliers et de biens alimentaires augmenteront ($ +200 millions) les envois des Haïtiens de l'étranger vont baisser ($ -154,4 millions) et l'impact global négatif se situe à $ -240 millions. Si on s'attend à ce que le FMI couvre une partie du déficit de la balance des paiements avec un nouveau crédit de DTS 25 millions, le financement du solde des besoins (en support budgétaire, financement de projets, assistance humanitaire, au 30 mars 2009), était hautement incertain, les soutiens additionnels promis étaient alors de $ 193,5 millions par rapport à des besoins évalués à $ 654,4 millions.
Pour résumer, inflation en hausse, croissance en baisse, déficits budgétaires en augmentation et financement non assuré, balance des paiements négative pour la première fois depuis 2003, c'est là un bilan lourdement négatif et nous pensons que c'est à tort qu'on voudrait en faire porter toute la responsabilité aux ouragans et à la crise mondiale. Ces éléments ont certainement joué un rôle mais nous ne devons pas oublier que, en tout état de cause, entre 2006 et 2008, les projections de taux de croissance ont constamment été révisées à la baisse pour une raison ou pour une autre. Pour nous, la responsabilité majeure de la paralysie économique actuelle ne doit pas être recherchée ailleurs que dans la persistance depuis trois ans d'une politique de stabilité macroéconomique bien inspirée dans son principe mais mal encadrée dans la pratique.

a) Notre politique de stabilité macroéconomique n'est pas crédible. Elle nous permet de résoudre des problèmes de liquidité mais non de solvabilité. Bien sûr, nous réduisons les déficits mais personne ne croit que nous soyons pour autant devenus solvables. Pour se convaincre de cela, il suffit de consulter le ratio dette/PIB lequel, fin septembre 2008, était estimé à 29%, et de constater la tendance croissante à la dollarisation, signe patent du manque de confiance du public et des investisseurs dans la gestion de l'économie.
b) Les améliorations de l'équilibre budgétaire n'ont très souvent pu se réaliser que soit par le report à plus tard de dépenses d'investissements nécessaires, lequel report à plus tard pénalise la croissance, soit par des augmentations de ressources dont l'effet n'est pas reproductible à l'infini et ne joue qu'une seule fois, à quoi il faut ajouter le transfert abrupt, fin septembre 2008, de $ 51 millions de fonds vénézuéliens alors que les dépenses hors budget de fonds vénézuéliens ($ 197,5 millions) ne devaient être exécutées qu'en 2009.
Le report à plus tard des dépenses d'investissements en capital, de santé et d'éducation est d'autant plus indéfendable que leur impact budgétaire est calculé sur une base cash et ne prend pas en compte la très forte rentabilité de tels projets sur le long terme. A ne prendre en compte que l'impact de ces dépenses sur le court terme et à les considérer comme de pures dépenses de consommation, on minimise le fait que contrairement à de simples dépenses de consommation, ces dépenses-là sont de nature à augmenter la production et à générer des ressources fiscales. Dans la mesure où réduire les investissements sur ces dépenses réduit la croissance et les ressources fiscales à venir, cette manière de faire affecte négativement la solvabilité financière elle-même.
c) La politique de stabilité macroéconomique, telle qu'elle fonctionne aujourd'hui, ne jouit pas d'un dispositif institutionnel satisfaisant. Un cadre macroéconomique stable n'est pas une fin en soi. Un cadre macroéconomique stable n'a d'intérêt que comme moyen de fournir un bon environnement macroéconomique global. Or, la contribution directe que la stabilité macroéconomique peut apporter à la croissance dépend de l'environnement institutionnel. Les entrepreneurs quels qu'ils soient - fermiers, petites entreprises, sociétés industrielles et entreprises multinationales - sont au coeur du processus de développement. Ils fournissent plus de 90% des jobs, et représentent donc des acteurs incontournables pour la croissance. Leur décision d'investir est déterminée par le climat d'investissements, et le climat d'investissements, c'est le gouvernement qui le détermine car c'est au gouvernement à garantir les droits de propriété, à assurer la sécurité des transactions, à fournir l'infrastructure à des coûts modérés et stables, à pratiquer une politique fiscale d'encouragement et d'incitation à la réalisation d'investissements, à entourer le marché du travail et le marché des capitaux du cadre propre à les inciter à contribuer à la croissance. C'est au Gouvernement qu'il appartient de prendre des mesures efficaces de lutte contre la corruption, de maintien d'un environnement politique démocratique et fonctionnel et d'un climat sécuritaire satisfaisant.
A défaut de ce climat-là, la stabilité macroéconomique est comme un sac vide, les entrepreneurs n'investiront pas beaucoup et la croissance ne sera pas au rendez-vous. L'absence de réformes institutionnelles mine l'efficacité de la stabilité macroéconomique elle-même, jette des doutes sur la capacité de la stabilité macroéconomique à se maintenir et transforme le secteur privé en spectateurs sceptiques en situation d'attente.
B. Quelle croissance, pour quoi et comment faire ?
Nous partons donc de très bas. C'est pourquoi la croissance économique que nous-même nous recherchons, ce n'est pas une croissance pour le principe. C'est une croissance pour réduire la pauvreté substantiellement d'ici les dix prochaines années. Avec les taux faméliques actuels de 2-3 %, quand ce n'est pas 1,3 %, Haïti ne va nulle part. Car tous les exercices de simulation sont formels : dans l'hypothèse d'une augmentation du revenu par tête de 2 % par an, le taux d'extrême pauvreté ne baisserait que de 3,3 % après cinq ans. Pour réduire la pauvreté substantiellement, compte tenu du bas niveau de croissance en cours depuis si longtemps, et des faiblesses structurelles de notre appareil de production, la stratégie de véritable croissance économique que nous préconisons se donne pour objectif de porter la croissance sur la période à un taux de 4,4 % par tête par an, ce qui correspondrait à un taux annuel de 6,7 % du PIB global. Le modèle actuel de développement dans lequel Haïti s'est engagée depuis le milieu des années 80, s'il a incontestablement réussi, sauf interférence extérieure, à réduire l'inflation, à stabiliser les prix, à réduire les déficits budgétaires et à augmenter les réserves internationales, notamment entre les années 2004 à 2008, est insusceptible de générer une croissance assez forte et assez stable pour réduire la pauvreté de manière significative et, à notre avis, les chances pour l'avenir ne sont pas meilleures.
D'abord, parce que les postulats de départ ne se sont pas vérifiés. Ensuite, parce que le modèle, chez nous, ne fait pas une place sérieuse et responsable à la réduction des inégalités.
Le postulat que le contrôle de l'inflation et des déficits budgétaires déboucherait sur la croissance ne s'est pas confirmé en Haïti. Par comparaison avec les années 1975 80, les taux de croissance des années 1991-2008, dans le meilleur des cas, ont été de moitié inférieurs. Entreprises dans la précipitation, sans préparation adéquate et sans infrastructure appropriée, les libéralisations ont réduit la production agricole, affaibli considérablement la production industrielle pour le marché local, réduit les ressources budgétaires et changé la structure des exportations. Les exportations ont augmenté mais les importations ont augmenté bien davantage et, mis à part le cas de l'industrie d'assemblage, la libéralisation unilatérale n'a pas garanti un large accès aux marchés extérieurs. Concentrées à l'extrême, les banques prêtent à des clients privilégiés dans des services et négligent d'autres secteurs productifs tels l'agriculture.
Nous pensons, pour notre part, que si c'est pour réduire la pauvreté que nous voulons la croissance, alors c'est tout l'agenda du développement qu'il faut changer. Au niveau de pauvreté, d'inégalité et de faible croissance où nous sommes arrivés, il ne peut être question de continuer à nous comporter comme si le simple fait de libéraliser l'économie, de l'ouvrir au monde extérieur, de privatiser les entreprises, de libéraliser les taux d'intérêts, de prétendre laisser libre champ au marché nous donnera jamais le taux de croissance nécessaire et suffisant pour réduire la pauvreté. La globalisation, nous devons la saisir et non pas la subir.
Il nous faut repenser l'agenda de développement. Continuer à dire que l'on veut élargir le rôle du marché sans accompagner le marché d'un arsenal de politiques publiques qui : a) rendent le marché plus efficace, et b) contribuent directement à réduire la fracture sociale, équivaudrait à des coups d'épée dans l'eau. Dans l'approche que nous-mêmes préconisons, croissance économique et réduction de la pauvreté et des inégalités vont de pair. La croissance, à elle seule, en supposant qu'on l'obtienne, ne fera pas l'affaire. Car si la croissance est une condition de réduction de la pauvreté, elle ne peut en rien réduire le niveau de pauvreté si elle ne s'accompagne pas d'une lutte systématique contre l'exclusion sociale. Les inégalités limitent l'effet de la croissance sur la réduction de la pauvreté et parfois même les inégalités bloquent la croissance. Réduction de pauvreté et des inégalités ne peuvent plus figurer comme on ne sait quel appendice implicite de la croissance. Si on veut augmenter l'impact de la croissance sur la réduction de la pauvreté, il nous faut impérativement réduire les inégalités. Croissance économique, réduction de la pauvreté et des inégalités se renforcent les unes les autres.
L'approche à l'honneur aujourd'hui, qui consiste à dire en théorie « moins il y a d'État, plus il y a de marché, mieux cela vaut » mais en réalité, est une approche dans laquelle l'État s'abstient de faire les bonnes choses qu'on attend de lui et au contraire tolère un environnement pénalisant, doit céder la place à une nouvelle politique dans laquelle un État engagé dans le développement se donne les moyens de corriger aussi bien les déficiences du marché que les siennes propres et recherche un consensus national pour lutter contre les inégalités.Prochain article : Vers une économie efficace et solidaire
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samedi 9 mai 2009

Haïti (Économie): II Des verités fondamentales (Suite)

Source: Le Nouvelliste, 7 mai 2009
Par Marc L. Bazin
Président (MIDH)
marclouisbazin@hotmail.com



C. Nous convertir à une approche plus orthodoxe de l'aide internationale
Puisque Haïti est un pays en déficit chronique, que nous n'avons pas (comme la Jamaïque) accès au marché international sur lequel nous pourrions émettre des bons, que les accords passés avec le Fonds Monétaire International nous interdisent de recourir à la planche à billets, l'aide internationale à des conditions de faveur est notre seul recours pour le financement des déficits. C'est bien ce qui se passe en réalité. Entre 2005-2008, l'aide internationale concessionnelle a financé pour G. 13 milliards de soutien budgétaire, G. 38 milliards de dons pour des projets et G. 50 milliards d'aide aux investissements, pour un total d'environ G 100 milliards, soit donc une moyenne de G. 20 milliards par an. À ce financement des déficits par l'aide internationale, il faut ajouter les allègements de la dette, l'assistance technique, les aides humanitaires et les dons en nourriture.
Mais l'aide étrangère n'a pas que des qualités. Elle est imprévisible dans son montant. Son rythme de déboursement est souvent lent. Une grande partie de l'aide passe par les ONG, non par le Gouvernement. Souvent les donateurs ont des procédures différentes. De tout cela, Haïti se plaint. À bon droit. Mais surtout Haïti voudrait que l'aide augmente. Ceci aussi est normal et logique, compte tenu de nos besoins. Mais dans notre conception, dans la manière dont nous percevons nos rapports avec l'aide internationale, il y a quelque chose de malsain et de profondément vicié à la base. Nous avons tendance à nous comporter et à raisonner comme si l'aide était un dû et non pas un concours volontaire de la part des donateurs. Jugez-en vous-mêmes.
Dans un document intitulé « Vers un nouveau paradigme de coopération, Washington 14 avril 2009 », préparé à l'intention de la réunion de Washington, on lit : « Dès les premiers travaux préparatoires, il est clairement apparu que les partenaires de la Communauté internationale attendaient les décisions du Gouvernement sur des sujets en discussion depuis un moment déjà. »
Ces sujets sont :
- l'augmentation des recettes propres, notamment par la taxe sur les communications
- la diffusion publique de rapport sur l'exécution du Programme d'urgence
- le financement du Fonds d'Entretien Routier en adéquation avec les investissements consentis
- la grille de planification de l'électricité en rapport avec les coûts de production
- la facilitation des investissements.
En ce qui nous concerne, et en ce qui concerne toute personne sensée et de bonne foi, il ne devrait pas y avoir, sur l'une quelconque de ces questions, matière à débat puisqu'il s'agit, soit d'un problème de transparence dans la gestion des fonds publics, soit d'un problème de gestion efficace de nos maigres ressources. Pourtant, à toutes ces questions, le rapport donne des réponses pour le moins inattendues et équivoques. Le rapport dit : « Le Gouvernement est disposé à agir lorsque les conditions favorables sont réunies. Par ailleurs, il doit y avoir réciprocité dans la mesure où les gains pour la population en termes de quantité et de qualité de services permettent de justifier tous les sacrifices et efforts additionnels. Pour que les mesures attendues soient politiquement et socialement acceptables, elles doivent correspondre à un apport de ressources conséquent. » En clair, si la communauté internationale veut que Haïti augmente ses recettes propres, et publie un rapport sur la manière dont les fonds vénézuéliens ont été utilisés, il faut qu'elle nous dédommage au préalable et qu'elle nous paie en conséquence. De toute évidence, il y a maldonne, d'autant plus que dans ce même document Haïti propose « un plan sur un horizon de douze à dix-huit mois (exercices 2008-2009 et 2009-2010) au coût total de $ 792 millions », auxquels s'ajoutent $ 125 millions au titre du Programme de redressement des finances publiques. Entre les besoins des programmes ci-dessus et la réponse faite aux demandes de transparence et de bonne gestion, l'écart est considérable, et il n'y a pas lieu de s'étonner que le Canada ait rendue publique sa décision de ne pas participer à un quelconque financement à court terme, ni non plus que, en dehors d'un beau succès diplomatique, la réunion de Washington se soit soldée par des résultats financiers maigres par rapport aux attentes.
L'approche que nous-mêmes nous proposons pour l'aide étrangère se formule comme suit. Nous devrions pouvoir dire aux donateurs : « Voici notre stratégie de croissance. Voici nos priorités. Voici les règles que nous nous fixons pour atteindre à la croissance. En voici le coût et également voici notre contribution. » Sur cette base, les concours extérieurs viendraient en complément de nos moyens propres et non comme le début, et encore moins, comme une condition sine qua non, de notre propre action. Nous pensons que les autorités devraient changer d'attitude et adopter vis-à-vis de l'aide internationale une attitude plus orthodoxe.
Pour obtenir davantage d'aide, il y a des règles à observer. Citons-en au moins quatre :
- tout d'abord, la démonstration par des actes concrets que notre pays assume son effort de développement et ne considère pas les réformes comme des obligations imposées de l'extérieur que l'on subit parce que c'est le prix à payer pour recevoir de l'aide et vis-à-vis desquelles on doit pouvoir marronner aussi longtemps que possible
- nous devrions renforcer notre capacité d'analyse et d'identification des contraintes à notre potentiel d'absorption de l'aide et mettre en place des mécanismes propres à lever ces contraintes
- nous devrions espacer les interventions en fonction des contraintes, aligner les décisions d'investissements publics en fonction des priorités et établir des liens étroits entre le processus de décision relatif à la stratégie de réduction de la pauvreté et les différentes parties appelées à participer à, ou à bénéficier, de l'exercice
- finalement, le grand défi est d'établir un dispositif efficace de facilitation de l'augmentation de l'aide. L'idée centrale d'un tel dispositif est de lier les Ressources aux Résultats (R&R), c'est-à-dire d'établir un lien clair entre les ressources nouvelles et la stratégie propre du Gouvernement et les résultats additionnels qu'on est en droit d'attendre des ressources en augmentation.
Ces principes d'alignement et d'harmonisation de l'aide par rapport aux résultats ont été bien compris et absorbés par de nombreux pays sous-développés (Rwanda, Ouganda, Ghana). Le cas du Ghana est particulièrement intéressant. Le Ghana a deux atouts. Son taux de croissance économique est de 5 à 6 % par an. Son plan vise à porter le taux de croissance à 8,5 %. Le Ghana a articulé clairement ses objectifs de développement et a défini non moins clairement les politiques et les programmes qui lui permettront d'atteindre ses objectifs. En juin 2006 s'est tenue à Accra une Conférence des donateurs. Ces donateurs ont augmenté l'aide de manière considérable, y compris $ 5 milliards ($ 800 millions de plus que ce qui avait été promis six mois auparavant), plus $ 1,3 milliard d'allègement de la dette, soit donc $ 6,3 milliards pour quatre ans. Oui, nous avons bien dit 6,3 milliards de dollars !
À notre avis, c'est toute l'argumentation du problème de l'augmentation du volume de l'aide qu'il nous faudrait repenser. La question du volume de l'aide étrangère devrait se poser, non pas en termes d'équité ou de justice, c'est-à-dire en termes de « faire quelque chose » pour Haïti, encore moins en termes de dette des donateurs mais, plus fondamentalement, au regard de l'objectif de croissance.
Prenons, par exemple, le cas de l'infrastructure. Le raisonnement qui devrait guider notre demande d'aide devrait partir de la pénalisation que nous impose l'obligation de stricte observance de la stabilité macroéconomique. On sait que les projets d'infrastructure ont un taux de rentabilité parfois élevé (de 20 à 25 %). On sait aussi qu'un niveau élevé d'investissements publics dans l'infrastructure augmente le taux d'investissements privés dans l'économie et que, quand les deux sont complémentaires, une augmentation du taux d'investissement dans l'infrastructure augmentera la rentabilité de l'investissement privé et la quantité du stock de capital. Depuis longtemps, les investissements en capital d'Haïti, faute de ressources et à cause du blocage de la règle du déficit zéro, ne représentent qu'un pourcentage faible de son PIB. Le fait que l'investissement public en infrastructure soit faible par suite des politiques d'ajustement a réduit le taux de croissance de 1 % du PIB dans plusieurs pays d'Amérique latine entre 1980 et 1990. Ceci est forcément vrai chez nous. Il faut donc investir davantage dans l'infrastructure. Malheureusement, le niveau d'infrastructure nécessaire pour servir d'aimant à la croissance est élevé. Il y a un minimum d'infrastructure en deçà duquel un pays ne peut pas descendre s'il veut que l'infrastructure contribue à la croissance et à l'augmentation de la productivité. Pour atteindre à ce minimum d'infrastructure, un pays comme le nôtre, qui part de très bas, aurait besoin d'un niveau élevé d'investissements publics d'infrastructure sur une longue période.
Une aide étrangère en augmentation pour le financement de l'infrastructure en Haïti est donc une nécessité non seulement à cause de notre faible capacité de financement public mais aussi parce que le minimum indispensable d'investissements nécessaire est élevé (routes, électricité, ports, télécommunications), parce que la réduction de la part du budget d'infrastructure imputable aux programmes d'ajustement a fait baisser la croissance, et a réduit, plutôt qu'elle n'a accru, le niveau de solvabilité financière et a aggravé la pauvreté.
Si notre conception de l'aide étrangère n'est pas très orthodoxe, elle est également, à beaucoup d'égards, passablement étroite. Nous pensons qu'il y a plusieurs autres domaines auxquels le champ de la coopération pourrait être élargi. Nous en voyons au moins deux dont le potentiel économique est considérable. L'un est l'adhésion d'Haïti à l'Accord CAFTA-DR. Un autre est un règlement légal et ordonné du problème de la migration.
D. Rechercher l'inclusion d'Haïti à l'Accord CAFTA-DR
Signé en 2004 entre les États-Unis et plusieurs pays d'Amérique centrale dont la République Dominicaine, CAFTA-DR (Central American Force Trade Agreement) est un accord commercial qui vise à éliminer les droits de douane, à réduire les barrières non-tarifaires, et à faciliter les échanges commerciaux entre les États-Unis et l'Amérique centrale. Bien entendu tous ces pays (Costa Rica, El Salvador, Guatemala, Honduras, Nicaragua, République Dominicaine) entretiennent déjà, comme nous, des relations commerciales privilégiées avec les États-Unis dans le cadre d'accords préférentiels du type CBI. Mais CAFTA-DR est plus ambitieux. Il est plus complet, et il transforme fondamentalement la nature des relations commerciales avec les États-Unis. Il ne s'agit plus, comme avec le CBI, d'une concession unilatérale des États-Unis sous forme d'arrangements préférentiels mais d'un accord bilatéral permanent, ce qui donne à ces pays d'Amérique centrale un accès élargi à un plus vaste marché sans limite dans le temps et augmente les chances d'investissements directs. Avec CAFTA-DR, les droits de douane sur toutes les exportations non-agricoles et non-textiles de l'Amérique centrale vers les États-Unis et les droits de douane sur 80 % des exportations non-agricoles et non-textiles des États-Unis vers l'Amérique centrale sont réduits. Les droits de douane sur d'autres produits seront éliminés progressivement sur une période de 5 à 20 ans. Si l'Accord prévoit des périodes de transition de 20 ans pour plusieurs produits agricoles, maintient des droits de douane à l'importation sur le sucre et le maïs et si une large gamme de produits (viande de boeuf, beurre, fromage, lait et cacahuètes) continuera à être protégée par des quotas d'importation, il n'en est pas moins une nouveauté extraordinaire en raison de son caractère permanent et de ses implications pour le flux d'échanges commerciaux et d'investissements. Qu'il suffise de se référer au cas mexicain et à NAFTA. Après NAFTA, les échanges commerciaux du Mexique avec les États-Unis ont, entre 1993 et 2003, plus que doublé en termes de dollars, la part du commerce dans le PIB du Mexique est passée de 40 % entre 1980 et 1993 à 58 % depuis NAFTA, et les investissements américains au Mexique sont passés de $ 12 milliards entre 1991 et 1993 à $ 54 milliards entre 2000-2002.
Les effets sur notre croissance de la signature d'un tel Accord avec les États-Unis seraient considérables. Non seulement la libéralisation commerciale dans des conditions normales est porteuse de croissance et réduit les prix des produits de consommation importés mais il y a plusieurs autres créneaux par lesquels une telle libéralisation favoriserait des investissements notamment à travers l 'augmentation de l'épargne nationale, la réduction du coût du capital, l'élargissement du secteur financier et le transfert de technologies a fortiori si un tel transfert de technologies est associé à l'effet de mobilité de la main-d'oeuvre que nous évoquons ci-après.
E. Rompre le cercle vicieux de la migration
Haïti est le pays sous-développé avec le taux le plus élevé de migration de personnes de niveau universitaire, 88 % des Haïtiens qui émigrent le font parce qu'ils ne trouvent pas en Haïti des opportunités pour travailler. Le cercle vicieux vient de ce que notre pays ayant perdu une quantité considérable de gens qualifiés, la capacité d'Haïti à générer des investissements productifs et à alimenter la croissance de la productivité en est réduite d'autant, ce qui a pour effet de nourrir encore davantage la migration des gens qualifiés. Devant une telle situation, on peut dire deux choses : soit qu'il faut arrêter de former des gens qualifiés aussi longtemps que les autres facteurs qui font obstacle à la croissance (et qui empêchent de leur trouver du travail) ne sont pas levés. Ou bien que les pays appelés à profiter de la migration haïtienne qualifiée (en attendant qu'Haïti améliore sa capacité propre d'absorption de ses cadres), nous aident à financer le cursus universitaire, et pas seulement les médecins et les ingénieurs et l'informatique, mais aussi les infirmières, les plombiers, les maçons et les réparateurs de cellulaires. Ceci contribuerait, d'une part, à soulager l'État des $ 248 par tête qui lui coûte l'enseignement universitaire, de renforcer le financement du préscolaire ($ 81 par tête) et du secondaire ($ 69 par tête), et d'autre part, permettrait à l'aide internationale d'influencer la formation universitaire en Haïti en fonction d'un marché du travail élargi.
De toute manière, migration ou pas, l'aide internationale au financement du cursus universitaires est indispensable. D'une part, parce que la formation d'une main-d'oeuvre éduquée est une composante essentielle de toute politique de croissance mais aussi parce que, même si on n'évalue qu'à un minimum de $ 100 par tête la contribution de l'État à une éducation de qualité au seul niveau primaire, Haïti devrait investir $ 200 millions (soit le double de ce que nous dépensons actuellement) chaque année pour soutenir chacun des élèves du primaire.
Les 88 % d'Haïtiens qui émigrent ont la plupart du temps reçu leur éducation avec des fonds publics. Le coût de la migration en termes de perte pour la société et l'économie d'une population de niveau universitaire est important ne serait-ce qu'en termes de perte de main-d'oeuvre, à quoi il faut ajouter la perte de productivité de ceux restés au pays, désormais privés d'encadrement et les coûts payés par l'État pour assurer l'éducation. Les envois de l'étranger représentent-ils une juste et suffisante compensation ? Ceci est évidemment difficile à calculer. Faudrait-il instituer une taxe à l'aéroport ? Le taux de ladite taxe par tête devrait être élevé pour rapporter un niveau de réserves substantiel. De toute manière, les Etats-Unis sont le seul pays qui taxe leurs citoyens en fonction de la citoyenneté en lieu et place du lieu de la résidence. La solution serait-elle dans la réorientation du système éducatif, une réorientation qui nous amènerait à concentrer l'effort sur des activités économiques (agriculture, tourisme, services) pour lesquelles l'économie haïtienne aurait un besoin prioritaire, lequel théoriquement découragerait la migration ? Ambitieux mais risqué, notre capacité d'absorption de main-d'oeuvre qualifiée même dans ces domaines prioritaires, étant limitée et notre compétitivité par rapport à l'extérieur - ne serait-ce que le reste de la Caraïbe - incertaine. En partant à l'étranger et en gagnant bien leur vie, grâce à leur diplôme financé par l'État haïtien, les migrants jouissent des fruits de la rentabilité privée de l'éducation, mais la rentabilité sociale de l'éducation est ignorée. Si leurs études avaient été financées avec des prêts, on pourrait dire qu'un moyen de récupérer sur l'utilité sociale aurait été de diminuer le remboursement des prêts d'un montant déterminé en fonction du temps que les bénéficiaires passeraient au pays, une fois leur diplôme obtenu. Mais nous n'avons pas de système de prêts et, en tout état de cause, il ne saurait être question, après que nous avons été incapables de construire un système économique qui leur donne un emploi bien rémunéré et des conditions de vie acceptables pour eux, et leur famille, d'empêcher que nos compatriotes tentent leur chance ailleurs.
C'est pourquoi nous pensons que la meilleure solution est d'adopter une politique de la diaspora qui consisterait à rechercher le financement d'une partie du cursus universitaire et de certaines professions techniques par l'aide extérieure, à charge par les donateurs de privilégier celles des formations les plus conformes aux besoins de leur large marché.
Le fait que des Haïtiens seraient formés grâce à un financement extérieur dans des disciplines conformes aux besoins des pays d'accueil ne signifierait pas que ces Haïtiens soient perdus à jamais pour Haïti. Ils continueraient d'agir comme courroie de transmission du savoir, de contacts avec les firmes étrangères et la technologie. Nous pensons que Haïti et le pays d'accueil devraient signer des accords qui facilitent le retour soit en permettant la double nationalité, soit en permettant aux Haïtiens de la diaspora, une fois revenus en Haïti, de continuer à bénéficier de leur droit à la pension et à l'assurance-santé.
S'agissant des travailleurs saisonniers de qualification limitée, Haïti se doit de rechercher la signature d'un accord (type mexicain) avec les États-Unis qui permettrait à des contingents d'Haïtiens de contribuer au développement de l'agriculture, du tourisme et de la construction aux États-Unis. Il existe actuellement des centaines d'accords de ce type dans le monde, y compris 168 signés au cours des 50 dernières années, dont la moitié au cours des dix dernières années. Une fois la récession terminée aux États-Unis - et nous espérons que ce sera pour bientôt - un accord de migration temporaire et légal de main-d'oeuvre haïtienne vers les États-Unis réduirait considérablement, et peut-être même, éliminerait le nombre de boat people, contribuerait à augmenter la compétitivité américaine vis-à-vis de plusieurs pays dont certains, en raison de la crise, inclinent de plus en plus au protectionnisme et, une fois revenus au pays, les migrants temporaires investiraient et augmenteraient la compétitivité de notre agriculture. Un autre avantage non négligeable d'un tel Accord avec les États-Unis est qu'il ferait baisser le niveau de l'offre de travail haïtien en République Dominicaine et aux Bahamas, et réduirait la tension permanente entre nous et les voisins que constitue la migration illégale.
F. Augmenter les investissements et l'épargne
Une croissance forte et soutenue ne se conçoit pas sans des investissements élevés. Aucun des pays qui ont augmenté leur taux de croissance substantiellement n'a un taux d'investissement inférieur à 25 % du PIB. La question de savoir quelle proportion d'investissements devra aller tel ou tel secteur sera traitée dans la troisième partie de cet article. À ce stade, signalons simplement, pour le principe, que toute augmentation des investissements passe par un choix entre consommation et dépenses, entre maintenant et plus tard. Il y aura donc toujours un choix à faire entre le court et le long terme. De même, il faudra toujours garder à l'esprit que si les dépenses publiques en infrastructure facilitent l'investissement privé et en augmentent le rendement, les budgets publics excessifs évacuent le secteur privé. Les dépenses se financent par l'impôt, l'emprunt, l'inflation ou l'aide extérieure. L'aide extérieure n'étant pas infinie, le recours abusif aux autres modes de financement priverait le secteur privé des ressources dont autrement il pourrait disposer pour financer ses investissements. Il y a donc un équilibre à trouver. D'un autre côté, rien n'interdit - au contraire - tout encourage le Gouvernement à associer le secteur privé à l'augmentation de l'investissement, notamment en matière de télécommunications (les téléphones cellulaires en sont un bon exemple). Ceci dit, le Gouvernement devra se garder de traiter le produit de l'investissement privé comme une vache à lait. Toute politique systématique de transfert de revenus du consommateur à l'État, par le biais de la télécommunication privée, ne peut aboutir qu'à augmenter le prix du service, et à mettre le service hors de portée de la majorité de la population.
Quant à l'épargne, il n'existe pas un seul cas de croissance qui ne se soit accompagné d'une augmentation de l'épargne. De la même façon que la croissance dépend des investissements, les investissements dépendent de l'épargne nationale d'abord et non pas de l'épargne de l'étranger. Or, l'épargne du secteur public est, chez nous, extrêmement faible, pour ne pas dire, nulle. L'épargne a trois composantes : les ménages, les entreprises, le Gouvernement. Les ménages sont trop pauvres pour épargner et de toutes façons, ne disposent pas en quantité d'instruments de collecte de l'épargne qui en faciliteraient l'accumulation. Le secteur privé épargne davantage - et de loin - que les ménages et le Gouvernement mais ne compense pas l'insuffisance des deux autres secteurs.
L'insuffisance de l'épargne et la faible part relative de deux des secteurs apparaît ci-dessous. Entre 2002 et 2009, la situation de l'investissement et de l'épargne a évolué comme suit :
Investissement et Épargne publique 2002-2006
(en % du PIB)
Investissement 2002 2003 2004 2005 2006
Total ................ 25,1 30,7 27,3 27,4 28,9
Public ................ 4,3 7,0 6,8 7,1 5,3
Privé ................. 20,8 23,7 20,6 20,3 23,5

***
Épargne 2002 2003 2004 2005 2006
Total ....... 24,2 29,1 25,7 30,1 28,9
Publique... -1,1 -0,3 1,3 1,5 1,6
Privé ..... 25,3 29,5 24,4 28,6 27,3

***

Ce que font ressortir ces tableaux est d'une part que l'investissement public est anormalement faible, que sa part par rapport au secteur privé est sévèrement déséquilibrée et ce, dans le temps même où les imbroglios du montant réel d'investissements publics ne sont pas éclaircis. Quant a l'épargne, la différence entre les deux secteurs est encore plus accentuée au détriment du secteur public. Des chiffres provisoires nous indiquent que les mêmes tendances se retrouvent en 2008 et en 2009, comme suit :

Épargne publique (en % du PIB)
2007 2008 2009
Total 21,5 28,3 28,4
Publique 2,9 3,0 1,4



G. Renforcer la capacité de l'État
En lieu et place d'une entité fonctionnelle qui possède et exerce le monopole légitime de la force, garantit l'état de droit et fournit aux Haïtiens un minimum des services qui leur sont nécessaires pour la survie au quotidien, l'État aujourd'hui est le haut lieu de la confusion des pouvoirs entre ses différents organes, et de délégitimisation des institutions et du processus démocratique. De ce fait, il n'inspire pas confiance, et ne fournit pas au secteur privé l'espace légal, institutionnel et psychologique dont il aurait besoin pour investir et entreprendre.
Pour servir à la croissance, l'État devra donc renforcer sa capacité àassurer la sécurité à l'intérieur d'un régime d'état de droit, sur tout le territoire, à assurer à faire respecter l'indépendance des pouvoirs, à gérer les finances publiques dans la transparence, et à donner aux Haïtiens un minimum d'accès à l'école, à l'eau potable, à l'électricité, aux soins de santé et à une alimentation décente.
H. Transformer les jeunes en acteurs de développement
Les chiffres parlent d'eux-mêmes. D'un côté, les jeunes représentent plus de 50 % de la population globale. Entre 15 et 24 ans, ils sont 2.300.000. Entre 10 et 24 ans, ils sont 3.200.000. Marginalisés à l'extrême, c'est dans leurs rangs que sévit le plus fort pourcentage de chômeurs, que se retrouve le taux le plus élevé de VIH/Sida et le rêve de l'immense majorité des jeunes, c'est de fuir, c'est de quitter Haïti à n'importe quel prix, fût-ce au péril de leur vie. D'un autre côté, sur 9 millions d'Haïtiens, il y en a 3,3 millions au bord de l'agonie et de la malnutrition. L'agriculture est incapable de nourrir la population. L'environnement est saccagé à 97 % dans le temps même où les prix des produits alimentaires sont à la hausse. Compte tenu du bas niveau de productivité de nos agriculteurs, il faudra attendre un certain temps avant que la production arrive à éviter la famine chez les millions de personnes déjà cataloguées comme étant d'extrême vulnérabilité. Créer un Service National qui mobiliserait les jeunes pour la protection des bassins versants, la réhabilitation des infrastructures et leur donnerait un salaire est un projet win-win dont l'un des mérites principaux serait d'associer une portion saine et négligée de la population à une tâche de régénération du secteur de production le plus important, lequel est en état d'extrême fragilité.
Prochain article : III. Les composantes d'une stratégie.
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http://www.lenouvelliste.com/article.php?PubID=1&ArticleID=69957&PubDate=2009-05-09
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Haïti (Économie) : II. Des vérités fondamentales

Source: Le Nouvelliste, 6 mai 2009

Par Marc L. Bazin
Président (MIDH)


Introduction


À la récente réunion internationale sur Haïti à Washington, M. Dominique Strauss-Kahn, Directeur Général du Fonds Monétaire International, a terminé son discours en disant : « Pour finir, le soutien continu de la communauté internationale ne servira pas à grand-chose si les Haïtiens eux-mêmes ne font pas l'effort nécessaire pour s'attaquer aux défis auxquels ils son confrontés aujourd'hui. Lever les obstacles structurels et institutionnels est essentiel à l'amélioration de la compétitivité. » À quoi il ajoutait - et ici je donne d'abord le texte dans son original en anglais, pour qu'il soit bien clair que nous avons fidèlement interprété la pensée de M. Strauss-Kahn. "Also, macroeconomic stability will have to lead to strong economic growth, otherwise the population will start questioning the importance of the macroeconomic stability to better their day-to-day lives." Je traduis: « De même, il va bien falloir que la stabilité macroéconomique conduise à une forte croissance économique, autrement la population va commencer à se demander si vraiment la stabilité macroéconomique présente un intérêt quelconque du point de vue de l'amélioration de ses conditions de vie au jour le jour. » Quel intérêt avons-nous à poursuivre tête baissée dans la voie d'une stabilisation macroéconomique qui ne s'accompagne d'aucun des mécanismes qui seraient de nature à lever les blocages, est la question que nous n'arrêtons pas de poser, semaine après semaine, depuis deux ans dans le Nouvelliste et ailleurs, et qui fait l'essentiel de mon intervention du moment dans ce débat sur l'économie. Si je cite M. Dominique Strauss-Kahn, ce n'est pas pour conférer une quelconque sanction officielle à une conviction ancrée depuis longtemps - même si je ne tiens pas à cacher que je considère une telle mise en garde, tombant de la bouche de l'oracle lui-même, comme fort flatteuse -, mais pour attirer une fois de plus l'attention de nos dirigeants sur l'impasse dans laquelle ils ont engagé le pays et sur le fait que cette impasse est également dénoncée par la plus haute autorité du système monétaire et financier international.


L'objectif central de la politique de croissance économique véritable que nous préconisons consiste à faire passer le Produit intérieur brut du taux actuel, de 1,3 % inférieur au taux d'accroissement de la population à un taux de 7 % sur une première période de 10 ans. Mais pour aboutir à un tel résultat, il y a des préalables à lever et des principes de base à respecter. Ces préalables et ces principes, nous les appelons des vérités fondamentales.


Parmi ces vérités fondamentales, c'est à dessein que nous ne mentionnerons ni l'incontournabilité du marché mondial à l'exportation comme source de croissance, ni le bien-fondé d'un système qui permette une grande mobilité des ressources en particulier de la main-d'oeuvre, ni la stabilité macroéconomique dans son principe, ni non plus la nécessité de laisser le marché lui-même décider de l'allocation des ressources. Toutes ces vérités, nous les considérons grosso modo comme plus ou moins acquises et acceptées chez nous quant à présent. Par contre, il y en a plusieurs autres sur lesquelles, dans l'objectif d'une véritable politique de croissance, il nous semble devoir mettre l'accent. Elles sont au nombre de huit. Elles se formulent comme suit :

  • A. Éradiquer la corruption

  • B. Porter les ressources à la hauteur des ambitions

  • C. Nous convertir à une approche plus orthodoxe de l'aide internationale

  • D. Rechercher l'inclusion d'Haïti à l'Accord CAFTA-DR

  • E. Rompre le cercle vicieux de la migration

  • F. Augmenter les investissements et l'épargne

  • G. Renforcer la capacité de l'État

  • H. Transformer les jeunes en acteurs de développement


A. Eradiquer la corruption


La corruption est chez nous partout présente. Transparency International nous classe parmi les pays les plus corrompus dans le monde. La réalité sur place confirme le diagnostic de Transparency . Quatre-vingt-dix pourcent (90 %) des ménages déclarent avoir été exposés à des actes de corruption, 92 % des ONG, et 87 % des industries perçoivent la corruption comme un « problème majeur ». Soixante-dix pourcent (70 %) des ménages pensent que le Gouvernement encourage la corruption. La corruption prend toutes sortes de formes : concussion, abus de fonction, enrichissement illicite, fraude fiscale, soudoiement de fonctionnaires, trafic d'influence, surfacturation, sous- facturation, détournement de fonds, attribution de marchés sans appel d'offres.


La corruption est illégale. Il faut la combattre et la réprimer.


La corruption est incompatible avec une stratégie véritable de croissance. La corruption réduit la croissance par le fait qu'elle entrave la création d'entreprises. En favorisant les projets juteux en « commissions » et pas forcément rentables - au détriment de bons projets mais non accompagnés de contrats rémunérateurs -, elle entraîne la baisse des investissements. La corruption limite les ressources nécessaires au financement de dépenses productives. Elle incite les corrompus à élargir sans raison valable la taille des projets de manière à augmenter le volume des commissions. La firme qui paie la commission va se rattraper sur le prix à la vente, le produit final étant d'autant plus cher que la commission a été élevée, pénalisant de la sorte le consommateur. Les projets entrepris aux seules fins de faire monter la valeur d'un terrain font baisser la productivité du capital dépensé, et par suite, le taux de croissance. Quand la corruption joue un grand rôle dans la sélection des projets pour construire des « éléphants blancs » ou des « cathédrales dans le désert » ou des routes qui ne mènent nulle part, c'est tout le budget d'investissements en capital qui est biaisé. La plupart de ces projets, marqués au départ du seul sceau du prestige et condamnés à ne pas être utiles, ne seront pas entretenus et, parfois même, ne seront pas terminés. Enfin, les dépenses faites sous l'emprise de la corruption réduisent le montant des ressources disponibles pour les bons projets.


La corruption influence le rapport rendement de l'impôt/PIB, diminue les revenus de l'État et par suite a un impact négatif sur la capacité de l'État à lutter contre la pauvreté et à fournir des services. La corruption a donc un effet pervers sur la croissance économique, l'inflation, les finances publiques, les investissements et la lutte contre la pauvreté. Il faut l'éradiquer.


Les institutions chargées d'enquêter sur la corruption, de la prévenir ou de la poursuivre (UCREF, Unité de lutte contre la corruption, Commission nationale des marchés publics, Cour des Comptes) ont jusqu'ici fait un travail tout à fait satisfaisant, qui gagnerait parfois à être mieux coordonné et, dans certains cas, plus dynamique. Mais il faut bien comprendre que l'action de tels organismes, le contrôle parlementaire resteront d'un effet relatif aussi longtemps que la corruption n'est pas attaquée à la source.


La source première de la corruption, c'est l'étendue du champ d'intervention de l'État dans l'économie. Plus il y a d'activités pour lesquelles l'État réclame des permis et des autorisations, plus l'État émet de règlements et de circulaires qui, en raison de leur complexité et souvent de leur flou volontairement artistique, amènent le citoyen en face du bureaucrate, et donnent à ce dernier toute l'apparence de monopole du pouvoir, plus se créent des poches de corruptibilité. L'idée ici n'est pas de dire « supprimez l'État, et vous supprimez la corruption », mais de changer la manière dont l'État opère et exerce ses fonctions. Le temps qu'il faut chez nous pour exporter un produit, ouvrir une entreprise, enregistrer une transaction immobilière, le nombre de formalités à remplir à la douane et dans les ports, les tracas que l'on a à obtenir un extrait d'acte de naissance, à faire installer le téléphone, à rétablir le courant électrique, sont sources de perte de temps, d'inefficacité et de corruption, et elles coûtent de l'argent. Il nous faut donc construire un appareil institutionnel plus moderne, qui assure une plus grande liberté des transactions et réduise le volume des contrôles administratifs surtout dans la situation actuelle de la Fonction Publique où le fonctionnaire haïtien est le moins bien payé parmi les fonctionnaires des pays sous-développés.


Bien entendu, il n'est pas question de nier, ni de minimiser la qualité des activités de contrôle et de prévention. De même, on peut toujours - et ceci est utile - mettre en place des contrôles institutionnels internes gérés par des superviseurs honnêtes et compétents. Également, l'exigence la déclaration préalable de revenus comme condition d'accès à certains emplois publics est, en soi, une bonne chose, mais il faudra veiller à ce que l'hypothèque légale sur les biens des intéressés ne serve pas de prétexte à les priver de leur éligibilité à d'autres fonctions publiques à l'avenir. On peut aussi mettre en place des systèmes qui garantissent que les coupables seront attrapés, jugés et condamnés. Mais cela suppose évidemment que le juge lui-même est à l'abri de la corruption.


D'où il suit que, pour nous, le plus efficace est d'attaquer la corruption à sa source a) dans la réduction du champ d'intervention de l'État dans la société et dans l'économie, b) dans l'exigence de transparence et d'intelligibilité des lois, des règles et des procédures c) dans l'attitude exemplaire des dirigeants vis-à-vis du phénomène de corruption.


B. Porter les ressources à la hauteur des ambitions

Pour construire un système financier adapté à la croissance, il y a plusieurs actions à entreprendre :

i) Résoudre le dilemme du volume d'investissements actuellement en cours dans l'économie.


Augmenter les investissements est la clé de la croissance. Toute projection de croissance, quelle que soit l'économie, est basée sur l'augmentation des investissements. La nôtre n'échappe pas à la règle. Les organisations internationales qui se préoccupent de la croissance de l'économie haïtienne sont unanimes à baser leurs projections sur la nécessité d'augmenter le taux d'investissement et de le porter tantôt à 4 % du PIB, tantôt à 6%. Malheureusement, ces pourcentages n'ont pas de base sérieuse car on estime généralement, depuis environ 4 à 5 ans, que le taux d'investissement dans notre économie est de l'ordre de 25 à 30 % l'an, qui est un taux considéré dans le monde entier comme extrêmement élevé. On sait également que pendant cette même période, en dépit de ce taux élevé d'investissements, la croissance par tête est, au mieux stagnante, quand elle ne décline pas purement simplement. Nous pensons que aussi longtemps qu'on n'aura pas identifié clairement les causes réelles de l'inadéquation du taux de croissance par rapport au taux d'investissements supposés, toute projection de croissance basée sur un quelconque taux d'augmentation des investissements reposera nécessairement sur du sable. Qu'en est-il exactement ? Est-ce le PIB qui serait sous-estimé ? Comptons-nous comme investissements publics toutes les dépenses financées par l'aide internationale même quand de telles dépenses ne porteraient que sur le fonctionnement ? Existerait-il, dans notre système fiscal, des dispositions qui inciteraient le secteur privé à déclarer comme investissements en capital des importations qui ne seraient, en réalité, que des biens de consommation et des biens intermédiaires ? Tout ce que nous savons, en clair, c'est que ces soi-disant 25 à 30% d'investissements/PIB ne rapportent quasi rien en termes de croissance. Il faudra donc vérifier a) la véracité de ces 28-30 %, b) s'ils sont vrais, pourquoi sont-ils inefficaces ? Serait-ce le fait de la corruption ? Ou alors, incompétence ou simple erreur de calcul ? Quoi qu'il en soit, aussi longtemps qu'on n'aura pas obtenu des réponses satisfaisantes à ces question-là et qu'on n'y aura pas remédié, l'économie haïtienne évoluera dans le brouillard et toute spéculation de croissance sera, au mieux, spéculative et aléatoire, au pire, mensongère et pénalisatrice.


ii) Les besoins d'investissements présentés par le Gouvernement aux donateurs en juillet 2006 étaient estimés entre $ 5 à 7 milliards. Cette estimation ne comprenait ni les salaires, ni l'entretien, ni les biens et services. On sait par ailleurs que les dépenses de fonctionnement imputables à tout investissement dans le transport, l'énergie, la santé et l'éducation se situent aux alentours de 5 à 33 % de la dépense d'investissements. D'où il ressort que les dépenses, sur une base permanente, devraient atteindre, comme conséquence de l'effort massif d'investissements, une proportion extrêmement élevée du PIB. Pour ce qui est de 2009, le budget prévoit une dépense globale de G. 80 milliards, sur lesquels il est prévu que G. 47 milliards viendraient de l'extérieur. Nous n'avons donc pas les moyens de nos ambitions, et il n'est pas évident que les autres soient disposés à nous les fournir intégralement. Il faudrait, pour réduire l'écart, porter le ratio revenus/PIB à au moins 20 %, à l'instar d'autres pays de niveau économique comparable. Le problème n'est pas dans la structure du système mais dans le recouvrement et l'assiette fiscale, le nôtre étant identique à celui d'autres pays sous-développés mais dans le rendement. La TCA, avec un taux égal, apporte davantage au Guatemala et, à un taux moindre, davantage en République Dominicaine. Il faudra donc, pour adapter les moyens à l'ambition de croissance, renforcer l'efficacité de recouvrement et, au besoin, élargir substantiellement l'assiette.


iii) Inciter le secteur bancaire à soutenir la croissance.

Le secteur bancaire est fortement concentré, avec 80 % des avoirs entre les moins de trois banques, et 10 % d'emprunteurs individuels recevant environ 80 % des prêts. La moitié des crédits va au commerce et aux services. L'agriculture et le transport reçoivent moins de 1 %. Au lieu d'augmenter, le ratio de crédit par rapport au PIB a décliné, passant de 13% entre 2002 et 2005, et les prévisions pour 2007-2009 faisant ressortir une moyenne entre 11 à 12 %. Une part considérable des crédits bancaires va au financement des bons BRH lesquels sont passés de 9 % du total en 2002 à 10,6 % en 2006. Aussi longtemps que le secteur bancaire n'ara pas contribué à diversifier son portefeuille et à promouvoir le secteur privé et la productivité, la croissance sera limitée. Et c'est à l'État qu'il appartient de réduire le niveau d'incertitude qui conduit les banques à pratiquer des taux d'intermédiation considérablement plus élevés que partout ailleurs dans la Caraïbe, à garantir la validité des droits de propriété sur la terre et à se tenir prêt à intervenir dans tous les cas où (qu'on pense aux coopératives en 2002) le système serait menacé de crise grave.


iv) Les dépenses du gouvernement sont hautement centralisées, et le budget n'est pas un instrument de redressement des inégalités.


Dans le budget 2008-2009, il n'existe aucune mention de la répartition des allocations budgétaires entre les différents départements géographiques. On sait seulement qu'en 2006-2007 le Gouvernement central s'était attribué 72 % du budget (G. 46,4 milliards) ne laissant aux dix départements géographiques que 28 % (18,2 milliards) à quoi il faut ajouter que la répartition entre départements ne reflétait en rien l'incidence de pauvreté, comme suit :


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Année fiscale 2006-2007

Distribution géographique du budget du Gouvernement par département

(en millions de gourdes)



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v) Les dépenses de transferts et de subventions dans les dépenses de fonctionnement aux entreprises publiques mal gérées ont triplé entre 2003-2006 et ont représenté une moyenne de G. 5 milliards par an entre 2006 et 2008, réduisant d'autant la part des allocations budgétaires qui auraient pu aller aux dépenses productives d'infrastructure de santé et d'éducation. En 2005, la subvention à l'EDH était G. 1,6 milliard dont G. 618 millions à Sogener, G. 610 millions à Alsthon, G. 545 millions à Total en vertu de contrats « take or pay » et de G. 2,1 millions à la Dinasa.


vi) La part des salaires des fonctionnaires dans l'économie est extrêmement élevée (4,9 % du PIB en moyenne entre 2006-2008) mais est extrêmement faible par rapport aux salaires des fonctionnaires des autres pays sous-développés (6-7 % du PIB). De ce fait, la capacité du Gouvernement à attirer et à garder des fonctionnaires compétents et non corruptibles, capables de consacrer leur plein temps et leurs efforts à faire avancer l'agenda de la croissance économique est limitée.


vii) Dans le budget 2008-2009, 95 % des ressources sont allouées au « Pouvoir Exécutif », confirmant et aggravant ainsi la pratique des années 2002-2007 pendant lesquelles les allocations au pouvoir exécutif représentaient 95 % du total, reléguant le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire à la rubrique « Autres Administrations » avec un total combiné extrêmement modeste de G. 2,6 milliards.


A suivre...
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vendredi 8 mai 2009

Canada/avril 2009: L'emploi est en hausse, mais le taux de chômage reste stable

Selon une enquête de Statistique Canada sur la population active, l'emploi a progressé de 36 000 en avril 2009, à cause d'une hausse du travail indépendant. En dépit de cette augmentation, l'emploi global a diminué de 321 000 depuis le sommet atteint en octobre 2008.

L'enquête de Statistique Canada révèle que le taux de chômage est resté inchangé en avril 2009; il se situe à 8,0 %. Il est également demeuré à son niveau le plus élevé en sept ans car la hausse de l'emploi coïncide avec une croissance de la population active.

Les graphiques suivants montrent l'évolution de l'emploi et du taux de chômage au Canada entre janvier 2006 et avril 2009.


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Évolution de l'emploi au Canada. Graphique: Statistique Canada, avril 2009
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Évolution du taux de chômage au Canada. Graphique: Statistique Canada, avril 2009
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Pour plus de détails, cliquez sur le lien suivant
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