Source: Le Nouvelliste, 7 mai 2009
Par Marc L. Bazin
Président (MIDH)
marclouisbazin@hotmail.comC. Nous convertir à une approche plus orthodoxe de l'aide internationale
Puisque Haïti est un pays en déficit chronique, que nous n'avons pas (comme la Jamaïque) accès au marché international sur lequel nous pourrions émettre des bons, que les accords passés avec le Fonds Monétaire International nous interdisent de recourir à la planche à billets, l'aide internationale à des conditions de faveur est notre seul recours pour le financement des déficits. C'est bien ce qui se passe en réalité. Entre 2005-2008, l'aide internationale concessionnelle a financé pour G. 13 milliards de soutien budgétaire, G. 38 milliards de dons pour des projets et G. 50 milliards d'aide aux investissements, pour un total d'environ G 100 milliards, soit donc une moyenne de G. 20 milliards par an. À ce financement des déficits par l'aide internationale, il faut ajouter les allègements de la dette, l'assistance technique, les aides humanitaires et les dons en nourriture.
Mais l'aide étrangère n'a pas que des qualités. Elle est imprévisible dans son montant. Son rythme de déboursement est souvent lent. Une grande partie de l'aide passe par les ONG, non par le Gouvernement. Souvent les donateurs ont des procédures différentes. De tout cela, Haïti se plaint. À bon droit. Mais surtout Haïti voudrait que l'aide augmente. Ceci aussi est normal et logique, compte tenu de nos besoins. Mais dans notre conception, dans la manière dont nous percevons nos rapports avec l'aide internationale, il y a quelque chose de malsain et de profondément vicié à la base. Nous avons tendance à nous comporter et à raisonner comme si l'aide était un dû et non pas un concours volontaire de la part des donateurs. Jugez-en vous-mêmes.
Dans un document intitulé « Vers un nouveau paradigme de coopération, Washington 14 avril 2009 », préparé à l'intention de la réunion de Washington, on lit : « Dès les premiers travaux préparatoires, il est clairement apparu que les partenaires de la Communauté internationale attendaient les décisions du Gouvernement sur des sujets en discussion depuis un moment déjà. »
Ces sujets sont :
- l'augmentation des recettes propres, notamment par la taxe sur les communications
- la diffusion publique de rapport sur l'exécution du Programme d'urgence
- le financement du Fonds d'Entretien Routier en adéquation avec les investissements consentis
- la grille de planification de l'électricité en rapport avec les coûts de production
- la facilitation des investissements.
En ce qui nous concerne, et en ce qui concerne toute personne sensée et de bonne foi, il ne devrait pas y avoir, sur l'une quelconque de ces questions, matière à débat puisqu'il s'agit, soit d'un problème de transparence dans la gestion des fonds publics, soit d'un problème de gestion efficace de nos maigres ressources. Pourtant, à toutes ces questions, le rapport donne des réponses pour le moins inattendues et équivoques. Le rapport dit : « Le Gouvernement est disposé à agir lorsque les conditions favorables sont réunies. Par ailleurs, il doit y avoir réciprocité dans la mesure où les gains pour la population en termes de quantité et de qualité de services permettent de justifier tous les sacrifices et efforts additionnels. Pour que les mesures attendues soient politiquement et socialement acceptables, elles doivent correspondre à un apport de ressources conséquent. » En clair, si la communauté internationale veut que Haïti augmente ses recettes propres, et publie un rapport sur la manière dont les fonds vénézuéliens ont été utilisés, il faut qu'elle nous dédommage au préalable et qu'elle nous paie en conséquence. De toute évidence, il y a maldonne, d'autant plus que dans ce même document Haïti propose « un plan sur un horizon de douze à dix-huit mois (exercices 2008-2009 et 2009-2010) au coût total de $ 792 millions », auxquels s'ajoutent $ 125 millions au titre du Programme de redressement des finances publiques. Entre les besoins des programmes ci-dessus et la réponse faite aux demandes de transparence et de bonne gestion, l'écart est considérable, et il n'y a pas lieu de s'étonner que le Canada ait rendue publique sa décision de ne pas participer à un quelconque financement à court terme, ni non plus que, en dehors d'un beau succès diplomatique, la réunion de Washington se soit soldée par des résultats financiers maigres par rapport aux attentes.
L'approche que nous-mêmes nous proposons pour l'aide étrangère se formule comme suit. Nous devrions pouvoir dire aux donateurs : « Voici notre stratégie de croissance. Voici nos priorités. Voici les règles que nous nous fixons pour atteindre à la croissance. En voici le coût et également voici notre contribution. » Sur cette base, les concours extérieurs viendraient en complément de nos moyens propres et non comme le début, et encore moins, comme une condition sine qua non, de notre propre action. Nous pensons que les autorités devraient changer d'attitude et adopter vis-à-vis de l'aide internationale une attitude plus orthodoxe.
Pour obtenir davantage d'aide, il y a des règles à observer. Citons-en au moins quatre :
- tout d'abord, la démonstration par des actes concrets que notre pays assume son effort de développement et ne considère pas les réformes comme des obligations imposées de l'extérieur que l'on subit parce que c'est le prix à payer pour recevoir de l'aide et vis-à-vis desquelles on doit pouvoir marronner aussi longtemps que possible
- nous devrions renforcer notre capacité d'analyse et d'identification des contraintes à notre potentiel d'absorption de l'aide et mettre en place des mécanismes propres à lever ces contraintes
- nous devrions espacer les interventions en fonction des contraintes, aligner les décisions d'investissements publics en fonction des priorités et établir des liens étroits entre le processus de décision relatif à la stratégie de réduction de la pauvreté et les différentes parties appelées à participer à, ou à bénéficier, de l'exercice
- finalement, le grand défi est d'établir un dispositif efficace de facilitation de l'augmentation de l'aide. L'idée centrale d'un tel dispositif est de lier les Ressources aux Résultats (R&R), c'est-à-dire d'établir un lien clair entre les ressources nouvelles et la stratégie propre du Gouvernement et les résultats additionnels qu'on est en droit d'attendre des ressources en augmentation.
Ces principes d'alignement et d'harmonisation de l'aide par rapport aux résultats ont été bien compris et absorbés par de nombreux pays sous-développés (Rwanda, Ouganda, Ghana). Le cas du Ghana est particulièrement intéressant. Le Ghana a deux atouts. Son taux de croissance économique est de 5 à 6 % par an. Son plan vise à porter le taux de croissance à 8,5 %. Le Ghana a articulé clairement ses objectifs de développement et a défini non moins clairement les politiques et les programmes qui lui permettront d'atteindre ses objectifs. En juin 2006 s'est tenue à Accra une Conférence des donateurs. Ces donateurs ont augmenté l'aide de manière considérable, y compris $ 5 milliards ($ 800 millions de plus que ce qui avait été promis six mois auparavant), plus $ 1,3 milliard d'allègement de la dette, soit donc $ 6,3 milliards pour quatre ans. Oui, nous avons bien dit 6,3 milliards de dollars !
À notre avis, c'est toute l'argumentation du problème de l'augmentation du volume de l'aide qu'il nous faudrait repenser. La question du volume de l'aide étrangère devrait se poser, non pas en termes d'équité ou de justice, c'est-à-dire en termes de « faire quelque chose » pour Haïti, encore moins en termes de dette des donateurs mais, plus fondamentalement, au regard de l'objectif de croissance.
Prenons, par exemple, le cas de l'infrastructure. Le raisonnement qui devrait guider notre demande d'aide devrait partir de la pénalisation que nous impose l'obligation de stricte observance de la stabilité macroéconomique. On sait que les projets d'infrastructure ont un taux de rentabilité parfois élevé (de 20 à 25 %). On sait aussi qu'un niveau élevé d'investissements publics dans l'infrastructure augmente le taux d'investissements privés dans l'économie et que, quand les deux sont complémentaires, une augmentation du taux d'investissement dans l'infrastructure augmentera la rentabilité de l'investissement privé et la quantité du stock de capital. Depuis longtemps, les investissements en capital d'Haïti, faute de ressources et à cause du blocage de la règle du déficit zéro, ne représentent qu'un pourcentage faible de son PIB. Le fait que l'investissement public en infrastructure soit faible par suite des politiques d'ajustement a réduit le taux de croissance de 1 % du PIB dans plusieurs pays d'Amérique latine entre 1980 et 1990. Ceci est forcément vrai chez nous. Il faut donc investir davantage dans l'infrastructure. Malheureusement, le niveau d'infrastructure nécessaire pour servir d'aimant à la croissance est élevé. Il y a un minimum d'infrastructure en deçà duquel un pays ne peut pas descendre s'il veut que l'infrastructure contribue à la croissance et à l'augmentation de la productivité. Pour atteindre à ce minimum d'infrastructure, un pays comme le nôtre, qui part de très bas, aurait besoin d'un niveau élevé d'investissements publics d'infrastructure sur une longue période.
Une aide étrangère en augmentation pour le financement de l'infrastructure en Haïti est donc une nécessité non seulement à cause de notre faible capacité de financement public mais aussi parce que le minimum indispensable d'investissements nécessaire est élevé (routes, électricité, ports, télécommunications), parce que la réduction de la part du budget d'infrastructure imputable aux programmes d'ajustement a fait baisser la croissance, et a réduit, plutôt qu'elle n'a accru, le niveau de solvabilité financière et a aggravé la pauvreté.
Si notre conception de l'aide étrangère n'est pas très orthodoxe, elle est également, à beaucoup d'égards, passablement étroite. Nous pensons qu'il y a plusieurs autres domaines auxquels le champ de la coopération pourrait être élargi. Nous en voyons au moins deux dont le potentiel économique est considérable. L'un est l'adhésion d'Haïti à l'Accord CAFTA-DR. Un autre est un règlement légal et ordonné du problème de la migration.
D. Rechercher l'inclusion d'Haïti à l'Accord CAFTA-DR
Signé en 2004 entre les États-Unis et plusieurs pays d'Amérique centrale dont la République Dominicaine, CAFTA-DR (Central American Force Trade Agreement) est un accord commercial qui vise à éliminer les droits de douane, à réduire les barrières non-tarifaires, et à faciliter les échanges commerciaux entre les États-Unis et l'Amérique centrale. Bien entendu tous ces pays (Costa Rica, El Salvador, Guatemala, Honduras, Nicaragua, République Dominicaine) entretiennent déjà, comme nous, des relations commerciales privilégiées avec les États-Unis dans le cadre d'accords préférentiels du type CBI. Mais CAFTA-DR est plus ambitieux. Il est plus complet, et il transforme fondamentalement la nature des relations commerciales avec les États-Unis. Il ne s'agit plus, comme avec le CBI, d'une concession unilatérale des États-Unis sous forme d'arrangements préférentiels mais d'un accord bilatéral permanent, ce qui donne à ces pays d'Amérique centrale un accès élargi à un plus vaste marché sans limite dans le temps et augmente les chances d'investissements directs. Avec CAFTA-DR, les droits de douane sur toutes les exportations non-agricoles et non-textiles de l'Amérique centrale vers les États-Unis et les droits de douane sur 80 % des exportations non-agricoles et non-textiles des États-Unis vers l'Amérique centrale sont réduits. Les droits de douane sur d'autres produits seront éliminés progressivement sur une période de 5 à 20 ans. Si l'Accord prévoit des périodes de transition de 20 ans pour plusieurs produits agricoles, maintient des droits de douane à l'importation sur le sucre et le maïs et si une large gamme de produits (viande de boeuf, beurre, fromage, lait et cacahuètes) continuera à être protégée par des quotas d'importation, il n'en est pas moins une nouveauté extraordinaire en raison de son caractère permanent et de ses implications pour le flux d'échanges commerciaux et d'investissements. Qu'il suffise de se référer au cas mexicain et à NAFTA. Après NAFTA, les échanges commerciaux du Mexique avec les États-Unis ont, entre 1993 et 2003, plus que doublé en termes de dollars, la part du commerce dans le PIB du Mexique est passée de 40 % entre 1980 et 1993 à 58 % depuis NAFTA, et les investissements américains au Mexique sont passés de $ 12 milliards entre 1991 et 1993 à $ 54 milliards entre 2000-2002.
Les effets sur notre croissance de la signature d'un tel Accord avec les États-Unis seraient considérables. Non seulement la libéralisation commerciale dans des conditions normales est porteuse de croissance et réduit les prix des produits de consommation importés mais il y a plusieurs autres créneaux par lesquels une telle libéralisation favoriserait des investissements notamment à travers l 'augmentation de l'épargne nationale, la réduction du coût du capital, l'élargissement du secteur financier et le transfert de technologies a fortiori si un tel transfert de technologies est associé à l'effet de mobilité de la main-d'oeuvre que nous évoquons ci-après.
E. Rompre le cercle vicieux de la migration
Haïti est le pays sous-développé avec le taux le plus élevé de migration de personnes de niveau universitaire, 88 % des Haïtiens qui émigrent le font parce qu'ils ne trouvent pas en Haïti des opportunités pour travailler. Le cercle vicieux vient de ce que notre pays ayant perdu une quantité considérable de gens qualifiés, la capacité d'Haïti à générer des investissements productifs et à alimenter la croissance de la productivité en est réduite d'autant, ce qui a pour effet de nourrir encore davantage la migration des gens qualifiés. Devant une telle situation, on peut dire deux choses : soit qu'il faut arrêter de former des gens qualifiés aussi longtemps que les autres facteurs qui font obstacle à la croissance (et qui empêchent de leur trouver du travail) ne sont pas levés. Ou bien que les pays appelés à profiter de la migration haïtienne qualifiée (en attendant qu'Haïti améliore sa capacité propre d'absorption de ses cadres), nous aident à financer le cursus universitaire, et pas seulement les médecins et les ingénieurs et l'informatique, mais aussi les infirmières, les plombiers, les maçons et les réparateurs de cellulaires. Ceci contribuerait, d'une part, à soulager l'État des $ 248 par tête qui lui coûte l'enseignement universitaire, de renforcer le financement du préscolaire ($ 81 par tête) et du secondaire ($ 69 par tête), et d'autre part, permettrait à l'aide internationale d'influencer la formation universitaire en Haïti en fonction d'un marché du travail élargi.
De toute manière, migration ou pas, l'aide internationale au financement du cursus universitaires est indispensable. D'une part, parce que la formation d'une main-d'oeuvre éduquée est une composante essentielle de toute politique de croissance mais aussi parce que, même si on n'évalue qu'à un minimum de $ 100 par tête la contribution de l'État à une éducation de qualité au seul niveau primaire, Haïti devrait investir $ 200 millions (soit le double de ce que nous dépensons actuellement) chaque année pour soutenir chacun des élèves du primaire.
Les 88 % d'Haïtiens qui émigrent ont la plupart du temps reçu leur éducation avec des fonds publics. Le coût de la migration en termes de perte pour la société et l'économie d'une population de niveau universitaire est important ne serait-ce qu'en termes de perte de main-d'oeuvre, à quoi il faut ajouter la perte de productivité de ceux restés au pays, désormais privés d'encadrement et les coûts payés par l'État pour assurer l'éducation. Les envois de l'étranger représentent-ils une juste et suffisante compensation ? Ceci est évidemment difficile à calculer. Faudrait-il instituer une taxe à l'aéroport ? Le taux de ladite taxe par tête devrait être élevé pour rapporter un niveau de réserves substantiel. De toute manière, les Etats-Unis sont le seul pays qui taxe leurs citoyens en fonction de la citoyenneté en lieu et place du lieu de la résidence. La solution serait-elle dans la réorientation du système éducatif, une réorientation qui nous amènerait à concentrer l'effort sur des activités économiques (agriculture, tourisme, services) pour lesquelles l'économie haïtienne aurait un besoin prioritaire, lequel théoriquement découragerait la migration ? Ambitieux mais risqué, notre capacité d'absorption de main-d'oeuvre qualifiée même dans ces domaines prioritaires, étant limitée et notre compétitivité par rapport à l'extérieur - ne serait-ce que le reste de la Caraïbe - incertaine. En partant à l'étranger et en gagnant bien leur vie, grâce à leur diplôme financé par l'État haïtien, les migrants jouissent des fruits de la rentabilité privée de l'éducation, mais la rentabilité sociale de l'éducation est ignorée. Si leurs études avaient été financées avec des prêts, on pourrait dire qu'un moyen de récupérer sur l'utilité sociale aurait été de diminuer le remboursement des prêts d'un montant déterminé en fonction du temps que les bénéficiaires passeraient au pays, une fois leur diplôme obtenu. Mais nous n'avons pas de système de prêts et, en tout état de cause, il ne saurait être question, après que nous avons été incapables de construire un système économique qui leur donne un emploi bien rémunéré et des conditions de vie acceptables pour eux, et leur famille, d'empêcher que nos compatriotes tentent leur chance ailleurs.
C'est pourquoi nous pensons que la meilleure solution est d'adopter une politique de la diaspora qui consisterait à rechercher le financement d'une partie du cursus universitaire et de certaines professions techniques par l'aide extérieure, à charge par les donateurs de privilégier celles des formations les plus conformes aux besoins de leur large marché.
Le fait que des Haïtiens seraient formés grâce à un financement extérieur dans des disciplines conformes aux besoins des pays d'accueil ne signifierait pas que ces Haïtiens soient perdus à jamais pour Haïti. Ils continueraient d'agir comme courroie de transmission du savoir, de contacts avec les firmes étrangères et la technologie. Nous pensons que Haïti et le pays d'accueil devraient signer des accords qui facilitent le retour soit en permettant la double nationalité, soit en permettant aux Haïtiens de la diaspora, une fois revenus en Haïti, de continuer à bénéficier de leur droit à la pension et à l'assurance-santé.
S'agissant des travailleurs saisonniers de qualification limitée, Haïti se doit de rechercher la signature d'un accord (type mexicain) avec les États-Unis qui permettrait à des contingents d'Haïtiens de contribuer au développement de l'agriculture, du tourisme et de la construction aux États-Unis. Il existe actuellement des centaines d'accords de ce type dans le monde, y compris 168 signés au cours des 50 dernières années, dont la moitié au cours des dix dernières années. Une fois la récession terminée aux États-Unis - et nous espérons que ce sera pour bientôt - un accord de migration temporaire et légal de main-d'oeuvre haïtienne vers les États-Unis réduirait considérablement, et peut-être même, éliminerait le nombre de boat people, contribuerait à augmenter la compétitivité américaine vis-à-vis de plusieurs pays dont certains, en raison de la crise, inclinent de plus en plus au protectionnisme et, une fois revenus au pays, les migrants temporaires investiraient et augmenteraient la compétitivité de notre agriculture. Un autre avantage non négligeable d'un tel Accord avec les États-Unis est qu'il ferait baisser le niveau de l'offre de travail haïtien en République Dominicaine et aux Bahamas, et réduirait la tension permanente entre nous et les voisins que constitue la migration illégale.
F. Augmenter les investissements et l'épargne
Une croissance forte et soutenue ne se conçoit pas sans des investissements élevés. Aucun des pays qui ont augmenté leur taux de croissance substantiellement n'a un taux d'investissement inférieur à 25 % du PIB. La question de savoir quelle proportion d'investissements devra aller tel ou tel secteur sera traitée dans la troisième partie de cet article. À ce stade, signalons simplement, pour le principe, que toute augmentation des investissements passe par un choix entre consommation et dépenses, entre maintenant et plus tard. Il y aura donc toujours un choix à faire entre le court et le long terme. De même, il faudra toujours garder à l'esprit que si les dépenses publiques en infrastructure facilitent l'investissement privé et en augmentent le rendement, les budgets publics excessifs évacuent le secteur privé. Les dépenses se financent par l'impôt, l'emprunt, l'inflation ou l'aide extérieure. L'aide extérieure n'étant pas infinie, le recours abusif aux autres modes de financement priverait le secteur privé des ressources dont autrement il pourrait disposer pour financer ses investissements. Il y a donc un équilibre à trouver. D'un autre côté, rien n'interdit - au contraire - tout encourage le Gouvernement à associer le secteur privé à l'augmentation de l'investissement, notamment en matière de télécommunications (les téléphones cellulaires en sont un bon exemple). Ceci dit, le Gouvernement devra se garder de traiter le produit de l'investissement privé comme une vache à lait. Toute politique systématique de transfert de revenus du consommateur à l'État, par le biais de la télécommunication privée, ne peut aboutir qu'à augmenter le prix du service, et à mettre le service hors de portée de la majorité de la population.
Quant à l'épargne, il n'existe pas un seul cas de croissance qui ne se soit accompagné d'une augmentation de l'épargne. De la même façon que la croissance dépend des investissements, les investissements dépendent de l'épargne nationale d'abord et non pas de l'épargne de l'étranger. Or, l'épargne du secteur public est, chez nous, extrêmement faible, pour ne pas dire, nulle. L'épargne a trois composantes : les ménages, les entreprises, le Gouvernement. Les ménages sont trop pauvres pour épargner et de toutes façons, ne disposent pas en quantité d'instruments de collecte de l'épargne qui en faciliteraient l'accumulation. Le secteur privé épargne davantage - et de loin - que les ménages et le Gouvernement mais ne compense pas l'insuffisance des deux autres secteurs.
L'insuffisance de l'épargne et la faible part relative de deux des secteurs apparaît ci-dessous. Entre 2002 et 2009, la situation de l'investissement et de l'épargne a évolué comme suit :
Investissement et Épargne publique 2002-2006
(en % du PIB)
Investissement 2002 2003 2004 2005 2006
Total ................ 25,1 30,7 27,3 27,4 28,9
Public ................ 4,3 7,0 6,8 7,1 5,3
Privé ................. 20,8 23,7 20,6 20,3 23,5
***
Épargne 2002 2003 2004 2005 2006
Total ....... 24,2 29,1 25,7 30,1 28,9
Publique... -1,1 -0,3 1,3 1,5 1,6
Privé ..... 25,3 29,5 24,4 28,6 27,3
***
Ce que font ressortir ces tableaux est d'une part que l'investissement public est anormalement faible, que sa part par rapport au secteur privé est sévèrement déséquilibrée et ce, dans le temps même où les imbroglios du montant réel d'investissements publics ne sont pas éclaircis. Quant a l'épargne, la différence entre les deux secteurs est encore plus accentuée au détriment du secteur public. Des chiffres provisoires nous indiquent que les mêmes tendances se retrouvent en 2008 et en 2009, comme suit :
Épargne publique (en % du PIB)
2007 2008 2009
Total 21,5 28,3 28,4
Publique 2,9 3,0 1,4
G. Renforcer la capacité de l'État
En lieu et place d'une entité fonctionnelle qui possède et exerce le monopole légitime de la force, garantit l'état de droit et fournit aux Haïtiens un minimum des services qui leur sont nécessaires pour la survie au quotidien, l'État aujourd'hui est le haut lieu de la confusion des pouvoirs entre ses différents organes, et de délégitimisation des institutions et du processus démocratique. De ce fait, il n'inspire pas confiance, et ne fournit pas au secteur privé l'espace légal, institutionnel et psychologique dont il aurait besoin pour investir et entreprendre.
Pour servir à la croissance, l'État devra donc renforcer sa capacité àassurer la sécurité à l'intérieur d'un régime d'état de droit, sur tout le territoire, à assurer à faire respecter l'indépendance des pouvoirs, à gérer les finances publiques dans la transparence, et à donner aux Haïtiens un minimum d'accès à l'école, à l'eau potable, à l'électricité, aux soins de santé et à une alimentation décente.
H. Transformer les jeunes en acteurs de développement
Les chiffres parlent d'eux-mêmes. D'un côté, les jeunes représentent plus de 50 % de la population globale. Entre 15 et 24 ans, ils sont 2.300.000. Entre 10 et 24 ans, ils sont 3.200.000. Marginalisés à l'extrême, c'est dans leurs rangs que sévit le plus fort pourcentage de chômeurs, que se retrouve le taux le plus élevé de VIH/Sida et le rêve de l'immense majorité des jeunes, c'est de fuir, c'est de quitter Haïti à n'importe quel prix, fût-ce au péril de leur vie. D'un autre côté, sur 9 millions d'Haïtiens, il y en a 3,3 millions au bord de l'agonie et de la malnutrition. L'agriculture est incapable de nourrir la population. L'environnement est saccagé à 97 % dans le temps même où les prix des produits alimentaires sont à la hausse. Compte tenu du bas niveau de productivité de nos agriculteurs, il faudra attendre un certain temps avant que la production arrive à éviter la famine chez les millions de personnes déjà cataloguées comme étant d'extrême vulnérabilité. Créer un Service National qui mobiliserait les jeunes pour la protection des bassins versants, la réhabilitation des infrastructures et leur donnerait un salaire est un projet win-win dont l'un des mérites principaux serait d'associer une portion saine et négligée de la population à une tâche de régénération du secteur de production le plus important, lequel est en état d'extrême fragilité.
Prochain article : III. Les composantes d'une stratégie.
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http://www.lenouvelliste.com/article.php?PubID=1&ArticleID=69957&PubDate=2009-05-09//