vendredi 29 mai 2009

Quand les Etats-Unis se prennent pour une banque d'investissement

Par Hélène Rey

Comme les particuliers, les pays ont des avoirs (les actifs financiers du reste du monde qu'ils possèdent) et des dettes (que le reste du monde détient). Lorsque les avoirs sont supérieurs aux dettes, le pays est créditeur du reste du monde. Analyser l'histoire de la position extérieure des Etats-Unis est fascinant.

Durant la Seconde Guerre mondiale, le Trésor américain fit réaliser une étude précise des avoirs des Etats-Unis à l'étranger et des possessions d'actifs financiers américains par les non-résidents. Ces données avaient une valeur stratégique. Il fallait localiser les richesses de l'Axe et protéger dans la mesure du possible les investissements américains. A l'époque, les actifs détenus par les étrangers étaient largement inférieurs et les investissements américains à l'étranger étaient du même ordre de grandeur, autour de 10 % du PIB des Etats-Unis. Le pays prêtait au reste du monde mais sa position extérieure (avoirs moins dettes) n'excédait pas 4 % du PIB. La grande période de globalisation financière n'avait pas commencé.
Pendant toute la période de Bretton Woods, les régulations sur les flux de capitaux sont maintenues et les avoirs et dettes externes des Etats-Unis ne s'accroissent que lentement. Leurs montants ne dépassent pas 15 % du PIB américain en 1973. Le Trésor focalise son attention sur la gestion de son stock d'or et essaie de contrer les attaques françaises, emmenées par Giscard d'Estaing et de Gaulle, contre l'hégémonie du dollar. Les pressions inflationnistes des années 1960 auront finalement raison de Bretton Woods. Avec la libéralisation des flux de capitaux dans les années 1980 et 1990, commence une croissance nettement plus rapide des achats d'actifs transfrontaliers. Fin 2007, au début de la crise, les actifs étrangers détenus par les Etats-Unis s'élevaient à 122 % de leur PIB en actifs étrangers et leur dette au reste du monde s'élevait à 135 %. Leur endettement net extérieur était donc de 13 % du PIB. Cet endettement net croissant résulte directement des déficits de la balance commerciale américaine accumulés depuis les années 1980.
Mais plus intéressant est l'accroissement exponentiel des positions brutes. Les Etats-Unis d'avant la crise ressemblent à une banque d'investissement qui se finance massivement en émettant de la dette et investit de façon colossale en actifs risques étrangers (stocks, investissements directs). Ce faisant, les Etats-Unis obtiennent un rendement élevé sur leurs actifs et se refinancent à bas pris sur le marché de la dette, profitant de l'engouement mondial pour les bons du Trésor américain. Ils encaissent ainsi la différence de rendements.
Mais, comme pour les banques, cette stratégie d'investissement était risquée. Lorsque les prix des actifs et de la dette deviennent volatils, la valeur du portefeuille externe des Etats-Unis devient encore plus volatile en raison de l'effet de levier. C'est exactement ce qui se passe dans la crise actuelle. Fin 2008, la valeur des actifs étrangers détenus par les Etats-Unis est tombée à 85 % du PIB, la dette externe à 122 % du PIB, si bien que la position extérieure nette des Etats-Unis s'est effondrée jusqu'à - 37 % du PIB !
Des mouvements d'une telle amplitude sont inédits pour les comptes externes des Etats-Unis. Ils sont dus à de très fortes fluctuations des valeurs : les actifs et la dette ont eu des taux de rendement très négatifs (environ - 30 % et - 10 % entre fin 2007 et fin 2008). Mais les rapatriements de capitaux ont aussi joué un rôle important. Les agents privés ont vendu les actifs qu'ils détenaient à l'étranger en proportion importante : le monde financier se rétracte derrière les frontières nationales en temps de crise. Ironiquement, le seul actif qui ait trouvé grâce aux yeux des investisseurs internationaux durant cette période est constitué par les bons émis par le gouvernement américain. Ils constituent maintenant 45 % de la dette totale externe des Etats-Unis et sont concentrés tout particulièrement dans les mains de la banque centrale de Chine. Malgré les déclarations agressives des autorités chinoises contre l'hégémonie du dollar, la Chine continue à être un gros acheteur de bons du Trésor. Ainsi, la crise a rendu de facto l'économie américaine encore plus dépendante des décisions d'investissement de la Chine. Comme durant la Seconde Guerre mondiale, comme dans les années 1960 où de Gaulle cherchait à miner la position du dollar, la dimension stratégique de la finance internationale refait surface.










Dr. Hélène REY
Professeur
London Business School
Photo: www.london.edu


//Source:
http://www.lesechos.fr/info/analyses/4868436-quand-les-etats-unis-se-prennent-pour-une-banque-d-investissement.htm
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//Autre lien:
http://www.lematinhaiti.com/Article.asp?ID=18743
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