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jeudi 17 juin 2010

Le Comité de Rédaction et du Pilotage du PSSN salue la mémoire de Marc L. Bazin

Source: Haïti-nation, Jeu 17 juin 2010, 14h 10min 15s

Marco,

Au moment où la nouvelle s'est répandue, il s'est passé au fond quelque chose d'étrange. Il y a eu comme un grand vide. Ce fut comme si chaque Haïtien découvrait brusquement à quel point votre présence lui était devenue familière. Avec votre disparition, Haïti ne perd pas seulement un homme politique, un économiste, ministre de l’Économie et des Finances, Premier ministre, ministre de la Planification et de la Coopération Externe, ministre sans portefeuille chargé de la négociation, chef de parti. Vous avez occupé des postes et des fonctions importants tant sur le plan international que national. Dans le silence de l’action, et avec l’expérience qui est la vôtre, vous avez magistralement contribué à la réussite du colloque de Santo Domingo qui allait donner naissance au Plan Stratégique de Sauvetage National (PSSN). Vous avez contribué par vos idées à la rédaction du PSSN en tant que conseiller. Beaucoup d’institutions prévues dans le PSSN n’auraient pas été insérées dans le document final sans le dialogue édifiant que vous avez engagé après le colloque de Santo Domingo. D’ailleurs, vous l’avez dit si la classe politique avait pu réussir à mettre tout le monde ensemble après le départ de Duvalier en 1986, au-delà des clans et des sensibilités idéologiques, on aurait évité au pays les occupations étrangères et la misère qui l’accompagne. Vous avez vu dans la rencontre patriotique pour le sauvetage national, un acte de rédemption nationale. Avec le temps, même les gens qui n’étaient pas de votre famille idéologique, nous dirions sociale-libérale, ont fini par vous appréciez.


Vous avez servi l'État, c'est parce qu'il était pour vous l'instrument de la justice, la protection des plus faibles, le garant de cette unité nationale que vous voyiez si fragile et qui était presque compromise. Mais cet État vous l’avez voulu impartial, au-dessus des partis, des factions, des clans, des intérêts. L'État, la Nation, la République, ce fut le cœur de votre engagement, nous disiez-vous le 31 aout 2009 à l’Hôtel Jaragua à Santo Domingo. Ces mots, vous ne les avez pas seulement réhabilités. Vous les avez incarnés. Vous leur avez donné votre visage, votre voix. Dans la façon dont vous les prononciez, il y avait une sincérité émouvante qui leur donnait une force particulière.

Des idées pour l’action, vous y aviez contribué. Le calme et la force de la persuasion vous en étaient inséparables. L’art oratoire a été pour vous un acquis de notoriété publique. Les questions de société et le débat national ne vous ont pas laissé indifférent. Vous avez alimenté le débat national en idées. Vous n'avez pas été seulement un observateur de la scène nationale, vous avez été un acteur important. Vos idées sur le développement économique du pays vont marquer plusieurs générations.

En ce moment difficile, le Comité de Rédaction et de Pilotage du PSSN salue la mémoire de l’un de ses conseillers et se prosterne devant ce serviteur de nation qui a marqué son temps. Marco, vous avez voulu mettre l’économie au service de l’homme et non l’homme au service de l’économie. Cette idée marque tout le texte du Plan Stratégique de Sauvetage National.


Que la terre vous soit légère !


Fait ce jeudi 17 juin 2010

Rudolph H. Boulos
Coordonnateur de la Rencontre de Santo Domingo et du Comite de Pilotage du PSSN

Guichard Doré
Conseiller Technique au Comité de Pilotage du PSSN

Lucie Marie-Carmel Austin
Conseillère à l’Éducation au Comité de Pilotage du PSSN
___________________________________
NDCDP.-
Le Coin de Pierre salue bien bas le départ de ce grand homme pour l'au-delà.
Il est allé rejoindre un autre grand homme, Frantz Merceron.

vendredi 4 septembre 2009

Haïti: «Un agenda pour l'avenir»

Une communication de Marc L. Bazin au Colloque Sur le Sauvetage National

Santo Domingo – 28 – 30 Août 2009



Monsieur le Président,
MM. les Membres de l’Association des Pasteurs,
Mes chers Rudy Boulos, Jim Morrell, Turnep Delpé,
Mes Chers Amis,

Laissez-moi d’abord vous remercier de votre aimable invitation à participer à cet important colloque et de vous féliciter de l’excellente préparation de nos travaux. Laissez-moi aussi rendre hommage aux orateurs qui m’ont précédé à cette tribune pour l’exceptionnelle qualité de leurs interventions. Également, je compte sur vous pour transmettre aux autorités dominicaines ma haute appréciation de l’accueil cordial qu’elles ont bien voulu nous réserver dans leur pays.

Mesdames, Messieurs,
Chers Amis,

Le Comité préparatoire m’a demandé de présenter un exposé sur le thème « Un Agenda pour l’Avenir ». Cet Agenda, je l’ai préparé. Il porte sur 12 points comme suit :
1. Faire de la croissance économique le moyen central de la lutte contre la pauvreté.
2. Augmenter les investissements
3. Bien choisir les moteurs de la Croissance
4. Adopter une approche territoriale du développement
5. Augmenter l’épargne interne
6. Redresser les faiblesses du secteur des banques commerciales
7. Créer une Banque Publique de Développement Agricole & Indus-triel
8. Mettre de l’ordre dans les entreprises publiques
9. Proposer un nouveau concept et des mécanismes nouveaux de l’aide étrangère.
10. Faire une série d’émissions de « bons diaspora »
11. Faire baisser le poids de l’augmentation de la pression démogra-phique
12. Conduire la bataille contre les inégalités.

En conclusion : dégager les voies du rapprochement nécessaire entre Haïti et la République Dominicaine, un rapprochement qu’imposent aussi bien le bon sens que la nature des choses.

Mais avant de vous présenter cet Agenda point par point, je voudrais faire trois remarques :

1) Il s’agit d’un programme destiné à se réaliser sur une période de 5 ans.
2) La réalisation du programme assume qu’il est conduit par une extrê-mement large coalition de femmes et d’hommes de bonne volonté, sans distinction de clans ou d’idéologies. Il suffit que ces hommes et ces femmes soient des transformateurs et qu’ils fassent passer les inté-rêts d’Haïti avant leurs intérêts personnels.
3) Pour vous faire partager les enjeux, il convient en guise d’introduction que je vous dise quelques mots sur la situation au point de départ.

Quel est notre point de départ ?

Haïti est un cas spécial. Contrairement à ce qui s’est passé dans la plupart des pays sous-développés au début des années 80, chez nous, ce qu’on a appelé la crise de la dette n’était pas seulement le fait d’une faillite de la politique financière, d’inflation et de fuite de capitaux. S’il ne s’était agi que de cela, un simple exercice de redressement des finances publiques aurait suffi. Chez nous, la crise de la dette s’est également accompagnée d’un déficit de légitimité politique, lequel découlait de méthodes autoritaires et familiales d’exercice du pouvoir, du désarroi de l’appareil administratif et de pratiques de corruption généralisée. La nature multiple de notre crise de la dette a donné lieu à trois phénomènes de correction qui ont prétendu changer pour longtemps la contexture sociopolitique de notre pays.

Les 3 phénomènes sont :
§ Démocratisation
§ Stabilisation
§ Libéralisation commerciale.

Il s’agissait donc de trois défis de taille.
Aujourd’hui nous pouvons dire qu’aucun de ces défis n’a été relevé, ni complè-tement ni de manière satisfaisante.

§ L’ordre constitutionnel a été brutalement interrompu à deux reprises en 10 ans, suivi chaque fois d’une occupation étrangère.

§ Les règles électorales ont souvent été manipulées, contournées et vio-lées avec un taux d’abstention de plus en plus élevé.

§ Les exécutifs, même quand ils jouissaient de la légitimité populaire et de l’autorité charismatique, se sont souvent montrés maitres de la tactique politicienne mais incertains quant au sens de la direction qu’il convenait d’imprimer au pays.

§ Le Parlement a souvent été le reflet non pas de partis politiques avec programmes et structure nationale mais de personnalités à forte ambi-tion individuelle sans souci d’institutionnaliser la démocratie.

§ La libéralisation des échanges commerciaux a été intempestive et n’a pas fait augmenter les exportations aujourd’hui, le déficit budgétaire est de $50 millions et pour la première fois depuis juin 2003, la balance des paiements est négative cette année.

Autant de faits et d’évènements qui ont conduit le pays à la paralysie, entrainé la perte de confiance du peuple dans la capacité, ou même la volonté des dirigeants à améliorer sa condition, ce qui l’a souvent forcé à choisir la route des humiliations ou la mort en haute mer, les deux générateurs de conflits avec nos voisins. Dès lors, la communauté internationale, une fois de plus consciente des risques que Haïti devienne de manière irrécupérable un foyer de déstabilisation et de terrorisme pour la sous-région, s’est dépêchée de nous envoyer, du niveau le plus élevé, un nouveau messager de l’espoir et de la délivrance.

Tel est, mes chers Amis, le contexte général dans lequel a été élaboré le projet d’Agenda que j’ai l’honneur de vous soumettre.

I - Faire de la croissance économique le moyen central
de la lutte contre la pauvreté.

Voilà, j’en conviens volontiers, un sujet qui devrait vous étonner. Car il est acquis, n’est-il-pas vrai ? que la pauvreté est notre problème No 1 et que c’est par la croissance que l’on réduit la pauvreté. Malheureusement au-jourd’hui, chez nous, la politique qui se fait n’est pas une politique de crois-sance mais une politique de stabilisation macroéconomique, laquelle se préoc-cupe avant tout d’éviter la hausse des prix et le déficit de sa balance des paiements. Malheureusement, cette politique de stabilisation, pour néces-saire qu’elle soit, ne s’accompagne pas du climat institutionnel qui aurait per-mis au secteur privé de prendre des risques et d’investir. Car ce secteur privé est contraint de fonctionner sans électricité, sans téléphones, sans des services portuaires efficaces et à bon prix, le tout aggravé par des règlements administratifs alambiqués propices à la corruption. Entre une stabilité macroéconomique rigide et un climat institutionnel pénalisant, la pauvreté n’a pas diminué et à poursuivre dans les voies d’à présent les commentateurs les plus optimistes pensent qu’il nous faudra attendre trente six ans pour réduire la pauvreté de moitié. Il nous faut donc sortir de ce guêpier et aller résolument vers la croissance, ce qui suppose évidemment un meilleur climat institutionnel et aussi une augmentation des investissements.

II – Augmenter les investissements

J’aurais aimé pouvoir vous dire de combien il conviendrait d’augmenter les investissements. Mais je ne sais pas et je ne peux pas savoir. « Pourquoi » ? Parce que, à simplement constater nos tableaux statistiques, le niveau actuel de l’investissement serait déjà de 28 - 30% du PIB. Or, 28-30% d’investissements représente dans tous les pays du monde un taux suffisant pour générer une croissance de l’ordre de 5-6% par an. Or, en Haïti, en dépit des soi-disant 30% d’investissements, il n’y a pas de croissance. Alors, que se passe-t-il ? Il y a trois hypothèses : Ou bien on compte pour investissements toutes dépenses financées par l’aide étrangère, même quand il ne s’agit pas, à proprement parler, d’investissements. Ou bien, les importateurs de biens d’équipements, pour des raisons fiscales, font passer pour investissements des biens de consommation. Ou bien nous dépensons vraiment 30% du PIB mais cet argent est détourné à d’autres fins. Alors, vous avez le choix : incompétence, fausses déclarations ou détournements de fonds. Dans tous les cas, il existe un besoin de clarification.

III – Bien choisir les moteurs de croissance

Investir, mais où, dans quels secteurs ?
a) Dans l’agriculture. Nous sommes un pays agricole et les rendements sont désespérément faibles. Il faudra dons non seulement favoriser aux plan-teurs l’accès à l’eau, à l’énergie, aux engrais et insecticides, mais lancer à vaste échelle des programmes de récupération des terres et de protection des bassins versants. Également, il conviendra de donner une haute priorité à l’investissement public et des incitations au secteur privé pour des inves-tissements créateurs d’emplois en milieu rural.

b) Dans les infrastruc-tures, dont l’état actuel est inacceptable. A titre de comparaison, la Répu-blique Dominicaine est desservie par 6000 Km de bonne route, nous à peine 1,000. Chaque Dominicain a à sa disposition 340 watts d’électricité. Chaque Haïtien, 27 Watts. Les logements, l’environnement dans les zones pauvres, les bidonvilles sont dans un état déplorable. Des plans nationaux devraient être élaborés et leur financement assuré par l’Etat avec de nouvelles res-sources.

c) Dans l’éducation, où les dépenses par élève devraient passer de $25 à $200.

d) Dans la santé, où les dépenses devraient passer de $25 à $50. e) dans l’assemblage et le tourisme, lesquels devraient bénéficier d’une politique fiscale adaptée aux besoins.

IV - Adopter une approche territoriale de développement

Une telle approche serait basée sur l’idée, déjà adoptée par le gouverne-ment actuel au stade pilote, que les acteurs locaux et régionaux devraient être impliqués dans la planification stratégique du processus de dévelop-pement de l’infrastructure en ce sens que s’ils ont une bonne connaissance des obstacles, ils pourraient ne pas avoir conscience du potentiel pour l’exportation, de la situation dans les pays voisins. Une telle approche stratégique, soutenue par le pouvoir central aiderait à combler ce vide. La route pilote Dondon-St Raphael et aussi Thiotte-Anse-à-Pitre devrait apporter une grande contribution à la pénétration de nouveaux marchés par les produits agricoles. Cette manière de faire serait systématisée et généralisée.

V - Augmenter l’épargne interne

Il n’y a pas de croissance sans augmentation de l’épargne. L’épargne publique, à l’heure actuelle, ne représente même pas 1.6% de G.200 milliards (le PIB) et devrait donc être augmentée considérablement. Les ressources publiques devraient passer de 10 ã 15% du PIB en cinq ans à la fois
§ Par un renforcement de l’efficacité du système fiscal
§ Un élargissement de l’assiette
§ Une lutte sérieuse contre la corruption

VI – Corriger les faiblesses du secteur des banques commerciales

Le Secteur des banques commerciales est le haut lieu des concentrations
§ Dans les avoirs : 3 banques en ont 62%
§ Dans l’allocation des crédits : 10% des emprunteurs individuels reçoi-vent 70% des crédits
§ Dans le choix des activités économiques : les services et les consomma-tions sont les gros bénéficiaires, l’agriculture et le transport pratique-ment rien.
§ Dans les mécanismes : tous les crédits sont à court terme, à long terme rien.
§ Quant à la catégorie sociale des déposants : à peine 0.16% des Haïtiens ont accès à un crédit bancaire.
§ Quant à l’écart entre les taux d’intérêts sur les dépôts et les taux sur les prêts : il est le double de ce qu’il est ailleurs dans la Caraïbe.
Il conviendra donc de donner aux banques commerciales les garanties juri-diques qu’à bon droit elles demandent quant à la fiabilité des titres de pro-priété, de créer entre les banques un climat de compétition plus incitateur, en attendant, et de créer une Banque Publique de Développement.

VII - Créer une Banque Publique de Développement

L’objectif serait de financer l’agriculture, les Petites et moyennes entre-prises, à long terme et à des taux d’intérêts qui seraient rémunérateurs mais non pénalisants. La proposition de créer une Banque Publique de Développement a soulevé deux catégories de réactions.
Dans un camp, on s’est frotté les mains en s’imaginant que Banque Publique signifiait automatiquement retour à l’IDAI et à la pratique de prêts géné-reux pour de mauvais projets, pas vraiment remboursables avec préférences pour des gens politiquement bien placés.
Dans l’autre camp, c’est l’orthodoxie qui prévaut : comment, s’est-on indigné, envisager de faire du financement public par ces temps de privatisation à outrance ?
Au premier, nous répondons qu’il n’y a pas une fatalité de la mauvaise gestion pour une banque, au seul motif qu’elle serait publique. Un bon Conseil d’Administration, un personnel compétent, des règles d’opérations bien éla-borées pouvant éviter toute déviation par rapport aux normes. Aux seconds, nous rappelons que le secteur public, de nos jours encore, contrôle la plus grande partie du crédit dans la majorité des pays sous-développés.

VIII – Mettre de l’ordre dans les entreprises publiques

Il s’agit d’entreprises chargées de fournir l’eau, l’électricité, le téléphone, d’assurer les services portuaires. Il s’agit donc d’entreprises qui sont le poumon de la société et de l’économie. Or, elles sont mal gérées, leur per-sonnel est en surnombre. En 2005, le montant des subventions à l’EDH était de $47 millions. Telle est l’incertitude qui règne dans le port de Port-au-Prince que beaucoup d’importateurs font transiter leurs commandes par la République Dominicaine. Ces entreprises, il s’agira donc soit de les gérer en contrats stricts, soit de les privatiser mais, dans un cas comme dans l’autre il conviendra de mettre en place, à l’avance, des organes de contrôle et de régulation chargés de surveiller et de sanctionner la corruption, de fixer les marges de prix aux consommateurs et de vérifier à tous moments la confor-mité de la gestion avec les termes du contrat.

IX – Introduire un nouveau concept et
des mécanismes nouveaux de l’aide étrangère.

Commençons par relever que les besoins d’aide étrangère sont considérables. Pour réaliser le Document pour la Croissance et la réduction de la pauvreté, il faudrait compter entre $5 – 7 milliards. Pour financer les dépenses de fonctionnement de transport et d’infrastructure de ces 5-7 milliards d’investissements, il faudra entre 5 à 30% de plus. Pour financer les dé-penses imputables à la réalisation des Objectifs du Millénaire, il faudrait compter environ $1.4 milliard par an d’ici 2015, soit environ $8.5 milliards. Or nous savons que, en ce moment précis, le Trésor Public est en déficit de $50 millions.
La conception Haïtienne de l’aide étrangère est mauvaise. Elle consiste à faire l’inventaire de nos besoins et à présenter la facture aux donateurs avec, très souvent, force accusations et récriminations. Nous devrions, au contraire, établir un calendrier de besoins assorti d’un échéancier des résul-tats, après qu’on aurait établi non seulement la part propre de l’effort natio-nal mais aussi un diagnostic complet des problèmes et des moyens - en res-sources humaines, équipements et entretien - par lesquels nous entendons réaliser notre plan d’investissement.
De même, nous devons essayer d’élargir le cadre de la coopération en re-cherchant notre intégration à l’Accord CAFTA (Caribbean Free Trade Agreement) avec les U.S.A., dont d’autres pays d’Amérique Centrale, y com-pris la République Dominicaine, sont déjà membres. L’avantage d’un tel Ac-cord serait qu’il consisterait un engagement ferme et définitif des USA, pas une concession révocable, et qu’il ouvrirait la voie à un flux d’investissements étrangers qui nous ont fait défaut jusqu’ici.
Une autre voie à explorer serait un Accord avec les USA qui faciliterait l’entrée sur leur territoire, chaque année, d’un contingent de nos compa-triotes et leur embauche dans l’agriculture et les services, en échange de quoi Haïti s’engagerait à veiller à leur rapatriement dès la fin de leur con-trat. Un tel Accord rendrait certains secteurs plus compétitifs aux USA, donnerait aux immigrants un pécule investissable en Haïti, diminuerait la pression des boat people et des braceros et améliorerait la nature de nos rapports avec nos deux voisins.
Au lieu de quoi, nous n’avons pas une bonne capacité d’absorption de l’aide étrangère. Souvent nous donnons l’impression de n’accepter le principe des réformes que comme le prix à payer pour recevoir l’aide. Les contrats d’exécution sont passés sans une procédure rigoureuse d’appels d’offres. Parallèlement, du coté des donateurs, l’aide est parfois liée, donc revient plus cher, est assortie de nombreuses conditions qui en rendent la consommation malaisée. De ce fait, elle donne lieu à des suspensions répétées et conduit les donateurs à la faire passer par les ONG.

X – Émettre « des bons diaspora »

En supposant réglée la question de la double nationalité et apaisées les ten-sions entre les deux communautés, on devrait pouvoir envisager l’émission par la BRH de bons à souscrire par les Haïtiens de l’extérieur dont les transferts au pays se chiffrent à plus de $1.5 milliards par an à l’heure actuelle. De tels bons qui auraient pour objectif de contribuer au développement, permettraient également aux souscripteurs de diversifier leurs portefeuilles. Ces bons seraient émis à long terme, non négociables, à échéances multiples et comprendraient des coupures de $100 à $1000. Ils ne seraient payables qu’à maturité.

L’expérience de tels bons a été faite par Israël dès Mai 1951 et repré-sente, à hauteur de $25 milliards, environ 32% de sa dette extérieure. C’est avec ces ressources qu’Israël a entrepris avec succès de grands travaux de désalinisation de l’eau de mer.

Une expérience de la même famille a été faite par l’Inde. La Banque de l’Inde s’adresse aux nationaux résidant à l’étranger et leur offre des taux plus rémunérateurs que ceux disponibles sur le marché des pays où ils rési-dent. Les bons sont émis dans toutes sortes de devises. Fin 1991, le porte-feuille de ces bons était de $11 milliards.

XI – Ralentir le taux d’augmentation de la pression démographique

Le taux moyen de croissance de la population a été de 1.4% entre 1971 et 1982. Entre 1982 et 2003, le taux d’accroissement a été de 2.5%. L’urbanisation également a été rapide – 4.9% par an – et le pourcentage de population vivant dans les villes est de 40% alors qu’en 1982 ce pourcentage était de 25%. De plus, la population est jeune. La moitié des Haïtiens a moins de 15 ans et 2/3 sont en dessous de 25 ans. Une telle structure de population signifie qu’une explosion de la population est inévitable, si l’Etat ne se donne pas pour mission de réduire le taux d’accroissement par l’intensification des méthodes de planification et la formation.

A défaut, la pression sur les déjà maigres ressources du sol et les services sera intolérable. Entre 1960 et maintenant, la densité a doublé, atteignant le haut niveau de 300 personnes par Km².


XII – Engager une lutte drastique contre les inégalités

De même que les chances d’amélioration des conditions de vie sont pratique-ment nulles aussi longtemps que la population continuera d’augmenter à ce rythme alors que la superficie n’augmente pas de 1 Km² de plus, de même les inégalités doivent se réduire si nous voulons la croissance.

Haïti est le pays le plus inégalitaire d’Amérique latine et de la Caraïbe. L’Amérique latine est le continent le plus inégalitaire du monde. En Haïti, 10% de la population disposent de 50% du revenu national. Mesuré au coef-ficient de Gini, - unité de mesure de concentration des richesses qui va de 0 à 1 et selon lequel plus on s’éloigne de 0, plus inégalitaire on est- les pays, Finlande, Canada les moins inégalitaires sont à 0.4 de coefficient. L’Amérique latine à 0.52, Haïti à 0.66.

Chez nous, les inégalités à la naissance se perpétuent toute la vie et se re-produisent de génération. Cela est moralement injuste. Cela est également catastrophique sur le plan de l’économie, car les inégalités exercent une pression à la baisse sur le taux de croissance, dès lors que 90% de la popula-tion ne disposent que des moyens limités pour participer à l’augmentation de la production. Combattre les inégalités passe par une égale répartition des opportunités entre tous dès l’enfance et des mesures de rattrapage et d’égalisation des chances sur le marché du travail. Seule une Conférence Na-tionale peut fournir le cadre d’un débat utile sur les options, le coût et le partage des coûts d’une politique nationale de lutte contre les inégalités.

Conclusion : Le nécessaire rapprochement entre Haïti et la République Domi-nicaine

En 1960, les deux pays avaient le même niveau de revenu par tête i.e. $500. Aujourd’hui en 2009, Haïti est environ au même niveau qu’en 1960. La Répu-blique Dominicaine, en 2002, avait un revenu par tête de plus de $2.500, soit cinq fois plus que nous. L’indice de fragmentation géographique est le même. Les U.S.A. sont le principal partenaire commercial de l’un et l’autre. Comme les Dominicains, nous avons accès aux facilités du Caribbean Basin Trade Act. Les deux pays ont subi les mêmes entraves sur la croissance de la baisse des prix des produits primaires sur le marché mondial.

Comment expliquer la différence de performance économique ?

a) L’environnement économique est plus favorable au secteur privé en Ré-publique Dominicaine, au point où les Dominicains exportent pour plus de $4 milliards de l’industrie d’assemblage, bénéficient de plus de $900 millions d’investissement. De plus, 30% des envois des Dominicains de l’étranger ($2 milliards) vont aux investissements alors que, chez nous, le plus gros des envois de l’étranger va à la consommation.

b) L’analyse comptable des composantes de la croissance montre que les différences de performance sont imputables à la différence en gains de productivité. En Haïti, les baisses dramatiques du revenu dans les an-nées 1980 et 1990 sont liées à la baisse de la productivité totale des facteurs alors que l’inverse est vrai en République Dominicaine.

c) Le tourisme représente 6 à 7 % du PIB dominicain. Le nôtre s’est ef-fondré. De même, la libéralisation intempestive du commerce extérieur sans qu’elle fut accompagnée de mesures propres à relancer l’offre a contribué à l’effondrement de plusieurs produits agricoles alors que la République Dominicaine avait mieux négocié son détachement de la pro-duction traditionnelle (sucre, tabac, café, cacao, minerais).

d) La phase de transition démocratique a donné lieu à plusieurs compromis entre les principaux acteurs et a moins perturbé la stabilité politique alors que, chez nous, la plupart des crises politiques se sont soldées par la violence.

La principale raison des tensions entre les deux pays réside dans la pression sociale que les haïtiens en situation illégale font peser sur le pays voisin, en dépit des immenses services qu’ils rendent à son économie.

La solution à l’atmosphère de crise permanente entre les deux pays est dans le rapprochement du niveau de performance économique d’Haïti par rapport à la République Dominicaine. Les circonstances sont favorables.

Le potentiel d’augmentation de production et d’exportation de l’industrie d’assemblage et de création d’emplois est considérable. Notre main-d’œuvre est abondante et habile. Les zones franches dominicaines, concentrées sur l’industrie d’assemblage font face à une concurrence sévère par suite de l’élimination de l’Accord Multi-Fibre, ce qui pousse les producteurs à s’orienter de plus en plus vers de nouveaux produits et de nouvelles tech-niques de production. De même, la décision de l’Organisation Mondiale du Commerce de faire cesser la promotion de politiques d’exportation pour les zones franches dominicaines en 2010 nous offre un potentiel d’augmentation de notre part d’accès sur le marché américain de l’assemblage et des pers-pectives d’arrangements de coproduction combinant main-d’œuvre haïtienne et production dominicaine. D’ailleurs, il n’y a pas de raison que la coproduc-tion se limite à l’industrie d’assemblage dès lors que les principales contraintes haïtiennes à la production (mauvais climat institutionnel, infrastructure déla-brée, formation déficiente) auront été levées. A ces mesures directes d’atténuation des écarts de performance entre les deux pays pourraient s’ajouter l’intégration d’Haïti à l’Accord DR.CAFTA, l’accroissement de la mobilité des ressources de main-d’œuvre haïtienne vers les U.S.A. à travers un Accord bilatéral et la mise en place d’un Accord d’harmonisation des poli-tiques économiques et commerciales entre les deux pays, au plan notamment d’un traitement équilibré de la production et des échanges entre les deux pays.

Un tel rapprochement serait une initiative de bon sens conforme à la nature des choses.

Marc L. Bazin
Président, MIDH

Santo Domingo, 30 aout 2009.-

samedi 20 juin 2009

Haïti: IV. Vers une économie efficace et solidaire

*
Marc L. Bazin (photo: Le Nouvelliste, 19 juin 2009)
***
Par Marc L. Bazin
Président du MIDH
Source: Le Nouvelliste, 19 juin 2009


Introduction
Nombre d'experts pensent que Haïti est un cas perdu, un « basket case ». Pour eux, les termes du problème sont simples : Haïti est une petite économie à faible capacité d'importations et une demande intérieure limitée. À ce titre, la stratégie de croissance la plus optimiste ne pourrait se baser que sur des investissements dans trois secteurs : l'agriculture, le tourisme et l'assemblage. Or, à leur avis, tous ces trois secteurs sont également handicapés par une main-d'oeuvre non qualifiée, peu d'infrastructure et l'instabilité politique. D'où il suit que, pour eux, l'idée d'une Haïti lancée sur un rythme de croissance élevée et soutenue est, au mieux, une proposition à très long terme.
Pour une autre catégorie d'experts, ce n'est pas le principe de la croissance qui est en cause ni non plus son calendrier mais sa taille. Quel niveau de croissance Haïti devrait-elle atteindre pour réduire la pauvreté ? Ce deuxième groupe estime que le niveau de croissance nécessaire pour réduire la pauvreté devrait être extrêmement élevé et que ce taux extrêmement élevé n'est tout simplement pas atteignable dans les circonstances actuelles. Plus expéditif encore est M. Lundhal, économiste mondialement reconnu, pour lequel « Parler de croissance dans le court terme serait une entreprise complètement illusoire en Haïti. »


N'y a-t-il pas eu des éclaircies ?
Bien entendu, vis-à-vis de l'un comme de l'autre groupe, nous sommes bien obligés d'admettre que effectivement les faits tendraient à confirmer le pessimisme du diagnostic et que, entre 1961 et 2000 l'économie a été sur une phase de déclin prolongé et de déclin du revenu réel par tête de 1 % par an, lequel s'est traduit par une perte de 45 % du revenu global sur la période.


Mais à cela, nous répondons immédiatement : même pendant cette longue et sombre période, n'y a-t-il pas eu des éclaircies ? Entre 1975-1980, sous l'effet combiné de l'augmentation des prix du café sur le marché mondial, de l'émergence de l'industrie d'assemblage, de l'investissement public dans l'infrastructure et de la relance de la consommation, l'économie haïtienne n'avait-elle pas enregistré une croissance de l'ordre de 5 % par an ? Et si nous admettons volontiers qu'au début des années 80 les politiques de création d'entreprises publiques non rentables, et de protection d'entreprises privées artificielles, ont entravé la croissance, n'est-il pas vrai par ailleurs que des événements extérieurs, tels que la récession aux Etats-Unis d'Amérique de 1981-1983, la chute brutale des cours du café, la fermeture de la mine de bauxite en 1982 et le coup fatal porté au tourisme par l'irruption du VIH/Sida sur notre image, ont joué un rôle négatif et ont contribué à l'interruption du processus de croissance amorcé dans la deuxième moitié des années 70 ?

Bien entendu, le déclin amorcé à partir des années 80 n'a pu que s'accroître à partir des années 90. En effet, entre 1991 et 1994, par suite des embargos, le revenu par tête réel déclinait de 40 %, le taux d'inflation passait de 12 % à 51 %. Les déboursements sur prêts extérieurs étaient arrêtés, et s'accumulaient les arriérés du service de la dette aussi bien au titre des paiements bilatéraux que multilatéraux. Les exportations passaient de $ 224 millions à $ 67 millions en 1994, les importations de $ 532 millions à $ 235 millions, les investissements de 14 % du PIB en 1991 à 6 % en 1994, pendant que le secteur industriel voyait sa production réduite de 50 %.
Le texte qui suit n'est pas on ne sait quel plaidoyer nationaliste pour la croissance ni non plus une liste de recettes qu'il suffirait d'appliquer pour, comme le pigeon de la manche du magicien, faire surgir la croissance. Ce texte est un exposé réaliste, basé sur une longue et concrète expérience des défis, perspectives et complexités de l'économie haïtienne et d'une grande familiarité avec les faits et les idées relatifs au développement tels que ces derniers ont évolué au cours des trois dernières décennies. C'est une période pendant laquelle on a vu des pays naguère considérés comme des basket cases - Ouganda, Rwanda, Botswana, Inde - émerger comme des modèles de développement pendant que le nôtre, qui partait à égalité de chances, s'enfonçait dans le chemin inverse, marqué par le déclin des ressources, l'indifférence des dirigeants et l'irresponsabilité des politiques économiques. Il y a donc matière à réfléchir et à se demander : qu'ont fait ces pays que nous n'avons pas fait ? Ce que nous offrons, c'et donc un cadre, inspiré de diverses politiques et stratégies de croissance qui ont réussi ailleurs et ceci devrait, du moins nous l'espérons, faciliter la tâche à tous ceux, parmi nos dirigeants, qui auraient pour préoccupation première de s'engager pour le bien du peuple et du pays plutôt de s'enrichir à leurs dépens.


Ce texte est en trois temps :
I. Pour une économie efficace
II. Où est passé le « petit garçon » ?
III. Le rapport Collier


I. Pour une économie efficace


La croissance ne tombe pas du ciel. Elle n'est jamais le fait du hasard. Un pays peut se coucher pauvre et se réveiller riche si jamais dans la nuit il trouve du pétrole. Mais une croissance soutenue et de haut niveau ne vient pas en une nuit. Elle est le résultat d'un engagement à long terme convaincu de son élite politique et économique, un engagement qu'elle doit poursuivre, pour reprendre l'expression de Richard Spence, Prix Nobel d'économie, avec « patience, persévérance et pragmatisme ». Quand un pays peut porter la croissance de son économie à un taux de 7 % par an pendant 25 ans, une telle économie double en volume tous les dix ans. Pour être efficace, la politique économique de croissance doit :
1) lever des contraintes politiques
2) accepter des préalables
3) engager des actions spécifiques


1) Lever des contraintes politiques
En matière de croissance, les gouvernements doivent être crédibles, convaincus, compétents et honnêtes. Il leur faut une vision. Cette vision, ils doivent pouvoir la communiquer au peuple et la lui faire partager. Une fois définie la vision, les gouvernements doivent arrêter une stratégie et, pour mettre cette stratégie en pratique, ils doivent disposer d'une fonction publique recrutée au mérite, payée à la performance à l'abri de la corruption, soumise à un système d'évaluation périodique par des consultants indépendants. À l'occasion d'une réunion récente, j'ai entendu un groupe de jeunes se plaindre du Président de la République « qui ne réservait pas des jobs aux jeunes dans l'Administration ». À quoi on peut répondre « vous avez parfaitement le droit de vous plaindre. Mais si vous mettez M. Préval en cause, assurez-vous que vous le faites pour la bonne raison. Car dans une économie de marché, ce n'est pas le Président de la République qui crée des jobs. Ce sont ceux qui entreprennent. Par contre, c'est au Gouvernement qu'il revient de créer les conditions, d'assurer la stabilité économique et de fournir l'environnement dans lequel ceux qui veulent entreprendre - petits, moyens et grands entrepreneurs et secteur informel - acceptent de prendre des risques, d'investir et de créer des emplois dont les jeunes, comme d'autres, profiteront. » Nous allons donc, ne serait-ce que pour les besoins du raisonnement, assumer que les gouvernements en place sont crédibles, convaincus, compétents et honnêtes, et qu'ils s'appuient sur une fonction publique également compétente, convaincue, honnête et déterminée.

Une deuxième contrainte
Une deuxième contrainte que nous allons assumer comme levée est celle de l'instabilité institutionnelle. Pendant longtemps, du moins jusqu'au débarquement de la Minustah et à l'installation de M. Préval à la Présidence, l'instabilité politique a été, et de manière fort légitime, considérée comme un des principaux obstacles à la performance de l'économie. À l'heure actuelle, nombreux sont les observateurs qui tendent à se comporter comme si l'obstacle de l'instabilité politique était définitivement levé et qu'il ne nous resterait plus qu'à nous engager, sans autre préoccupation, sur la voie du développement. Pour notre part, nous considérons que, même si on admet cette hypothèse, il reste un problème de fond qui n'est pas réglé : c'est celui de l'instabilité institutionnelle. Ne pas changer de gouvernement sans arrêt est une chose mais faire fonctionner l'économie à l'intérieur d'un ordre démocratique stable, sécuritaire, ordonné et pluraliste en est une autre. De ce point de vue, il faut bien dire que les élections de 2006, pour pacifiques qu'elles aient été, n'ont pas résolu le problème de l'extrême polarisation du paysage politique ni non plus celui de la nécessaire réconciliation nationale.
À notre avis, la stabilité politique, par quelque critère qu'on la détermine, restera une illusion aussi longtemps qu'un équilibre satisfaisant n'aura pas été établi entre les divers éléments de la classe politique et que le pays continuera à osciller entre ses deux forces extrêmes : ou bien une élite économique et politique qui se servirait du pouvoir uniquement pour maintenir et élargir ses privilèges ou bien des forces populistes qui ne dénonceraient la misère du peuple que pour mieux l'exploiter à des fins politiciennes. Ce compromis-là ne viendra pas de la Minustah mais d'une prise de conscience collective par un leadership national, toutes tendances confondues, également acquis à la démocratie, au progrès économique et à l'amélioration des conditions de vie. À défaut de quoi, il va bien falloir que nous arrivions à nous débrouiller comme nous pouvons, sinon dans un climat d'instabilité politique, mais dans une atmosphère embrouillée d'incertitude institutionnelle, tout aussi paralysante du point de vue des investissements et de la croissance.


2) Accepter des préalables
Le premier préalable est qu'il n'y a pas de croissance pour Haïti en dehors du marché mondial. Avec $ 660 par tête de revenu, notre demande intérieure est faible. Il n'y a donc pas d'autre option valable de croissance que dans l'exportation, les tentatives de la fin des années 70 pour produire pour le marché intérieur, à l'abri de protections, s'étant soldées par des échecs retentissants.
Un second préalable à accepter est que la croissance sera portée par notre main-d'oeuvre, ressource en excédent, et que l'économie, à mesure qu'elle se développe, créera de nouvelles branches de production dans lesquelles la main-d'oeuvre en excédent doit pouvoir s'intégrer rapidement. D'où il suit que la main-d'oeuvre doit être mobile et que sa mobilité ne doit pas être entravée par on ne sait quelle combinaison artificielle qui viserait à fixer la main-d'oeuvre dans l'agriculture au-delà de l'utilité marginale de sa force de travail dans l'agriculture.
Un troisième préalable est que les fondamentalistes du marché doivent se résoudre à admettre que le vieux slogan « stabilisez, privatisez, libéralisez » ne tient plus comme dogme et vérité absolue. Sans doute, sommes-nous bien d'accord que le Gouvernement ne devrait pas se substituer au marché, mais en Haïti davantage encore qu'ailleurs, le marché sans le Gouvernement ne vaut pas grand-chose. À beaucoup d'égards, aujourd'hui, c'est la fuite des gouvernements devant leurs responsabilités à fournir les services, l'infrastructure, la sécurité suffisante et c'est leur refus d'édicter des règles claires de fonctionnement du marché qui entravent l'initiative privée. Certainement le Gouvernement ne devrait-il pas se mettre en tête de faire, à la place du secteur privé, des choses pour lesquelles il n'a aucune qualification mais il ne devrait pas non plus s'abstenir de faire des choses dont la responsabilité lui incombe au premier chef, y compris d'édicter des règles qui facilitent l'action du marché.


3) Engager des actions spécifiques


Les actions spécifiques à prendre sont nombreuses. Nous en avons identifié, au total une dizaine, dont quatre pour le présent article, comme suit :

A. Balayer devant sa porte
B. Intensifier la productivité du capital humain
C. Régénérer l'agriculture
D. Créer une Banque Publique de Développement


A. Balayer devant sa porte
Par balayer devant sa porte, nous entendons, mettre de l'ordre et éliminer toutes les contraintes qui, si elles restaient en état, continueraient d'enlever toute chance de succès à une véritable politique de croissance. Malheureusement, aujourd'hui, ces contraintes sont de taille et nombreuses.
« Pour investir et faire des affaires, Haïti est unanimement considérée comme le dernier pays où mettre le pied ». Ainsi s'exprimait le World Economic Report de 2003-2004 dont l'indice global de compétitivité place Haïti bonne dernière sur une liste de 102 pays, sur la base de plusieurs contraintes à la croissance identifiées comme suit : instabilité politique, infrastructure limitée, accès au financement difficile, bureaucratie inefficace, main-d'oeuvre peu qualifiée. Non seulement Haïti avait, entre 1986-2006, accumulé 15 gouvernements en 20 ans, mais cette instabilité gouvernementale s'était accompagnée de violences, de corruption endémique, d'affaiblissement continu de l'État, de négation de l'état de droit et de violations de droits de propriété. De même, selon Doing Business 2006, enregistrer une propriété prend deux ans (107 jours en République Dominicaine). Pour exporter un produit, en République Dominicaine, 17 jours suffisent. En Haïti, il en faut 58. Pour avoir une entreprise, le capital minimum requis en Haïti représente trois fois le revenu par tête. En République Dominicaine, 1.2. Acheter un terrain et le faire enregistrer prend un temps infini. Quatre-vingt-dix-sept pourcent (97 %) des Haïtiens vivent dans des maisons qui ne sont enregistrées nulle part. De plus, posséder un bien, c'est une chose, en garantir la protection en est une autre. Se voir envahir ses propriétés est toujours un risque. S'agissant de l'indépendance et de l'efficacité du système judiciaire, Haïti en 2004 était classée dernière et avant-dernière. En 2007, l'indice de Liberté Économique de Heritage Foundation classait Haïti comme un pays dans lequel il faut compter 203 jours pour ouvrir une entreprise contre une moyenne mondiale de 48 jours. Telles sont les tracasseries administratives que 68 % des entreprises opèrent en dehors du cadre légal, ce qui pénalise l'emploi formel. À l'échelle de la corruption, Transparency International nous avait, en 2005, classés 155ème sur 159 pays.

Compétitivité pénalisée
Pour ce qui est de l'infrastructure, Global Competitiveness Report nous classe au dernier rang de l'Amérique latine et de la Caraïbe pour ce qui est des performances des services portuaires, de la production et de la distribution de l'énergie électrique, d'où il résulte pour nos entreprises un manque de compétitivité qui pénalise notre production et nos exportations. À peine 5 % des routes sont passables en toutes saisons. L'accès aux marchés ruraux en est contrarié, ce qui fait monter les prix des produits alimentaires, empêche une plus large décentralisation des activités économiques et la création de liens d'échanges entre l'économie urbaine et l'économie rurale. Le port de Port-au-Prince est le plus cher de la Caraïbe au point où certains importateurs préfèrent utiliser les ports de la République Dominicaine. Pour ce qui est de l'électricité, les entreprises ne peuvent fonctionner qu'avec des génératrices privées et coûteuses. L'accès au crédit est limité. En 2005, moins de 1 % de la population (0,16 %) avait un crédit bancaire. Les marges d'intermédiation bancaire sont élevées et le crédit est concentré entre les mains de 10 % d'emprunteurs.
Pour terminer sur le chapitre des contraintes, notons que même ce que nous avons fait de bon ne s'est pas fait dans des conditions qui en garantiraient les résultats. Au plan de la macroéconomie, sans doute la stabilité financière a-t-elle été restaurée, l'inflation réduite, le déficit extérieur en voie de rééquilibrage mais l'absence des mesures d'accompagnement nécessaires au plan institutionnel a jusqu'ici privé la stabilité macroéconomique de tout effet valable sur la croissance. Tous ces obstacles à la performance de l'économie sont de ceux qu'on peut lever en deux temps trois mouvements. Il suffirait d'un minimum de bonne volonté politique et de détermination à lutter contre la corruption. Quant aux désastres naturels, il suffirait d'une sérieuse politique de prévention pour en éviter les pires excès.


B. Intensifier la productivité du capital humain


Pour la majorité des gens, capital signifie un compte en banque, une usine, une route. Une usine est un capital. Elle crée du travail. Elle sert à produire des biens qui sont vendus et rapporteront des bénéfices. Une route est un capital. Elle sert à transporter des biens destinés à augmenter la productivité d'une économie, à gagner du temps, à faire baisser le coût d'entretien des véhicules et à rapporter de l'argent. Investir dans une usine ou dans une route contribue à l'augmentation d'activités d'une économie. Ceci est également vrai pour toute être humain.
Tout être humain est un capital. Investir dans son éducation, sa santé et sa formation professionnelle sont des formes d'investissements en capital en ce sens qu'elles rapportent de l'argent, en ce sens que ces dépenses contribuent à augmenter le revenu et ajoutent à la capacité de l'être humain non seulement à augmenter ses gains personnels mais aussi à contribuer davantage au progrès de la société. Davantage encore. Alors que vous pouvez séparer une usine de son propriétaire, vous ne pouvez pas séparer une personne de son savoir, de sa santé, de son honnêteté, de sa conscience professionnelle. Une personne éduquée transporte son capital avec elle. Partout où elle va, son capital la suit et ses gains en termes de salaires et de productivité augmentent avec son niveau d'éducation où que le destin la mène. Il en est de même pour sa contribution au progrès de l'économie. Des pays comme le Japon, Taiwan et d'autres pays d'Asie n'ont pas de grandes ressources naturelles, particulièrement en matière de sources d'énergie. Si ces pays ont connu un taux de croissance considérable, c'est essentiellement parce qu'ils ont su créer une force de travail à la fois bien formée, capable de travailler bien et vite et sur une longue période.
Capital humain et croissance
Le lien entre le capital humain et la croissance économique a été, à travers l'histoire, abondamment démontré. L'éducation et la formation professionnelle augmentent la production de la main-d'oeuvre, encouragent la mobilité des ressources et se sont révélées, sur la base de l'expérience dans le monde entier, comme la condition fondamentale d'une croissance soutenue. Aucun pays au monde n'a atteint un taux de croissance soutenue (5 % par an) sans avoir atteint au préalable un taux optimum de scolarisation, à quoi s'ajoutent tous les effets bénéfiques de l'éducation primaire, sur la santé, la nutrition, le niveau de fertilité. Et s'il fallait une preuve supplémentaire que l'éducation augmente la croissance, on la trouverait dans le fait que à l'échelle mondiale 90 % des ménages pauvres sont sans éducation. Chez ceux qui avaient bouclé le cycle primaire, la pauvreté est à 45 % et seulement à 25 % chez ceux qui avaient terminé le secondaire.
Avec un taux d'analphabétisme adulte de près de 50 %, 500.000 enfants qui ne fréquentent pas l'école, un système éducatif peu performant, le potentiel d'augmentation de productivité d'Haïti, est limité, ce qui nous condamnera, à la grande irritation de nos voisins, à n'exporter de plus en plus que des braceros et des boat people À l'étranger, ces mêmes Haïtiens ont un niveau de productivité très élevé. Si les Haïtiens avaient, en Haïti, le même niveau de productivité qu'ils ont à l'étranger, leur contribution au développement d'Haïti serait très élevée. À noter au surplus que le système éducatif haïtien enregistre 90.000 professeurs dont 7.000 dans le public, ce qui fait du secteur le plus gros employeur en dehors de l'agriculture. En d'autres termes, investir à long terme dans l'amélioration du capital humain apportera une contribution directe et immédiate à l'emploi et à la croissance.
L'exemple de la République Dominicaine
Pour former le capital humain dont nous avons besoin pour la croissance, il ne suffira pas d'augmenter le taux de scolarisation dans le primaire, d'augmenter le nombre de salles de classe, de mieux former les maîtres, ni même d'améliorer le rendement, encore moins d'assembler des commissions d'experts aussi compétents soient-ils. Ce dont il s'agit, c'est de s'engager dans un processus collectif de réflexion en profondeur de redressement et de réorientation de notre système éducatif pour le mettre en mesure de mieux servir l'homme et la société.
En République Dominicaine, c'est un colloque auquel assistaient 50.000 personnes (public, privé société civile) qui a lancé en 1992 le processus de réforme de l'éducation, lequel s'est fixé cinq axes d'intervention :
1) développer l'innovation et la flexibilité dans le programme ;
2) orienter les investissements dans l'éducation de manière spécifique ;
3) décentralisation du système et participation des communautés ;
4) une formation technique et professionnelle orientée ;
5) relever considérablement le niveau de financement public de l'éducation, à 4 % du PIB, soit 16 % du budget national.
Le résultat est connu : en 2005, le taux d'alphabétisation pour les jeunes de 15 à 24 ans était de 94,2 %. Le taux net de scolarisation dans le primaire est de 88 %. Le taux d'élèves en 5ème année par rapport à la première année est de 86 %. Entre 2002-2005 les taux de scolarisation dans le secondaire avaient doublé passant de 27 % à 53 %. Aujourd'hui 30.000 étudiants haïtiens étudient en République Dominicaine et le taux de croissance de l'économie dominicaine s'est situé à environ 5% par an depuis environ dix ans.
Bien évidemment, nous ne demandons pas que quiconque aille copier le modèle dominicain. Mais dans l'expérience dominicaine, il y a des choses à apprendre. Tous les observateurs sont d'accord que, pour permettre au système scolaire d'atteindre un niveau de performance susceptible d'augmenter le potentiel de productivité des Haïtiens et les mettre en mesure de contribuer à la croissance, il faudrait que sur le moyen terme:
  • l'État double sa contribution par rapport à 2005-2006 en pourcentage du PIB et s'aligne sur la plupart des pays sous développés
  • l'État améliore considérablement sa capacité à définir et à faire observer des normes
  • l'État aide à réduire les coûts de l'éducation et aide les ménages à soutenir les coûts élevés de l'éducation
  • l'État renforce ses liens de coopération avec le secteur privé de l'éducation en matière de planification stratégique, de définition des normes, des objectifs et des procédures.


C. Régénérer l'agriculture

De l'agriculture haïtienne et de ses faiblesses, on a à peu près tout dit et tout dénoncé : une population en augmentation continue sur des terres exiguës et dispersées en unités d'exploitation de plus en plus réduites, faible niveau de productivité, incertitude sur la validité des titres de propriété, absence totale ou inefficacité des systèmes de gestion de l'eau, 93 % de déforestation, arriération des instruments et méthodes de culture, et accès extrêmement limité aux facilités d'infrastructure, de transport et de crédit.

Résultat net : l'indice d'augmentation de productivité totale des facteurs pour l'agriculture haïtienne a été de 0,6 % entre 1961-1980 et 1 % entre 1981-2001 à comparer à 1 et 1,7 % en Afrique et 1,5 et 2,4 % en Amérique latine et dans la Caraïbe. Le bas niveau de productivité est imputable à la fragmentation du sol (80 % des exploitants disposent de moins de 2 ha) le revenu paysan est si faible que le paysan ne peut ni épargner ni investir. L'augmentation de productivité a donc été trop faible et la production agricole n'a pas correspondu au taux d'accroissement de la population (2,2 %), au point où la moitié de la nourriture consommée en Haïti vient de l'étranger, d'où un haut niveau de vulnérabilité alimentaire et une forte pression sur la balance des paiements. La libéralisation sauvage des années 80 et les embargos des années 90 ont décapitalisé le monde rural, réduit considérablement la production de riz et de café et provoqué un exode massif vers Port-au-Prince, ce qui a davantage détérioré les conditions de vie dans les quartiers pauvres, et augmenté leur potentiel de violence et d'instabilité.

Et après, que fait-on ?

Très bien. En fait, très mal. Mais quand on a dit tout cela, la seule vraie question, est : Et alors, qu'est-ce qu'on fait ? On ferme le dossier et on attend les touristes ? Cela ne serait pas sérieux. Oui, mais il reste l'industrie d'assemblage. Bien sûr, mais cela ne suffirait pas. Avec 16 % du PIB, l'industrie n'absorbe que 10 % de l'emploi total. Les libéralisations financières qui accompagnent son expansion coûtent cher. Sa capacité d'intégration à l'économie locale est quasiment nulle. La compétition au plan mondial est serrée. Dans les circonstances actuelles, l'accès au marché américain est limité dans le temps, et la capacité interne d'absorption de l'excédent de main-d'oeuvre agricole par l'industrie est forcément limitée. À quoi s'ajoute la tendance de plus en plus accentuée à la hausse des prix alimentaires sur le marché mondial.

De ce qui précède, il suit que l'agriculture en tout état de cause, et par le fait même des circonstances, est un secteur indispensable de stabilisation et d'équilibre social. Mais il y a mieux. L'agriculture est un partenaire obligé de toute politique de croissance parce que l'agriculture est, par elle-même, un des moteurs de la croissance.

i. Haïti est d'abord et avant tout une économie rurale. Soixante pourcent (60 %) de la population vit en zone rurale. Sur les 4 millions d'indigents que compte le pays, 2,7 millions vivent en zone rurale.

ii. Le secteur agricole compte pour 30 % du PIB, 50 % de l'emploi total et deux tiers (2/3) de l'emploi en zone rurale.

iii. Alors que le secteur agricole n'est protégé ni par des quotas d'importations, ni par des tarifs douaniers, la demande interne de biens alimentaires est élevée et le commerce informel avec la République Dominicaine de café, de mangues et de cacao fait apparaître des ressources annuelles de l'ordre de $13 millions.

iv. Les projets en cours avec l'aide internationale (CIDA dans les Nippes, USAID dans l'agriculture de montagne, FAO à Marmelade) démontrent que l'environnement permet une augmentation de la productivité agricole.

v. Les zones agroécologiques que l'ont peut trouver en Haïti offrent des possibilités de cultures variées susceptibles d'augmentation de productivité et de production, aussi bien pour le marché local que pour les marchés internationaux. Dans chacune de ces zones (bon niveau de pluviométrie, fertilité du sol adéquate, potentiel d'irrigation) il existe des cultures phares ou des associations de cultures avec potentiellement une haute valeur ajoutée qui peuvent être améliorées pour répondre à la demande, locale ou étrangère, aussi bien qu'aux besoins de l'exploitant.

vi. Les perspectives d'augmentation de production de ces cultures et de ces systèmes d'exploitation sont très bonnes d'autant plus que le niveau actuel de technologie est extrêmement bas et que l'exploitant haïtien est un individu qui travaille dur, est créatif et répond bien aux signaux du marché.

vii. Une étude de la Banque Mondiale des systèmes d'exploitation montre que des espaces dans différentes zones agroécologiques ont un potentiel clair pour le développement. Ces espaces comprennent »des zones de montagnes humides, des zones de bas-fond (irrigués et humides) et des zones sèches et semi-arides. Dans chacune de ces zones agroécologiques, ont été identifiées des cultures de pointe avec haute valeur ajoutée qui peuvent répondre à la demande de marché et qui pourraient servir de moteurs de croissance soit seules, soit en association. Et l'étude conclut : « Au moins sur le court et moyen terme, il est important de soutenir le secteur agricole comme un moteur clé de la croissance d'autant que l'agriculture peut produire des effets multiplicateurs pour le reste de l'économie rurale. »

La question de principe peut donc être considérée comme réglée. Il reste des questions en suspens. Quels types d'intervention rendront l'agriculture plus efficace ? Quelles sont les structures : centralisées, décentralisées ? Comment stabiliser l'environnement ? Faudra-t-il instituer un pécule de l'environnement qui inciterait les exploitants à adopter des méthodes de préservation ou de restauration plus soutenables de l'environnement ? Autant de questions que nous laisserons aux spécialistes. Ce qui toutefois nous apparaît comme incontournable dès maintenant, c'est la question de la création d'une Banque Publique de Développement pour le financement de l'agriculture et des petites et moyennes entreprises.



D. Créer une Banque Publique de Développement

À plusieurs reprises au cours des dernières années, j'ai aussi bien dans les publications du Midh que dans des discours publics, recommandé la création d'une Banque Publique de Développement. Dans les milieux où l'idée a fait son chemin, nombreux sont ceux qui se sont frottés les mains, en pensant : « Ah ! Formidable ! Une nouvelle IDAI, qui permettrait à ceux proches du pouvoir de s'accorder des prêts de complaisance qui ne seraient jamais remboursés. » À ceux-là, nous répondons qu'ils ont tort d'espérer. Nous pensons qu'il n'y a pas de défaillances du secteur public bancaire auxquelles de fortes institutions, des professionnels compétents et honnêtes ne puissent parer ou remédier, et il n'y a aucune raison pour qu'une nouvelle banque publique finisse comme l'IDAI.

Ceux qui s'opposent à l'idée de la création d'une banque publique - souvent d'ailleurs par le silence - le font au nom de l'orthodoxie. Comment par ces temps de privatisation fondamentale, penser à monter un système de crédit public ? Ceux-là oublient - ou ne savent pas - que en avril 2004 les banques publiques dominaient le secteur bancaire dans la majorité des populations des pays sous-développés. Nous pourrions en rester là, s'il ne s'agissait que de polémiquer. Mais, dans la perspective d'une politique de croissance, qui est la nôtre, ignorer que l'accès au financement est la clé du processus de développement serait faire preuve d'irresponsabilité. Il n'y a pas de croissance sans investissements. Il n'y a pas d'investissements sans financement. À quel coût, et quelles sont les conséquences du manque d'accès au financement pour l'agriculture et les petites et moyennes entreprises, lesquelles sont les plus grandes créatrices d'emplois, sur la croissance et le développement économique ?

Haïti aujourd'hui est coincée dans un dilemme. D'un côté, le Gouvernement se doit de maintenir la stabilité du secteur financier dans son ensemble, ce qui suppose qu'il établisse des règles qui régissent le comportement des banques y compris des limites sur les types de crédits, les normes de capital et de liquidités. Mais d'un autre côté, on attend du Gouvernement qu'il crée la croissance, ce qui implique qu'il encourage les institutions financières à allouer du crédit aux entreprises productives et, du fait que de tels prêts présentent des risques, le Gouvernement a pour devoir d'équilibrer ces risques par rapport à l'exigence de stabilité à tous les niveaux.

Haïti dans un dilemme

La réconciliation nécessaire entre stabilité, croissance et large accès au crédit est l'un des nombreux défis que le Gouvernement s'est montré incapable de relever. Quand, en 1991, le Président Aristide avait décidé de libéraliser le secteur financier, de libérer les taux d'intérêts sur les prêts et les dépôts, de relâcher tous contrôles sur le crédit et les réserves obligatoires et de jeter la gourde sur le marché parallèle, j'avais dit : « C'est de la folie. Aucune action compensatrice n'est en place. De toutes les mesures de libéralisation, la libéralisation financière est la plus dangereuse. Son impact est vaste et a des répercussions sur tous les secteurs de l'économie. Le secteur est fragile, à la merci non seulement de changements politiques et économiques mais souvent même de perceptions psychologiques. Ne libéralisons pas tous azimuts sans avoir mis en place des garde-fous. » À cette mise en garde rendue publique par un communiqué du Midh, c'est Marie-Laurence Lassègue, qui avait été chargée de nous répondre. Elle l'a fait avec un propos hors sujet par référence à une fumeuse histoire de « carnet » d'où on devait comprendre que seul Aristide, auquel le peuple n'avait pas donné de « carnet », avait encore droit à la parole.

Si on nous avait écoutés, d'une part et en tout premier lieu, le scandale des coopératives ne se serait pas produit. D'autre part, le secteur financier ne finance pas le développement. La libéralisation sans garde-fous du secteur financier a abouti à l'absence de financement à long terme et à limiter l'accès au financement à un petit groupe de grandes entreprises ; 80 % des avoirs bancaires sont détenus par trois grandes banques ; 10 % d'emprunteurs individuels reçoivent environ 80 % du total des prêts. À peu près la moitié des crédits va au commerce et aux services, 1 % seulement va à l'agriculture et aux transports. La situation du secteur bancaire par rapport à la croissance de l'économie n'est pas seulement anormale mais absurde et suicidaire ; l'agriculture est reconnue comme moteur de croissance. Elle représente 30 % du PIB, 50 % de l'emploi total, 2/3 de l'emploi en zone rurale où vivent 2,7 millions de pauvres, et le crédit bancaire à l'agriculture ne représente que 1 % du total des crédits pendant que 45 % des dépôts dans les banques restent inutilisés.

Un secteur financier performant

Un secteur financier performant est une condition sine qua non de la croissance économique. Il a été amplement établi que 50 % de la variation du PIB par tête entre pays s'explique par la variation du crédit au secteur privé par rapport au PIB. Le financement induit la croissance. Les pays avec un secteur financier dynamique augmentent l'activité économique deux fois plus vite que les autres. À mesure que le PIB par tête augmente par suite du développement du secteur financier, les ménages bénéficient d'un revenu plus élevé, consomment et investissent davantage, diversifient leur épargne, et l'accès au crédit leur permet d'acheter des engrais, des semences et d'augmenter leur productivité.

La perspective d'un marché des capitaux restera encore longtemps une vue de l'esprit en Haïti et matière à spéculation pour commentateurs impatients. Le financement extérieur reste toujours une possibilité mais la question du volume, des conditions et de la prévisibilité restera toujours une source d'incertitude.

Mais il y a plus grave. Le plus grave est que les raisons pour lesquelles le crédit bancaire ne va pas à l'agriculture ne sont pas des raisons susceptibles de disparaître du jour au lendemain. Les banques préfèrent - et on les comprend - financer les déficits du Gouvernement, à un taux rémunérateur. Elles se plaignent - toujours à bon droit - de la faiblesse du système judiciaire, de la faiblesse du marché et des infrastructures. Dans quel délai ces problèmes seront-ils résolus ? Et qui peut garantir que, ces problèmes résolus, le secteur bancaire s'ouvrira au financement de la croissance ? On ne peut pas savoir.

La raison pour laquelle nous recommandons la création d'une banque publique de développement n'a donc rien d'idéologique. Ce n'est ni pour limiter le pouvoir économique et politique des banques privées, ni pour le plaisir de contrôler et d'infléchir le secteur bancaire mais pour corriger une défaillance du marché et faciliter l'accès au crédit pour de petites entreprises potentiellement productives lesquelles sont pour l'instant privées de toute possibilité raisonnable de contribuer à la croissance de l'économie.

À suivre
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L'article original peut être trouvé sur le site Web du journal Le Nouvelliste en cliquant ici.

samedi 23 mai 2009

Haïti (Économie) : III. Les composantes d'une stratégie

Source: Le Nouvelliste, 21 mai 2009
Par Marc L. Bazin
Président (MIDH)
marclouisbazin@hotmail.com


Introduction
Il était une fois un poète africain qui s'était égaré dans la brousse. Comme un paysan venait à déboucher d'une clairière, le poète lui demanda : « quelle direction prendre pour aller d'ici à la capitale ? » D'un geste de la main, le paysan indiqua la direction. Mais à peine avait-il fait le geste de la main que le paysan s'empressa d'ajouter : « seulement, si j'étais vous, je ne partirais pas d'ici », à quoi le poète répondit: « malheureusement, je ne peux partir que d'ici. » Nous sommes comme le poète africain. Pour dégager valablement des composantes fiables à notre stratégie de croissance et de réduction de la pauvreté, il nous faut partir de l'état de l'économie haïtienne telle qu'elle est en ce mois de mai 2009.
Ce texte est en deux temps:
A) Notre économie n'est pas en bon état et son incapacité à générer la croissance vient en grande partie de l'échec de la politique de stabilité macroéconomique actuelle, telle qu'elle a opéré jusqu'ici.
B) A la question : quelle croissance, comment et pour quoi faire ? nous répondrons que pour avoir la moindre chance de réduire substantiellement la pauvreté, toute politique de croissance doit nécessairement s'accompagner d'une politique systématique de réduction de la fracture sociale, laquelle ne se conçoit pas sans un consensus national.
A. Notre économie n'est pas en bon état
2008 a été l'année de la pire crise humanitaire depuis 100 ans. Les dommages consécutifs aux ouragans sont estimés à $ 900 millions (15 % du PIB) sans compter la réhabilitation du secteur agricole, la reconstruction de l'habitat et des infrastructures. Les besoins de financement au titre de la réparation des désastres ont été évalués à $ 763 millions. L'insécurité alimentaire atteint plus de 3 millions de personnes. A la fin mars 2009, le Programme Alimentaire Mondial n'en touchait que 650.000 et si les donateurs ont augmenté considérablement leur financement de programmes de nourriture et de cash contre travail, l'appel d'urgence lancé par les Nations Unies ne recueillait que $ 127,5 millions en promesses, mais sur ces $ 127,5 millions de promesses, des engagements fermes n'étaient effectifs que à hauteur de 45 %. Par suite de la crise économique mondiale, les transferts des Haïtiens de l'étranger ont baissé, fait d'autant plus préoccupant que la consommation privée dépend fortement des transferts de la diaspora.
Entre octobre 2007 et septembre 2008, le PIB réel par tête s'est effondré. La croissance pour 2008 est maintenant estimée à 1,3% contre 3,4 % en 2007. En septembre 2008, le taux d'inflation avoisinait les 20 % contre moins de 8 % en 2007. Le déficit budgétaire global (hors dons et financements extérieurs) était de l'ordre de 2% du PIB au lieu des 1,7% programmés. La base monétaire s'est envolée, atteignant 14 % contre les 7,9% programmés. Bien entendu, le gouvernement, soucieux avant tout de contenir l'inflation et de contrôler les fluctuations du taux de change, a vendu pour $ 52,2 millions de devises étrangères, a augmenté de 20% le volume de bons BRH à souscrire par les banques commerciales pour un total de G 1,5 milliard et a doublé les taux d'intérêts. Pendant ce temps, et comme il fallait s'y attendre, les crédits au secteur privé stagnaient à hauteur de 13,1% du PIB. Pour sa part, le déficit commercial passait, entre 2007 et 2008, de G 1 milliard à G 1,6 milliard. La couverture de nos importations en devises est restée inférieure à trois mois et le service de la dette représentait 225,7% des exportations et plus de 10% des recettes fiscales.
Qu'en est-il de 2009? La situation se présente-t-elle sous un meilleur jour? Pas du tout. Au contraire. Les projections de croissance ont dû être révisées à la baisse, de 4,5 % à 2,5 %, et d'inflation à la hausse de 7% à 9,5%. Même à 2,5 %, taux à peine supérieur au taux d'accroissement de la population, la projection de croissance en 2009 est hautement spéculative, car elle sera vraisemblablement handicapée notamment par une baisse nette des exportations par suite de la récession mondiale, une baisse des envois des Haïtiens de l'étranger, laquelle réduira la consommation, et une augmentation des importations alimentaires.
Le budget 2009 prévoit un programme ambitieux de dépenses d'investissements, en augmentation de 1,8 points de pourcentage par rapport à 2008. Les dépenses de 2009 (y compris les investissements financés par l'extérieur) sont projetées à hauteur de G 61 milliards. Pour financer en partie ces G 61 milliards, le gouvernement espère collecter des ressources propres à hauteur de 10,5 % du PIB. Comme pour la projection de croissance, cette projection de couverture des dépenses par des ressources internes propres est aléatoire. Depuis le rejet par l'opinion, appuyée par le Parlement et les distributeurs de cellulaires, de l'augmentation de la taxe sur les communications, il souffle dans notre pays un vent de fronde contre l'impôt dont les autorités auraient tort de sous-estimer l'impact.
Les ressources (y compris financement extérieur) sont évaluées à G 48,8 milliards. En excluant le financement extérieur, le déficit prévisionnel global est de G 8,8 milliards pour 2009. Fin mars 2009, le gouvernement espérait pouvoir couvrir ce déficit avec un soutien budgétaire de G 6 milliards, dont une grande partie viendrait des ressources des fonds vénézuéliens, des allègements et des rééchelonnements de la dette à hauteur de G 900 millions, un tirage de G 300 millions sur les dépôts du gouvernement à la Banque Centrale et G 2 milliards qui viendraient de la réunion de Washington. Au cas où ces G 2 milliards ne viendraient pas, c'est la planche à billets qui serait mise à contribution mais à une condition qui défie le bon sens : en effet, le gouvernement s'est engagé par devant le Fonds Monétaire International, au cas où il était condamné à faire du financement monétaire pour les G 2 milliards, à rembourser la Banque Centrale intégralement en 2010 par des ressources budgétaires normales. Choisir une année électorale pour rembourser $ 50 millions nous paraît, quant à nous, une idée intempestive et plutôt originale qui exposera le pays soit à des remous sociaux considérables soit à la non-exécution de ses engagements internationaux.
Pour ce qui est de la balance des paiements, en 2009, elle sera négative pour la première fois depuis 2003. Les importations de produits pétroliers et de biens alimentaires augmenteront ($ +200 millions) les envois des Haïtiens de l'étranger vont baisser ($ -154,4 millions) et l'impact global négatif se situe à $ -240 millions. Si on s'attend à ce que le FMI couvre une partie du déficit de la balance des paiements avec un nouveau crédit de DTS 25 millions, le financement du solde des besoins (en support budgétaire, financement de projets, assistance humanitaire, au 30 mars 2009), était hautement incertain, les soutiens additionnels promis étaient alors de $ 193,5 millions par rapport à des besoins évalués à $ 654,4 millions.
Pour résumer, inflation en hausse, croissance en baisse, déficits budgétaires en augmentation et financement non assuré, balance des paiements négative pour la première fois depuis 2003, c'est là un bilan lourdement négatif et nous pensons que c'est à tort qu'on voudrait en faire porter toute la responsabilité aux ouragans et à la crise mondiale. Ces éléments ont certainement joué un rôle mais nous ne devons pas oublier que, en tout état de cause, entre 2006 et 2008, les projections de taux de croissance ont constamment été révisées à la baisse pour une raison ou pour une autre. Pour nous, la responsabilité majeure de la paralysie économique actuelle ne doit pas être recherchée ailleurs que dans la persistance depuis trois ans d'une politique de stabilité macroéconomique bien inspirée dans son principe mais mal encadrée dans la pratique.

a) Notre politique de stabilité macroéconomique n'est pas crédible. Elle nous permet de résoudre des problèmes de liquidité mais non de solvabilité. Bien sûr, nous réduisons les déficits mais personne ne croit que nous soyons pour autant devenus solvables. Pour se convaincre de cela, il suffit de consulter le ratio dette/PIB lequel, fin septembre 2008, était estimé à 29%, et de constater la tendance croissante à la dollarisation, signe patent du manque de confiance du public et des investisseurs dans la gestion de l'économie.
b) Les améliorations de l'équilibre budgétaire n'ont très souvent pu se réaliser que soit par le report à plus tard de dépenses d'investissements nécessaires, lequel report à plus tard pénalise la croissance, soit par des augmentations de ressources dont l'effet n'est pas reproductible à l'infini et ne joue qu'une seule fois, à quoi il faut ajouter le transfert abrupt, fin septembre 2008, de $ 51 millions de fonds vénézuéliens alors que les dépenses hors budget de fonds vénézuéliens ($ 197,5 millions) ne devaient être exécutées qu'en 2009.
Le report à plus tard des dépenses d'investissements en capital, de santé et d'éducation est d'autant plus indéfendable que leur impact budgétaire est calculé sur une base cash et ne prend pas en compte la très forte rentabilité de tels projets sur le long terme. A ne prendre en compte que l'impact de ces dépenses sur le court terme et à les considérer comme de pures dépenses de consommation, on minimise le fait que contrairement à de simples dépenses de consommation, ces dépenses-là sont de nature à augmenter la production et à générer des ressources fiscales. Dans la mesure où réduire les investissements sur ces dépenses réduit la croissance et les ressources fiscales à venir, cette manière de faire affecte négativement la solvabilité financière elle-même.
c) La politique de stabilité macroéconomique, telle qu'elle fonctionne aujourd'hui, ne jouit pas d'un dispositif institutionnel satisfaisant. Un cadre macroéconomique stable n'est pas une fin en soi. Un cadre macroéconomique stable n'a d'intérêt que comme moyen de fournir un bon environnement macroéconomique global. Or, la contribution directe que la stabilité macroéconomique peut apporter à la croissance dépend de l'environnement institutionnel. Les entrepreneurs quels qu'ils soient - fermiers, petites entreprises, sociétés industrielles et entreprises multinationales - sont au coeur du processus de développement. Ils fournissent plus de 90% des jobs, et représentent donc des acteurs incontournables pour la croissance. Leur décision d'investir est déterminée par le climat d'investissements, et le climat d'investissements, c'est le gouvernement qui le détermine car c'est au gouvernement à garantir les droits de propriété, à assurer la sécurité des transactions, à fournir l'infrastructure à des coûts modérés et stables, à pratiquer une politique fiscale d'encouragement et d'incitation à la réalisation d'investissements, à entourer le marché du travail et le marché des capitaux du cadre propre à les inciter à contribuer à la croissance. C'est au Gouvernement qu'il appartient de prendre des mesures efficaces de lutte contre la corruption, de maintien d'un environnement politique démocratique et fonctionnel et d'un climat sécuritaire satisfaisant.
A défaut de ce climat-là, la stabilité macroéconomique est comme un sac vide, les entrepreneurs n'investiront pas beaucoup et la croissance ne sera pas au rendez-vous. L'absence de réformes institutionnelles mine l'efficacité de la stabilité macroéconomique elle-même, jette des doutes sur la capacité de la stabilité macroéconomique à se maintenir et transforme le secteur privé en spectateurs sceptiques en situation d'attente.
B. Quelle croissance, pour quoi et comment faire ?
Nous partons donc de très bas. C'est pourquoi la croissance économique que nous-même nous recherchons, ce n'est pas une croissance pour le principe. C'est une croissance pour réduire la pauvreté substantiellement d'ici les dix prochaines années. Avec les taux faméliques actuels de 2-3 %, quand ce n'est pas 1,3 %, Haïti ne va nulle part. Car tous les exercices de simulation sont formels : dans l'hypothèse d'une augmentation du revenu par tête de 2 % par an, le taux d'extrême pauvreté ne baisserait que de 3,3 % après cinq ans. Pour réduire la pauvreté substantiellement, compte tenu du bas niveau de croissance en cours depuis si longtemps, et des faiblesses structurelles de notre appareil de production, la stratégie de véritable croissance économique que nous préconisons se donne pour objectif de porter la croissance sur la période à un taux de 4,4 % par tête par an, ce qui correspondrait à un taux annuel de 6,7 % du PIB global. Le modèle actuel de développement dans lequel Haïti s'est engagée depuis le milieu des années 80, s'il a incontestablement réussi, sauf interférence extérieure, à réduire l'inflation, à stabiliser les prix, à réduire les déficits budgétaires et à augmenter les réserves internationales, notamment entre les années 2004 à 2008, est insusceptible de générer une croissance assez forte et assez stable pour réduire la pauvreté de manière significative et, à notre avis, les chances pour l'avenir ne sont pas meilleures.
D'abord, parce que les postulats de départ ne se sont pas vérifiés. Ensuite, parce que le modèle, chez nous, ne fait pas une place sérieuse et responsable à la réduction des inégalités.
Le postulat que le contrôle de l'inflation et des déficits budgétaires déboucherait sur la croissance ne s'est pas confirmé en Haïti. Par comparaison avec les années 1975 80, les taux de croissance des années 1991-2008, dans le meilleur des cas, ont été de moitié inférieurs. Entreprises dans la précipitation, sans préparation adéquate et sans infrastructure appropriée, les libéralisations ont réduit la production agricole, affaibli considérablement la production industrielle pour le marché local, réduit les ressources budgétaires et changé la structure des exportations. Les exportations ont augmenté mais les importations ont augmenté bien davantage et, mis à part le cas de l'industrie d'assemblage, la libéralisation unilatérale n'a pas garanti un large accès aux marchés extérieurs. Concentrées à l'extrême, les banques prêtent à des clients privilégiés dans des services et négligent d'autres secteurs productifs tels l'agriculture.
Nous pensons, pour notre part, que si c'est pour réduire la pauvreté que nous voulons la croissance, alors c'est tout l'agenda du développement qu'il faut changer. Au niveau de pauvreté, d'inégalité et de faible croissance où nous sommes arrivés, il ne peut être question de continuer à nous comporter comme si le simple fait de libéraliser l'économie, de l'ouvrir au monde extérieur, de privatiser les entreprises, de libéraliser les taux d'intérêts, de prétendre laisser libre champ au marché nous donnera jamais le taux de croissance nécessaire et suffisant pour réduire la pauvreté. La globalisation, nous devons la saisir et non pas la subir.
Il nous faut repenser l'agenda de développement. Continuer à dire que l'on veut élargir le rôle du marché sans accompagner le marché d'un arsenal de politiques publiques qui : a) rendent le marché plus efficace, et b) contribuent directement à réduire la fracture sociale, équivaudrait à des coups d'épée dans l'eau. Dans l'approche que nous-mêmes préconisons, croissance économique et réduction de la pauvreté et des inégalités vont de pair. La croissance, à elle seule, en supposant qu'on l'obtienne, ne fera pas l'affaire. Car si la croissance est une condition de réduction de la pauvreté, elle ne peut en rien réduire le niveau de pauvreté si elle ne s'accompagne pas d'une lutte systématique contre l'exclusion sociale. Les inégalités limitent l'effet de la croissance sur la réduction de la pauvreté et parfois même les inégalités bloquent la croissance. Réduction de pauvreté et des inégalités ne peuvent plus figurer comme on ne sait quel appendice implicite de la croissance. Si on veut augmenter l'impact de la croissance sur la réduction de la pauvreté, il nous faut impérativement réduire les inégalités. Croissance économique, réduction de la pauvreté et des inégalités se renforcent les unes les autres.
L'approche à l'honneur aujourd'hui, qui consiste à dire en théorie « moins il y a d'État, plus il y a de marché, mieux cela vaut » mais en réalité, est une approche dans laquelle l'État s'abstient de faire les bonnes choses qu'on attend de lui et au contraire tolère un environnement pénalisant, doit céder la place à une nouvelle politique dans laquelle un État engagé dans le développement se donne les moyens de corriger aussi bien les déficiences du marché que les siennes propres et recherche un consensus national pour lutter contre les inégalités.Prochain article : Vers une économie efficace et solidaire
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samedi 9 mai 2009

Haïti (Économie): II Des verités fondamentales (Suite)

Source: Le Nouvelliste, 7 mai 2009
Par Marc L. Bazin
Président (MIDH)
marclouisbazin@hotmail.com



C. Nous convertir à une approche plus orthodoxe de l'aide internationale
Puisque Haïti est un pays en déficit chronique, que nous n'avons pas (comme la Jamaïque) accès au marché international sur lequel nous pourrions émettre des bons, que les accords passés avec le Fonds Monétaire International nous interdisent de recourir à la planche à billets, l'aide internationale à des conditions de faveur est notre seul recours pour le financement des déficits. C'est bien ce qui se passe en réalité. Entre 2005-2008, l'aide internationale concessionnelle a financé pour G. 13 milliards de soutien budgétaire, G. 38 milliards de dons pour des projets et G. 50 milliards d'aide aux investissements, pour un total d'environ G 100 milliards, soit donc une moyenne de G. 20 milliards par an. À ce financement des déficits par l'aide internationale, il faut ajouter les allègements de la dette, l'assistance technique, les aides humanitaires et les dons en nourriture.
Mais l'aide étrangère n'a pas que des qualités. Elle est imprévisible dans son montant. Son rythme de déboursement est souvent lent. Une grande partie de l'aide passe par les ONG, non par le Gouvernement. Souvent les donateurs ont des procédures différentes. De tout cela, Haïti se plaint. À bon droit. Mais surtout Haïti voudrait que l'aide augmente. Ceci aussi est normal et logique, compte tenu de nos besoins. Mais dans notre conception, dans la manière dont nous percevons nos rapports avec l'aide internationale, il y a quelque chose de malsain et de profondément vicié à la base. Nous avons tendance à nous comporter et à raisonner comme si l'aide était un dû et non pas un concours volontaire de la part des donateurs. Jugez-en vous-mêmes.
Dans un document intitulé « Vers un nouveau paradigme de coopération, Washington 14 avril 2009 », préparé à l'intention de la réunion de Washington, on lit : « Dès les premiers travaux préparatoires, il est clairement apparu que les partenaires de la Communauté internationale attendaient les décisions du Gouvernement sur des sujets en discussion depuis un moment déjà. »
Ces sujets sont :
- l'augmentation des recettes propres, notamment par la taxe sur les communications
- la diffusion publique de rapport sur l'exécution du Programme d'urgence
- le financement du Fonds d'Entretien Routier en adéquation avec les investissements consentis
- la grille de planification de l'électricité en rapport avec les coûts de production
- la facilitation des investissements.
En ce qui nous concerne, et en ce qui concerne toute personne sensée et de bonne foi, il ne devrait pas y avoir, sur l'une quelconque de ces questions, matière à débat puisqu'il s'agit, soit d'un problème de transparence dans la gestion des fonds publics, soit d'un problème de gestion efficace de nos maigres ressources. Pourtant, à toutes ces questions, le rapport donne des réponses pour le moins inattendues et équivoques. Le rapport dit : « Le Gouvernement est disposé à agir lorsque les conditions favorables sont réunies. Par ailleurs, il doit y avoir réciprocité dans la mesure où les gains pour la population en termes de quantité et de qualité de services permettent de justifier tous les sacrifices et efforts additionnels. Pour que les mesures attendues soient politiquement et socialement acceptables, elles doivent correspondre à un apport de ressources conséquent. » En clair, si la communauté internationale veut que Haïti augmente ses recettes propres, et publie un rapport sur la manière dont les fonds vénézuéliens ont été utilisés, il faut qu'elle nous dédommage au préalable et qu'elle nous paie en conséquence. De toute évidence, il y a maldonne, d'autant plus que dans ce même document Haïti propose « un plan sur un horizon de douze à dix-huit mois (exercices 2008-2009 et 2009-2010) au coût total de $ 792 millions », auxquels s'ajoutent $ 125 millions au titre du Programme de redressement des finances publiques. Entre les besoins des programmes ci-dessus et la réponse faite aux demandes de transparence et de bonne gestion, l'écart est considérable, et il n'y a pas lieu de s'étonner que le Canada ait rendue publique sa décision de ne pas participer à un quelconque financement à court terme, ni non plus que, en dehors d'un beau succès diplomatique, la réunion de Washington se soit soldée par des résultats financiers maigres par rapport aux attentes.
L'approche que nous-mêmes nous proposons pour l'aide étrangère se formule comme suit. Nous devrions pouvoir dire aux donateurs : « Voici notre stratégie de croissance. Voici nos priorités. Voici les règles que nous nous fixons pour atteindre à la croissance. En voici le coût et également voici notre contribution. » Sur cette base, les concours extérieurs viendraient en complément de nos moyens propres et non comme le début, et encore moins, comme une condition sine qua non, de notre propre action. Nous pensons que les autorités devraient changer d'attitude et adopter vis-à-vis de l'aide internationale une attitude plus orthodoxe.
Pour obtenir davantage d'aide, il y a des règles à observer. Citons-en au moins quatre :
- tout d'abord, la démonstration par des actes concrets que notre pays assume son effort de développement et ne considère pas les réformes comme des obligations imposées de l'extérieur que l'on subit parce que c'est le prix à payer pour recevoir de l'aide et vis-à-vis desquelles on doit pouvoir marronner aussi longtemps que possible
- nous devrions renforcer notre capacité d'analyse et d'identification des contraintes à notre potentiel d'absorption de l'aide et mettre en place des mécanismes propres à lever ces contraintes
- nous devrions espacer les interventions en fonction des contraintes, aligner les décisions d'investissements publics en fonction des priorités et établir des liens étroits entre le processus de décision relatif à la stratégie de réduction de la pauvreté et les différentes parties appelées à participer à, ou à bénéficier, de l'exercice
- finalement, le grand défi est d'établir un dispositif efficace de facilitation de l'augmentation de l'aide. L'idée centrale d'un tel dispositif est de lier les Ressources aux Résultats (R&R), c'est-à-dire d'établir un lien clair entre les ressources nouvelles et la stratégie propre du Gouvernement et les résultats additionnels qu'on est en droit d'attendre des ressources en augmentation.
Ces principes d'alignement et d'harmonisation de l'aide par rapport aux résultats ont été bien compris et absorbés par de nombreux pays sous-développés (Rwanda, Ouganda, Ghana). Le cas du Ghana est particulièrement intéressant. Le Ghana a deux atouts. Son taux de croissance économique est de 5 à 6 % par an. Son plan vise à porter le taux de croissance à 8,5 %. Le Ghana a articulé clairement ses objectifs de développement et a défini non moins clairement les politiques et les programmes qui lui permettront d'atteindre ses objectifs. En juin 2006 s'est tenue à Accra une Conférence des donateurs. Ces donateurs ont augmenté l'aide de manière considérable, y compris $ 5 milliards ($ 800 millions de plus que ce qui avait été promis six mois auparavant), plus $ 1,3 milliard d'allègement de la dette, soit donc $ 6,3 milliards pour quatre ans. Oui, nous avons bien dit 6,3 milliards de dollars !
À notre avis, c'est toute l'argumentation du problème de l'augmentation du volume de l'aide qu'il nous faudrait repenser. La question du volume de l'aide étrangère devrait se poser, non pas en termes d'équité ou de justice, c'est-à-dire en termes de « faire quelque chose » pour Haïti, encore moins en termes de dette des donateurs mais, plus fondamentalement, au regard de l'objectif de croissance.
Prenons, par exemple, le cas de l'infrastructure. Le raisonnement qui devrait guider notre demande d'aide devrait partir de la pénalisation que nous impose l'obligation de stricte observance de la stabilité macroéconomique. On sait que les projets d'infrastructure ont un taux de rentabilité parfois élevé (de 20 à 25 %). On sait aussi qu'un niveau élevé d'investissements publics dans l'infrastructure augmente le taux d'investissements privés dans l'économie et que, quand les deux sont complémentaires, une augmentation du taux d'investissement dans l'infrastructure augmentera la rentabilité de l'investissement privé et la quantité du stock de capital. Depuis longtemps, les investissements en capital d'Haïti, faute de ressources et à cause du blocage de la règle du déficit zéro, ne représentent qu'un pourcentage faible de son PIB. Le fait que l'investissement public en infrastructure soit faible par suite des politiques d'ajustement a réduit le taux de croissance de 1 % du PIB dans plusieurs pays d'Amérique latine entre 1980 et 1990. Ceci est forcément vrai chez nous. Il faut donc investir davantage dans l'infrastructure. Malheureusement, le niveau d'infrastructure nécessaire pour servir d'aimant à la croissance est élevé. Il y a un minimum d'infrastructure en deçà duquel un pays ne peut pas descendre s'il veut que l'infrastructure contribue à la croissance et à l'augmentation de la productivité. Pour atteindre à ce minimum d'infrastructure, un pays comme le nôtre, qui part de très bas, aurait besoin d'un niveau élevé d'investissements publics d'infrastructure sur une longue période.
Une aide étrangère en augmentation pour le financement de l'infrastructure en Haïti est donc une nécessité non seulement à cause de notre faible capacité de financement public mais aussi parce que le minimum indispensable d'investissements nécessaire est élevé (routes, électricité, ports, télécommunications), parce que la réduction de la part du budget d'infrastructure imputable aux programmes d'ajustement a fait baisser la croissance, et a réduit, plutôt qu'elle n'a accru, le niveau de solvabilité financière et a aggravé la pauvreté.
Si notre conception de l'aide étrangère n'est pas très orthodoxe, elle est également, à beaucoup d'égards, passablement étroite. Nous pensons qu'il y a plusieurs autres domaines auxquels le champ de la coopération pourrait être élargi. Nous en voyons au moins deux dont le potentiel économique est considérable. L'un est l'adhésion d'Haïti à l'Accord CAFTA-DR. Un autre est un règlement légal et ordonné du problème de la migration.
D. Rechercher l'inclusion d'Haïti à l'Accord CAFTA-DR
Signé en 2004 entre les États-Unis et plusieurs pays d'Amérique centrale dont la République Dominicaine, CAFTA-DR (Central American Force Trade Agreement) est un accord commercial qui vise à éliminer les droits de douane, à réduire les barrières non-tarifaires, et à faciliter les échanges commerciaux entre les États-Unis et l'Amérique centrale. Bien entendu tous ces pays (Costa Rica, El Salvador, Guatemala, Honduras, Nicaragua, République Dominicaine) entretiennent déjà, comme nous, des relations commerciales privilégiées avec les États-Unis dans le cadre d'accords préférentiels du type CBI. Mais CAFTA-DR est plus ambitieux. Il est plus complet, et il transforme fondamentalement la nature des relations commerciales avec les États-Unis. Il ne s'agit plus, comme avec le CBI, d'une concession unilatérale des États-Unis sous forme d'arrangements préférentiels mais d'un accord bilatéral permanent, ce qui donne à ces pays d'Amérique centrale un accès élargi à un plus vaste marché sans limite dans le temps et augmente les chances d'investissements directs. Avec CAFTA-DR, les droits de douane sur toutes les exportations non-agricoles et non-textiles de l'Amérique centrale vers les États-Unis et les droits de douane sur 80 % des exportations non-agricoles et non-textiles des États-Unis vers l'Amérique centrale sont réduits. Les droits de douane sur d'autres produits seront éliminés progressivement sur une période de 5 à 20 ans. Si l'Accord prévoit des périodes de transition de 20 ans pour plusieurs produits agricoles, maintient des droits de douane à l'importation sur le sucre et le maïs et si une large gamme de produits (viande de boeuf, beurre, fromage, lait et cacahuètes) continuera à être protégée par des quotas d'importation, il n'en est pas moins une nouveauté extraordinaire en raison de son caractère permanent et de ses implications pour le flux d'échanges commerciaux et d'investissements. Qu'il suffise de se référer au cas mexicain et à NAFTA. Après NAFTA, les échanges commerciaux du Mexique avec les États-Unis ont, entre 1993 et 2003, plus que doublé en termes de dollars, la part du commerce dans le PIB du Mexique est passée de 40 % entre 1980 et 1993 à 58 % depuis NAFTA, et les investissements américains au Mexique sont passés de $ 12 milliards entre 1991 et 1993 à $ 54 milliards entre 2000-2002.
Les effets sur notre croissance de la signature d'un tel Accord avec les États-Unis seraient considérables. Non seulement la libéralisation commerciale dans des conditions normales est porteuse de croissance et réduit les prix des produits de consommation importés mais il y a plusieurs autres créneaux par lesquels une telle libéralisation favoriserait des investissements notamment à travers l 'augmentation de l'épargne nationale, la réduction du coût du capital, l'élargissement du secteur financier et le transfert de technologies a fortiori si un tel transfert de technologies est associé à l'effet de mobilité de la main-d'oeuvre que nous évoquons ci-après.
E. Rompre le cercle vicieux de la migration
Haïti est le pays sous-développé avec le taux le plus élevé de migration de personnes de niveau universitaire, 88 % des Haïtiens qui émigrent le font parce qu'ils ne trouvent pas en Haïti des opportunités pour travailler. Le cercle vicieux vient de ce que notre pays ayant perdu une quantité considérable de gens qualifiés, la capacité d'Haïti à générer des investissements productifs et à alimenter la croissance de la productivité en est réduite d'autant, ce qui a pour effet de nourrir encore davantage la migration des gens qualifiés. Devant une telle situation, on peut dire deux choses : soit qu'il faut arrêter de former des gens qualifiés aussi longtemps que les autres facteurs qui font obstacle à la croissance (et qui empêchent de leur trouver du travail) ne sont pas levés. Ou bien que les pays appelés à profiter de la migration haïtienne qualifiée (en attendant qu'Haïti améliore sa capacité propre d'absorption de ses cadres), nous aident à financer le cursus universitaire, et pas seulement les médecins et les ingénieurs et l'informatique, mais aussi les infirmières, les plombiers, les maçons et les réparateurs de cellulaires. Ceci contribuerait, d'une part, à soulager l'État des $ 248 par tête qui lui coûte l'enseignement universitaire, de renforcer le financement du préscolaire ($ 81 par tête) et du secondaire ($ 69 par tête), et d'autre part, permettrait à l'aide internationale d'influencer la formation universitaire en Haïti en fonction d'un marché du travail élargi.
De toute manière, migration ou pas, l'aide internationale au financement du cursus universitaires est indispensable. D'une part, parce que la formation d'une main-d'oeuvre éduquée est une composante essentielle de toute politique de croissance mais aussi parce que, même si on n'évalue qu'à un minimum de $ 100 par tête la contribution de l'État à une éducation de qualité au seul niveau primaire, Haïti devrait investir $ 200 millions (soit le double de ce que nous dépensons actuellement) chaque année pour soutenir chacun des élèves du primaire.
Les 88 % d'Haïtiens qui émigrent ont la plupart du temps reçu leur éducation avec des fonds publics. Le coût de la migration en termes de perte pour la société et l'économie d'une population de niveau universitaire est important ne serait-ce qu'en termes de perte de main-d'oeuvre, à quoi il faut ajouter la perte de productivité de ceux restés au pays, désormais privés d'encadrement et les coûts payés par l'État pour assurer l'éducation. Les envois de l'étranger représentent-ils une juste et suffisante compensation ? Ceci est évidemment difficile à calculer. Faudrait-il instituer une taxe à l'aéroport ? Le taux de ladite taxe par tête devrait être élevé pour rapporter un niveau de réserves substantiel. De toute manière, les Etats-Unis sont le seul pays qui taxe leurs citoyens en fonction de la citoyenneté en lieu et place du lieu de la résidence. La solution serait-elle dans la réorientation du système éducatif, une réorientation qui nous amènerait à concentrer l'effort sur des activités économiques (agriculture, tourisme, services) pour lesquelles l'économie haïtienne aurait un besoin prioritaire, lequel théoriquement découragerait la migration ? Ambitieux mais risqué, notre capacité d'absorption de main-d'oeuvre qualifiée même dans ces domaines prioritaires, étant limitée et notre compétitivité par rapport à l'extérieur - ne serait-ce que le reste de la Caraïbe - incertaine. En partant à l'étranger et en gagnant bien leur vie, grâce à leur diplôme financé par l'État haïtien, les migrants jouissent des fruits de la rentabilité privée de l'éducation, mais la rentabilité sociale de l'éducation est ignorée. Si leurs études avaient été financées avec des prêts, on pourrait dire qu'un moyen de récupérer sur l'utilité sociale aurait été de diminuer le remboursement des prêts d'un montant déterminé en fonction du temps que les bénéficiaires passeraient au pays, une fois leur diplôme obtenu. Mais nous n'avons pas de système de prêts et, en tout état de cause, il ne saurait être question, après que nous avons été incapables de construire un système économique qui leur donne un emploi bien rémunéré et des conditions de vie acceptables pour eux, et leur famille, d'empêcher que nos compatriotes tentent leur chance ailleurs.
C'est pourquoi nous pensons que la meilleure solution est d'adopter une politique de la diaspora qui consisterait à rechercher le financement d'une partie du cursus universitaire et de certaines professions techniques par l'aide extérieure, à charge par les donateurs de privilégier celles des formations les plus conformes aux besoins de leur large marché.
Le fait que des Haïtiens seraient formés grâce à un financement extérieur dans des disciplines conformes aux besoins des pays d'accueil ne signifierait pas que ces Haïtiens soient perdus à jamais pour Haïti. Ils continueraient d'agir comme courroie de transmission du savoir, de contacts avec les firmes étrangères et la technologie. Nous pensons que Haïti et le pays d'accueil devraient signer des accords qui facilitent le retour soit en permettant la double nationalité, soit en permettant aux Haïtiens de la diaspora, une fois revenus en Haïti, de continuer à bénéficier de leur droit à la pension et à l'assurance-santé.
S'agissant des travailleurs saisonniers de qualification limitée, Haïti se doit de rechercher la signature d'un accord (type mexicain) avec les États-Unis qui permettrait à des contingents d'Haïtiens de contribuer au développement de l'agriculture, du tourisme et de la construction aux États-Unis. Il existe actuellement des centaines d'accords de ce type dans le monde, y compris 168 signés au cours des 50 dernières années, dont la moitié au cours des dix dernières années. Une fois la récession terminée aux États-Unis - et nous espérons que ce sera pour bientôt - un accord de migration temporaire et légal de main-d'oeuvre haïtienne vers les États-Unis réduirait considérablement, et peut-être même, éliminerait le nombre de boat people, contribuerait à augmenter la compétitivité américaine vis-à-vis de plusieurs pays dont certains, en raison de la crise, inclinent de plus en plus au protectionnisme et, une fois revenus au pays, les migrants temporaires investiraient et augmenteraient la compétitivité de notre agriculture. Un autre avantage non négligeable d'un tel Accord avec les États-Unis est qu'il ferait baisser le niveau de l'offre de travail haïtien en République Dominicaine et aux Bahamas, et réduirait la tension permanente entre nous et les voisins que constitue la migration illégale.
F. Augmenter les investissements et l'épargne
Une croissance forte et soutenue ne se conçoit pas sans des investissements élevés. Aucun des pays qui ont augmenté leur taux de croissance substantiellement n'a un taux d'investissement inférieur à 25 % du PIB. La question de savoir quelle proportion d'investissements devra aller tel ou tel secteur sera traitée dans la troisième partie de cet article. À ce stade, signalons simplement, pour le principe, que toute augmentation des investissements passe par un choix entre consommation et dépenses, entre maintenant et plus tard. Il y aura donc toujours un choix à faire entre le court et le long terme. De même, il faudra toujours garder à l'esprit que si les dépenses publiques en infrastructure facilitent l'investissement privé et en augmentent le rendement, les budgets publics excessifs évacuent le secteur privé. Les dépenses se financent par l'impôt, l'emprunt, l'inflation ou l'aide extérieure. L'aide extérieure n'étant pas infinie, le recours abusif aux autres modes de financement priverait le secteur privé des ressources dont autrement il pourrait disposer pour financer ses investissements. Il y a donc un équilibre à trouver. D'un autre côté, rien n'interdit - au contraire - tout encourage le Gouvernement à associer le secteur privé à l'augmentation de l'investissement, notamment en matière de télécommunications (les téléphones cellulaires en sont un bon exemple). Ceci dit, le Gouvernement devra se garder de traiter le produit de l'investissement privé comme une vache à lait. Toute politique systématique de transfert de revenus du consommateur à l'État, par le biais de la télécommunication privée, ne peut aboutir qu'à augmenter le prix du service, et à mettre le service hors de portée de la majorité de la population.
Quant à l'épargne, il n'existe pas un seul cas de croissance qui ne se soit accompagné d'une augmentation de l'épargne. De la même façon que la croissance dépend des investissements, les investissements dépendent de l'épargne nationale d'abord et non pas de l'épargne de l'étranger. Or, l'épargne du secteur public est, chez nous, extrêmement faible, pour ne pas dire, nulle. L'épargne a trois composantes : les ménages, les entreprises, le Gouvernement. Les ménages sont trop pauvres pour épargner et de toutes façons, ne disposent pas en quantité d'instruments de collecte de l'épargne qui en faciliteraient l'accumulation. Le secteur privé épargne davantage - et de loin - que les ménages et le Gouvernement mais ne compense pas l'insuffisance des deux autres secteurs.
L'insuffisance de l'épargne et la faible part relative de deux des secteurs apparaît ci-dessous. Entre 2002 et 2009, la situation de l'investissement et de l'épargne a évolué comme suit :
Investissement et Épargne publique 2002-2006
(en % du PIB)
Investissement 2002 2003 2004 2005 2006
Total ................ 25,1 30,7 27,3 27,4 28,9
Public ................ 4,3 7,0 6,8 7,1 5,3
Privé ................. 20,8 23,7 20,6 20,3 23,5

***
Épargne 2002 2003 2004 2005 2006
Total ....... 24,2 29,1 25,7 30,1 28,9
Publique... -1,1 -0,3 1,3 1,5 1,6
Privé ..... 25,3 29,5 24,4 28,6 27,3

***

Ce que font ressortir ces tableaux est d'une part que l'investissement public est anormalement faible, que sa part par rapport au secteur privé est sévèrement déséquilibrée et ce, dans le temps même où les imbroglios du montant réel d'investissements publics ne sont pas éclaircis. Quant a l'épargne, la différence entre les deux secteurs est encore plus accentuée au détriment du secteur public. Des chiffres provisoires nous indiquent que les mêmes tendances se retrouvent en 2008 et en 2009, comme suit :

Épargne publique (en % du PIB)
2007 2008 2009
Total 21,5 28,3 28,4
Publique 2,9 3,0 1,4



G. Renforcer la capacité de l'État
En lieu et place d'une entité fonctionnelle qui possède et exerce le monopole légitime de la force, garantit l'état de droit et fournit aux Haïtiens un minimum des services qui leur sont nécessaires pour la survie au quotidien, l'État aujourd'hui est le haut lieu de la confusion des pouvoirs entre ses différents organes, et de délégitimisation des institutions et du processus démocratique. De ce fait, il n'inspire pas confiance, et ne fournit pas au secteur privé l'espace légal, institutionnel et psychologique dont il aurait besoin pour investir et entreprendre.
Pour servir à la croissance, l'État devra donc renforcer sa capacité àassurer la sécurité à l'intérieur d'un régime d'état de droit, sur tout le territoire, à assurer à faire respecter l'indépendance des pouvoirs, à gérer les finances publiques dans la transparence, et à donner aux Haïtiens un minimum d'accès à l'école, à l'eau potable, à l'électricité, aux soins de santé et à une alimentation décente.
H. Transformer les jeunes en acteurs de développement
Les chiffres parlent d'eux-mêmes. D'un côté, les jeunes représentent plus de 50 % de la population globale. Entre 15 et 24 ans, ils sont 2.300.000. Entre 10 et 24 ans, ils sont 3.200.000. Marginalisés à l'extrême, c'est dans leurs rangs que sévit le plus fort pourcentage de chômeurs, que se retrouve le taux le plus élevé de VIH/Sida et le rêve de l'immense majorité des jeunes, c'est de fuir, c'est de quitter Haïti à n'importe quel prix, fût-ce au péril de leur vie. D'un autre côté, sur 9 millions d'Haïtiens, il y en a 3,3 millions au bord de l'agonie et de la malnutrition. L'agriculture est incapable de nourrir la population. L'environnement est saccagé à 97 % dans le temps même où les prix des produits alimentaires sont à la hausse. Compte tenu du bas niveau de productivité de nos agriculteurs, il faudra attendre un certain temps avant que la production arrive à éviter la famine chez les millions de personnes déjà cataloguées comme étant d'extrême vulnérabilité. Créer un Service National qui mobiliserait les jeunes pour la protection des bassins versants, la réhabilitation des infrastructures et leur donnerait un salaire est un projet win-win dont l'un des mérites principaux serait d'associer une portion saine et négligée de la population à une tâche de régénération du secteur de production le plus important, lequel est en état d'extrême fragilité.
Prochain article : III. Les composantes d'une stratégie.
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http://www.lenouvelliste.com/article.php?PubID=1&ArticleID=69957&PubDate=2009-05-09
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