Au moment où la Chambre des Députés va se pencher sur les objections du Chef de l’État, il est opportun de faire une récapitulation des questions pertinentes, des données recueillies et des enjeux fondamentaux tels qu’ils se présentent à travers le débat sur le salaire minimum. De quoi s’agit-il exactement ? Quels critères prendre en compte pour déterminer le niveau de ce salaire minimum ? De quelles données dispose-t-on sur le minimum vital dans la zone métropolitaine ? Quel devrait être le niveau du salaire minimum si la loi était régulièrement appliquée ? Est-il vrai que les 200.00 gourdes proposées sont susceptibles de créer du chômage massif ? Ou peuvent être un vecteur d’inflation ? Pourquoi l’État appuie-t-il la position du patronat ? Quelles sont les dispositions prises par l’État pour lutter contre le chômage, créer des emplois, exploiter la loi Hope II à son maximum ? Autant de questions que le texte qui suit se propose d’aborder en mettant l’accent essentiellement sur le secteur de la sous-traitance.
1- On ne dit pas assez que le salaire minimum réfère à la rémunération minimale qu’un employeur doit octroyer à son employé pour un temps donné de travail. Suivant les pays, il peut s’exprimer en heure, jour, semaine, mois et se différencier par branche et/ou par région. Dans tous les cas, il vise à garantir à l’ouvrier, au travailleur, un niveau de revenus qui lui permette de satisfaire à ses besoins fondamentaux et à ceux de sa famille immédiate (alimentation, logement, habillement, éducation), de reproduire sa force de travail, de demeurer un ouvrier.
2- Ce minimum a fait l’objet de diverses estimations pour la zone métropolitaine de Port-au-Prince. La plus conservatrice est celle du Ministère des Affaires Sociales qui, l’année dernière déjà, l’a calculé à 300.00 gourdes. Les 200.00 gourdes proposées sont donc en deçà de ce minimum vital et constituent simplement un pas dans la bonne direction.
3- Comparées au salaire minimum légal encore en vigueur (70.00 gourdes), les 200.00 gourdes pourraient paraître exagérées d’un point de vue comptable ou financier car elles impliquent une augmentation brusque de 185%. Par contre, il faut noter que :
a. Si les règles du jeu en la matière étaient prises en compte, plus précisément si l’article du Code du Travail, prescrivant l’ajustement automatique du salaire minimum chaque fois que le taux d’inflation atteint 10%, était respecté, le salaire minimum légal en 2009 aurait été de 195 gourdes, selon l’économiste Kathleen Dorsainvil [
1]. Cette dernière a montré que le non-respect de la loi constitue une subvention faite aux patrons au détriment des ouvriers. Leslie Péan a estimé le montant de cette subvention à 44 millions de dollars américains pour les 5 dernières années [
2].
b. Le secteur patronal a toujours insisté sur le fait que les 70 gourdes ne sont guère plus la norme et même que la plupart des ouvriers atteignent pratiquement les 200.00 gourdes ou presque. Selon une étude réalisée par le « Strategic Management Group » commanditée par l’ADIH sur le secteur de la sous-traitance, les ouvriers qui actuellement gagnent le salaire de 70.00 gourdes ne dépassent pas 9% du total et constituent essentiellement des ouvriers à l’essai. En fonction de leur productivité, 53% du total des ouvriers gagnent un salaire journalier moyen de 154 gourdes et 38% gagnent déjà plus de 200.00 gourdes, soit 218.00 gourdes, explique l’étude. Il est vrai que les données relatives au temps de travail ne sont pas indiquées et que le risque est grand de confondre productivité du travail et intensité du travail. Cela dit, le salaire moyen pondéré actuellement en vigueur serait de 173.00 gourdes [
3].
c. L’année dernière, sur ce même dossier du salaire minimum, la Commission Tripartite regroupant patrons, ouvriers et l’État s’était mise d’accord sur un salaire minimum de 150-160 gourdes. C’est-à-dire que le secteur patronal s’était engagé à payer 150-160 gourdes de salaire minimum. Ce barème lui paraissait déjà raisonnable et profitable, il y a un an.
d. L’histoire récente des hausses de salaire minimum a toujours pris cette allure : de 15 gourdes à 36 gourdes en 1994, soit plus du double d’un seul coup ; de 36 gourdes a 70 gourdes en 2003, près du double encore une fois. Ce n’aurait pas été la première fois que l’augmentation de salaire minimum aurait pris cette forme apparemment brusque et déraisonnable. La vraie déraison est le non-ajustement par rapport à l’inflation et le non-respect de la loi.
4- Au delà des questions comptables et financières, un argument auquel nous devons tous être sensibles : l’augmentation à 200.00 gourdes risque-t-elle d’entraîner des pertes d’emplois ou de « ruiner » le secteur de la sous-traitance ? On l’a affirmé haut et fort mais personne n’a su le prouver. Les premiers concernés, les industriels, qui ont lancé le débat, se gardent de fournir des données pertinentes à ce sujet et s’y opposent même [
4]. Même le Président de la République, dont on connaît la position sur le dossier, ne s’en est sorti que par un dubitatif « peut-être » sur ce point, dans sa première lettre aux parlementaires [
5]. Et les arguments les plus bruyants en la circonstance sont plutôt navrants : spots publicitaires d’une association de chômeurs « national-nationaux », apparue brusquement sur la scène, sans adresse connue et suffisamment argentée pour en assurer une diffusion massive ; séquences télévisées d’entretien avec un « industriel dominicain », désœuvré, qui dit tout le mal qu’il pense d’une augmentation de salaire minimum, au même moment où le propre gouvernement dominicain choisit de le faire passer a US $9.00/jour.
5- S’il était vrai que la hausse à 200.00 gourdes du salaire minimum était susceptible de faire perdre des emplois, pourquoi le secteur patronal ne s’est-il pas acharné à le démontrer ? pourquoi ne s’est-il pas mis à nous assommer de chiffres, de données, de faits pour nous convaincre de la justesse de sa position ? Pourquoi, des le début, il y a un peu plus de deux ans, ne s’est-il pas attelé a prendre l’opinion publique, la presse, le gouvernement, a témoin des dangers de ce qui n’était a l’époque qu’une simple proposition ? Pourquoi avait-il préféré bouder toutes les invitations du parlement ? Pourquoi lorsqu’il s’était avéré que la Chambre des Députés prenait le dossier au sérieux ne s’est-il pas réveillé ? Pourquoi après l’adoption du projet de loi a la Chambre basse ne s’est-il pas rattrapé au niveau du Sénat ? Pourquoi fallait-il attendre que la loi soit votée par les deux chambres pour se mettre en position de protestation tonitruante ? Pourquoi même en faisant appel au Président de la République, ne s’est-il pas cette fois encore mis en quatre pour nous convaincre, données a l’appui ? Pourquoi même le président de la république lui-même n’a pas pu être convaincu, si vrai que malgré son soutien sans faille, il n’a pu se contenter que d’un « peut-être » lorsqu’il s’est posé la question de savoir si les 200.00 gourdes vont générer des pertes d’emploi ?
6- Pourquoi les services compétents de l’État se sont montrés si réticents, si silencieux dans le débat ? Pourquoi le Directeur Général de la DGI a pu s’offrir le luxe de bouder une invitation/convocation du Chef de l’Etat à propos justement des données de bilan financier ? Pourquoi les Ministères des Affaires Sociales, du Commerce et de l’Industrie, de l’Économie et des Finances ne sont-ils pas venus à la rescousse du Chef de l’État pour démontrer par des études pertinentes et incontestables qu’effectivement l’augmentation à deux cents gourdes serait cause de pertes massives d’emplois ? Et lorsque finalement les parlementaires ont pu, à la DGI, accéder aux documents comptables des entreprises de sous-traitance, c’était pour « découvrir le pot aux roses [
6] », comme l’a annoncé « le Nouvelliste » : la plupart des bilans déclarés sont faux, inconsistants. Des entreprises qui perdent de l’argent tous les ans et continuent à investir régulièrement. Ce qui confirme ce que l’on savait déjà : la plupart des commerçants et industriels de la place fonctionnent avec une double ou triple comptabilité, une pour la DGI, une pour la banque, une pour eux-mêmes. A l’occasion nous avions ressuscité un article paru il y a 23 ans, citant la banquière Gladys Coupet qui s’en prenait aux « bilans-contributions » de nos hommes d’affaires [
7].
7- On se demande pourquoi l’étude du « Management Strategic Group [
8] », citée plus haut n’a pas fait l’objet d’une plus grande diffusion en dépit de ses conclusions favorables à la plupart des vues du secteur patronal (qui en est d’ailleurs le commanditaire) et du prestige de la firme consultante.
L’analyse du compte d’exploitation présenté en page 5 de l’étude suggère :
Le total des ventes indiqué, de 134.1 millions de dollars, pourrait avoir été sous-estimé, si l’on se réfère aux données de la Banque de la République d’Haïti (Rapport Annuel 2007) [
9] et à celles du Département Américain du Commerce, citées par Lesly Péan [
10].
Les coûts variables, (72.8 millions de dollars US), composés à 87% de la rémunération des ouvriers, pourraient avoir été surévalués, si certaines informations fournies en page 5 du rapport ont servi à leur estimation. Il est assumé, par exemple, que tous les ouvriers accèdent aux avantages sociaux prévus par le Code du Travail : une journée de repos par semaine, le paiement des obligations au titre de l’ONA et de l’OFATMA, boni et congé annuel payés, lesquels représentent plus de 20% de la masse salariale. D’ailleurs, en ce qui a trait à la journée hebdomadaire de repos, la même étude présente des fiches de paie individuelles sur la base de 26 jours /mois et non de 30 jours.
Au niveau des « Charges Fixes (51 millions de dollars), le poste le mieux pourvu est celui intitulé « Autres » avec un montant de 24.8 millions de dollars, soit près de 50% du total. Faut-il croire qu’il recèle bien des secrets ?
Le deuxième poste en importance des charges fixes couvre les « salaire supervision et administration » pour 13.1 millions de dollars. Sa désagrégation pourrait aider à mieux comprendre la répartition des salaires au niveau des cadres des entreprises, surtout quand on sait que les superviseurs haïtiens ne sont pas substantiellement mieux lotis. Les considérations qui précèdent suggèrent que l’amélioration de la qualité des données disponibles, ainsi que l’exploration des opportunités de restructuration des coûts pourraient offrir la possibilité de dégager des bénéfices supérieurs aux 10. 3 millions de dollars indiqués. Et donc de payer confortablement les 200.00 gourdes de salaire minimum. Il importe de souligner que les considérations susmentionnées ne détruisent en rien la qualité du travail fourni par la firme en question – somme toute très utiles dans le débat - qui a dû travailler sur la base de données qu’on lui a fournies. Cela dit, rien n’indique que le salaire minimum à 200 gourdes en sous-traitance n’est pas soutenable ou qu’il va provoquer cette perte massive d’emplois promise par le secteur patronal. Ce qui est sûr, c’est que : Le taux de profit du secteur patronal va diminuer ;
La part des salaires dans la distribution du revenu national va augmenter ;
Les inégalités de revenus vont être réduites.
8- Mais on peut supposer, même en l’absence de données convaincantes, que les affirmations du secteur patronal sont fondées. Cela veut dire simplement que le secteur en débat, la sous-traitance, n’est viable qu’en offrant des salaires de misère. Dans ce cas, peut-on parler véritablement d’emplois ? Ne vaut-il pas mieux utiliser les concepts de sous-emploi ou de chômage déguisé ? Mais ce n’est pas le plus préoccupant. Le patronat peut légitimement défendre ses intérêts corporatifs et alerter sur les conséquences que, selon lui, telle mesure pourrait générer. Ce qui parait alarmant, c’est l’absence de préoccupation sur cette situation de ses ouvriers dont il sait bien que les 200 gdes refusées ne leur permettraient guère de satisfaire à leurs besoins les plus primaires. C’est l’absence de vision et de perspective. C’est qu’il assume passivement que ses ouvriers ne sont pas de véritables ouvriers, parce que ne pouvant reproduire leur force de travail. Qu’il ne voit pas le danger de la précarité existentielle de ses ouvriers. Qu’il ne réfléchisse sur aucune stratégie qui permettrait de visualiser concrètement et de manière réaliste le moment et la manière dont pourraient être créés des emplois véritablement rémunérateurs. Ou peut-être la réduction des prix des biens -salaires (alimentation, logement, vêtement, éducation), histoire d’augmenter le pouvoir d’achat du même salaire. Qu’il ne voit pas ses propres intérêts de long terme en tant que secteur social spécifique, convaincu que le bien-être de l’ouvrier conditionne aussi le sien. N’aurait-il pas pu profiter de cette alliance ouverte avec l’Etat pour porter ce dernier à adopter les mesures adéquates visant à mieux profiter de la loi HOPE, à favoriser les investissements nécessaires en locaux, électricité, etc., à promouvoir les secteurs producteurs de biens-salaires (agriculture, artisanat, construction, éducation, …) ? Au lieu de s’en tenir à cette proposition ponctuelle consistant à demander à l’Etat des autobus pour le transport des ouvriers alors que ce point fait partie des obligations impératives des employeurs (assurer le transport gratuit des ouvriers), selon le Code du Travail.
9- En abordant la question de manière très « étroite », d’un simple point de vue « economiciste », sans aucune considération sociale ou éthique ou morale, l’employeur est le premier personnage à avoir intérêt à ce que ses ouvriers se sentent le mieux que possible, le moins frustré que possible. Car si le processus de production implique la mise à contribution de tout un ensemble de facteurs et d’intrants – matières premières, machines et équipements, bâtiments, électricité, téléphone, main-d’œuvre – le plus important de tous est le travail. Seul le travail des femmes et des hommes, des patrons, des cadres, des ouvriers, peut créer de la richesse, transformer les intrants en un produit nouveau, stimuler la croissance, engendrer des profits. Tous les autres facteurs, quelle que soit leur valeur intrinsèque, n’ont la capacité de créer aucune unité de valeur supplémentaire sans l’intervention du travail humain. Pour l’employeur, pour la société, pour la création de richesses, pour la production de profit, pour la croissance, le travail est le facteur le plus important. Sa permanence, sa bonification, sa « capacitation » continues sont les sources les plus sures de progrès et de productivité. Il est donc bizarre que le coût de la main-d’œuvre provoque des protestations aussi fortes alors que les augmentations récentes de prix d’autres intrants (comme l’électricité et le téléphone) sont passées comme une lettre à la poste, même si certaines d’entre eux se sont produites dans des conditions scandaleuses [
11]. A titre d’exemple, les dépenses d’énergie constituent avec 8.5 millions de dollars, le 3eme poste le plus important des charges fixes du compte d’exploitation consolidé du secteur. Ainsi l’amélioration continue des conditions d’existence des ouvriers devrait alimenter les préoccupations journalières des patrons dans le cadre de leurs propres intérêts.
Il est vrai que l’État lui-même qui accompagne le patronat dans la bataille contre les 200.00 n’est pas plus conséquent. Frantz Duval, dans son analyse du projet de budget 2009-2010, note : « Tous les débats de ces derniers jours tournent autour de la nécessité de ne pas tuer les possibilités de création d’emplois dans le secteur de la sous-traitance en appliquant tel quel la loi sur le salaire minimum votée par les deux chambres. Le président de la République, René Préval, fait campagne comme rarement il l’a fait en trois ans et les plus grands industriels du secteur sont allés devant les députés exposer leur point de vue. Pourtant, le dépôt de la loi de finances pour 2009-2010 ne laisse pas entrevoir que créer des emplois dans ce secteur ou ailleurs fait partie des priorités du gouvernement... ni le respect de la hausse annoncée des plus petits salaires et ses conséquences. Le budget de fonctionnement maigrit et aucune mesure d’accompagnement de la relance des emplois n’est perceptible pour créer les 150 à 200 mille jobs promis » [
12]. Il est également vrai par ailleurs que depuis son avènement en 2006, le gouvernement peut difficilement se targuer de création d’emplois. On a plutôt tendance à dire le contraire si l’on se réfère aux révocations massives survenues dans les entreprises publiques, sans qu’elles ne puissent se justifier par l’amélioration de la gestion des dites entreprises.
10- Un autre argument de poids a été évoqué pour contrer le salaire minimum à 200.00 gourdes. L’inflation. Les prix vont augmenter, nous dit-on. Les prix du transport, indiquent certains. Le niveau général des prix disent d’autres. Par quels mécanismes ? Quels en seraient les courroies de transmission ? L’augmentation de numéraire entre les mains des travailleurs, disent certains. Soit. Mais il n’y aura aucune augmentation de masse monétaire. C’est le même revenu global qui sera généré. Seule sa répartition changera. Un pourcentage plus important ira trouver les travailleurs. Pourquoi entre les mains des ouvriers devrait-il être plus inflationniste ? En réalité, cette nouvelle distribution du revenu est beaucoup moins vectrice d’inflation. D’abord en s’inscrivant en faux contre la concentration des revenus, elle prémunit contre l’importation de produits de luxe, contre la fuite des capitaux, contre le gaspillage de ressources nationales. On ne compte plus les placements risqués de nos compatriotes dans des banques et institutions financières étrangères et les pertes qui y sont associées [
13] : Baninter en République Dominicaine (au moins 25 millions de dollars) ; Stanford au Panama (200 millions de dollars), Bernard Madoff (on parle de plusieurs centaines de millions), etc.…. Toutes ces sorties de devises rendues possibles par la concentration des revenus induisent des pressions sur la monnaie nationale, génératrices d’inflation. Par contre, lorsque les couches nécessiteuses reçoivent un meilleur salaire, elles en profitent pour diminuer leur niveau de précarité. Elles ont encore suffisamment de besoins primaires à satisfaire pour ne pas s’orienter vers des biens de luxe acquis à l’étranger, encore moins la fuite de capitaux. Leurs dépenses supplémentaires ont encore plus de chances de se porter sur les produits locaux dont la production pourrait être stimulée.
Dans cette perspective, on pourrait s’attendre aux résultats suivants :
Amélioration de la répartition des revenus ;
Diminution du volume d’importations de luxe ;
Réduction des fuites de capitaux ;
Promotion des secteurs de production lies au marche interne ;
Diminution des tendances inflationnistes ;
Sans compter les incidences positives sur la sécurité, sur la stabilité, conditions indispensables pour attirer de nouveaux investissements nationaux et étrangers, relancer le tourisme, améliorer le cadre de vie.
11- L’adoption d’un salaire plus juste ou plus décent dans un secteur de production n’est nullement incompatible avec l’existence d’autres secteurs fonctionnant sur la base de salaire minima différents. Les différentes composantes de l’économie nationale ne sont pas uniformes en termes de productivité, d’environnement, d’exigences intrinsèques. Deux cents gourdes à Port-au-Prince peuvent générer un pouvoir d’achat moins important que 150 gourdes aux Abricots. Et il est contreproductif de croire qu’il faille attendre que tous les secteurs soient capables d’offrir le même niveau de salaire pour l’adopter dans un autre qui puisse l’atteindre. Au contraire, son application dans un secteur peut porter d’autres secteurs à s’en rapprocher, Par exemple, il n’y a aucune raison pour que l’Etat continue à payer ait ses employés des appointements inferieurs aux 200.00 gdes par jour. Un simple calcul montrera que le coût supplémentaire à supporter en la circonstance représente moins de un pour cent du budget national. Et qu’on n’insinue pas que l’inflation est à nos portes par le simple fait de rémunérer un peu plus justement les employés les moins fortunés de la fonction publique ! Ou va-t-on protester contre les ouvriers du secteur de la construction dont le salaire minimum atteint déjà ce barème pour les moins qualifiés ?
A la lumière des considérations précédentes, rien ne devrait s’opposer à l’adoption des 200.00 gourdes comme barème pour le salaire minimum dans le secteur de la sous-traitance.
Tout le monde est d’accord, y compris le patronat, y compris le Chef de l’Etat, que même les 200.00 gourdes ne suffisent pas à assurer la subsistance de l’ouvrier. Le Ministere des Affaires Sociales a meme estime qu’il faudrait au moins 300.00 gourdes de salaire journalier. Mieux encore, par simple application du Code du Travail, ce bareme aurait du déjà du etre en application. Et les ouvriers auraient pu reclamer les 44 millions de dollars de manque-à-gagner subis pour non-application de la loi.
Bien entendu il fallait tenir compte de l’argument selon lequel des pertes massives d’emplois pourraient etre generees. A l’analyse, aucun protagoniste n’a pu, n’a su, n’a voulu, le prouver. Ceux qui l’ont affirmé, les industriels, ont refusé de l’établir. Ceux qui les appuient, comme le Chef de l’Etat, se sont gardés de l’affirmer.
Par ailleurs, rien n’empêche que des entreprises à problèmes, comme le sont au moins 8% d’entre elles, si l’on en croit l’étude du « Strategic Management Group », dont le taux d’efficience laisse totalement à désirer, fassent l’objet de considérations spéciales en termes de « mesures d’accompagnement » de la part de l’Etat pour les aider autant que possible à remonter la pente. Mais ceci devrait se faire dans le cadre d’une politique bien comprise, non pas au détriment du barème de 200.00 gourdes. Et ce type d’entreprises ne devrait pas dicter la norme, par une sorte de nivellement par le bas.
D’autres arguments ont été évoqués, comme l’accentuation des pressions inflationnistes susceptibles d’éroder le pouvoir d’achat. Là encore, les mécanismes n’ont pas été identifiés.
On a plutôt tout lieu de croire qu’un salaire minimum à 200.00 gourdes devrait plutôt contribuer à améliorer la répartition des revenus, diminuer les importations de luxe, réduire les possibilités de fuite des capitaux et des placements risques du genre Baninter, Madoff, Stanford, lutter contre certaines tendances inflationnistes, tout en améliorant le cadre de vie et le sentiment de précarité des travailleurs. En attendant que d’autres secteurs et d’autres régions fassent l’objet de débats aussi passionnants dans la perspective de la création d’emplois productifs et rémunérateurs et d’une croissance viable, durable et équitable.
1er Aout 2009
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[1] Kathleen Dorsainvil, « Le salaire minimum:est-ce un imbroglio ? ». Voir Le Nouvelliste du 20 juillet 2009
[2] Lesly Péan, « Les industries de sous-traitance et le salaire minimum de 200 gourdes. Voir Le Nouvelliste du 30 juin 2009.
[3] Strategic Management Group SMG). « Impact éventuel d’un nouveau salaire minimum sur l’avenir de l’industrie de sous-traitance en Haïti », Mai 2009 (31pp).
[4] Un membre du secteur patronal, eut même à déclarer à la radio qu’il est incongru de demander des états financiers et qu’il suffisait qu’un patron affirme qu’il va y avoir des pertes d’emplois pour qu’on le croie.
[5] Voici mot pour mot les paroles du Chef de l’Etat dans sa première lettre aux Parlementaires en date du 17 juin 2009 :
« Eske 200 goud salè minimòm pemet yon moun viv kòm sa dwa ? Repons la se non, lè n ap gade pri transpò, lwaye, lekòl, manje, elatriye… »
« Eske se vre 200 goud salè minimòm nan, jan li vote nan Palman an, ap fè moun k ap travay pèdi djòb yo ? Repons lan poko klè »…
« Eske se vre 200 goud salè minimòm nan, jan li vote nan Palman an, ap anpeche kreye lòt anplwa, kidonk anpeche bay plis moun travay ? Repons lan poko klè ».
[6] Claude Gilles, « Benoît découvre le pot aux roses », Le Nouvelliste du 16juillet 2009.
[7] Fritz Deshommes, « Banquiers et Hommes d’Affaires d’Haïti (Vus par eux-mêmes) », in « Vie Chère et Politique Economique en Haïti », L’imprimeur II, 1992. Récemment repris par AlterPresse du 22 juillet 2009 sous le titre « Les pratiques de double ou tripe comptabilité de nos hommes d’affaires »
[8] « Strategic Management Group », op. cité.
[9] Les données de la BRH indiquent respectivement 154.62 millions en 2005, 169.66 millions en 2006, 180.57 millions en 2007 de production du secteur. Si elles rendent compte uniquement de la valeur ajoutée, le chiffre des ventes ou chiffre d’affaires est encore plus élevé.
[10] Le montant des ventes reporté est de 290 millions de dollars en 2003, 324 en 2004, 406 en 2005, 449 en 2006, 452 en 2007, 412 en 2008. Voir « Le Nouvelliste » du 30 juin 2009.
[11] La gestion récente des entreprises publiques d’électricité et de téléphone notamment, les actes de sabotage dont ils ont été l’objet, le processus conscient et systématique de leur démantèlement programmé au profit d’intérêts prives haïtiens et étrangers, les actes de corruption caractérisés qui y ont été identifiés, l’octroi de contrats juteux et opaques à des tiers, ont occasionné des augmentations extraordinaires de coût qui se reflètent d’ailleurs dans le compte d’exploitation des entreprises de sous-traitance. On sait par exemple que le prix des appels téléphoniques locaux est passé de 0gde à 4-5 gourdes la minute. Les frais d’électricité constituent le 3e poste le plus important de la rubrique « Charges Fixes » des comptes consolidés du secteur. Le secteur industriel y a assisté, silencieux et docile. Pourquoi alors tout ce tollé lorsqu’il s’agit de rémunérer a sa juste valeur le facteur de production principal, le travail, source de la création de richesses, de production de plus-value et de profits ?
[12] Frantz Duval, “Salaire minimum et création d’emplois : est-ce qu’on nous ment ?”, Le Nouvelliste du 2 juillet 2009.
[13] Fritz Deshommes, Université et Luttes Démocratiques en Haïti, 2e Edition, Editions de l’Université d’Etat d’Haïti, 2009, (p.272).