lundi 21 décembre 2009

Livres suggérés à l'émission RDI Économie du 18 décembre 2009

Amies et amis internautes,

Voici les livres suggérés par RDI Économie:

  1. Tout savoir ou presque sur l'économie de John Kenneth Galbraith et de Nicole Salinger, 1978
  2. Le défi asiatique de Kishore Mahbubani, 2008
  3. Le Québec économique 2009: le chemin parcouru depuis 40 ans de Marcelin Joanis et Luc Godbout, 2009
  4. Votre retraite crie au secours d'Hélène Gagné, 2008
  5. Dans la jungle du placement: comment j'ai tiré mon épingle du jeu de Stephen A. Jarislowsky, 2005
  6. Pourquoi les crises reviennent toujours de Paul Krugman, 1999, version reprise et augmentée en 2009
  7. Keynes, par-delà l'économie de Gilles Dostaler, 2009
  8. Imaginer l'après-crise: pistes pour un monde plus juste, équitable, durable de Jean-François Lisée et Éric Montpetit, 2009
  9. Adam Smith à Pékin: les promesses de la voie chinoise de Giovanni Arrighi, 2007
  10. L'origine du capitalisme d'Ellen Meiksins Wood, 2009
  11. Survivre aux crises de Jacques Attali, 2009
  12. Le compte à rebours a-t-il commencé? d'Albert Jacquard, 2009
  13. L'économie ne ment pas de Guy Sorman, 2008
  14. Pour sauver la planète, sortez du capitalisme d'Hervé Kempf, 2009
  15. La prospérité du vice: une introduction (inquiète) à l'économie de Daniel Cohen, 2009
  16. La face cachée des banques: scandales et révélations sur les milieux financiers d'Éric Laurent, 2009
  17. Halte au gâchis d'Omar Aktouf, 2008
  18. Black Markets... and Business Blues d'Yvan Allaire et Mihaela Firsirotu, 2009
  19. Le management stratégique: de l'analyse à l'action de Francine Séguin, 2008
  20. Le facteur C, l'avenir passe par la culture de Simon Brault, 2009
  21. Acheter sans se faire rouler de Stéphanie Grammond, 2009
  22. Le code pour une éthique globale de Rodrigue Tremblay, 2008
  23. Quel commerce équitable pour demain de Corinne Gendron, Arturo Palma Torres et Véronique Bisaillon, 2008
  24. La souveraineté du Québec de Jacques Parizeau, 2009
  25. L'état du Québec : tout ce qu'il faut savoir sur le Québec d'aujourd'hui - 2009 de l'Institut du Nouveau monde, 2009

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Source: Carnet de Gérald Fillion: Suggestions lecture.

mercredi 16 décembre 2009

Le magazine Time couronne Ben Bernanke "personnalité de l'année"

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Source: AFP

WASHINGTON — Le magazine Time a sacré mercredi le patron de la banque centrale américaine, Ben Bernanke, "personnalité de l'année" 2009, pour la manière dont il a géré la pire crise financière depuis la Grande dépression des années 1930.

"La récession a été le sujet de l'année", a souligné le rédacteur en chef de Time, Richard Stengel, dans un communiqué, pour qui "sans Ben Bernanke (...) les choses auraient été bien pires".

"Bernanke a non seulement tiré un enseignement de l'histoire, mais il l'a écrite lui-même et ne voulait surtout pas la répéter", écrit M. Stengel.

Homme discret projeté sur le devant de la scène par la crise, le président de la Réserve fédérale (Fed) est en effet un universitaire réputé et spécialiste reconnu de la crise des années 1930.

Nommé par le président George W. Bush, M. Bernanke a eu la lourde tâche de prendre la tête de la Fed en février 2006 après 18 ans de présidence d'Alan Greenspan.

En douceur, ce barbu presque chauve que tout ou presque oppose à son prédécesseur a profondément bouleversé les habitudes à la banque centrale, en refusant d'abord de tomber dans le "culte" dont faisait l'objet M. Greenspan.

La face la plus évidente de sa révolution est la politique de sauvetage d'institutions financières et de relance monétaire sans précédent mise en oeuvre au plus fort de la crise.

Le président américain Barack Obama, qui a reconduit M. Bernanke dans ses fonctions, a loué en juin son "travail extraordinaire".

Ben Bernanke s'est détaché de la sélection des finalistes de Time, dont faisaient partie M. Obama, --couronné "homme de l'année" l'an dernier--, ainsi que la présidente de la Chambre des représentants américaine, Nancy Pelosi, ou encore le PDG d'Apple, Steve Jobs.

Parmi les finalistes se trouvaient également le général américain Stanley McChrystal, qui commande les forces internationales en Afghanistan, le sprinteur jamaïcain Usain Bolt ou encore une entité générique baptisée "le travailleur chinois".

Pour Michael Grunwald, journaliste de Time, M. Bernanke a été choisi principalement parce qu'il est "l'acteur principal à la tête de la première économie mondiale".

"Sa gestion imaginative a contribué à faire en sorte que 2009 soit une période de légère reprise plutôt que de dépression catastrophique, et il continue à exercer un pouvoir sans égal sur notre argent, nos emplois, nos économies et l'avenir du pays", souligne le journaliste.

Dans une interview accordée à Time, Ben Bernanke reconnaît que la crise financière a mené les Etats-Unis "très, très près de la dépression".

"Je ne suis pas satisfait de la situation dans laquelle nous sommes, mais elle est bien meilleure que celle dans laquelle nous pourrions être", ajoute-t-il, reconnaissant qu'"il y a des choses que nous aurions pu mieux faire".

M. Bernanke, à qui les Américains reprochent volontiers d'avoir sauvé les banquiers plutôt que les emplois, admet également que faire baisser le chômage nécessitera "de nouvelles mesures pas aussi évidentes ou aussi claires que celles que nous avons prises".

Quant aux banquiers, ils "devraient se regarder dans la glace et décider de restreindre quelque peu la manière dont ils se rémunèrent eux-mêmes, sachant ce que le gouvernement et les contribuables ont fait pour protéger le système", dit-il.

La commission Bancaire du Sénat américain doit se prononcer jeudi sur la reconduction de Ben Bernanke, qui a fêté ses 56 ans dimanche, à la tête de la banque centrale.

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L'article ci-dessus provient du lien: Google.com.

Pour lire l'article du Time, cliquez sur: Person of the Year 2009.

La thèse de doctorat de Ben Bernake est accessible par le lien suivant: MIT.

Pour plus d'informations sur Ben Bernanke, cliquez sur: Wikipedia.

vendredi 4 septembre 2009

Haïti: «Un agenda pour l'avenir»

Une communication de Marc L. Bazin au Colloque Sur le Sauvetage National

Santo Domingo – 28 – 30 Août 2009



Monsieur le Président,
MM. les Membres de l’Association des Pasteurs,
Mes chers Rudy Boulos, Jim Morrell, Turnep Delpé,
Mes Chers Amis,

Laissez-moi d’abord vous remercier de votre aimable invitation à participer à cet important colloque et de vous féliciter de l’excellente préparation de nos travaux. Laissez-moi aussi rendre hommage aux orateurs qui m’ont précédé à cette tribune pour l’exceptionnelle qualité de leurs interventions. Également, je compte sur vous pour transmettre aux autorités dominicaines ma haute appréciation de l’accueil cordial qu’elles ont bien voulu nous réserver dans leur pays.

Mesdames, Messieurs,
Chers Amis,

Le Comité préparatoire m’a demandé de présenter un exposé sur le thème « Un Agenda pour l’Avenir ». Cet Agenda, je l’ai préparé. Il porte sur 12 points comme suit :
1. Faire de la croissance économique le moyen central de la lutte contre la pauvreté.
2. Augmenter les investissements
3. Bien choisir les moteurs de la Croissance
4. Adopter une approche territoriale du développement
5. Augmenter l’épargne interne
6. Redresser les faiblesses du secteur des banques commerciales
7. Créer une Banque Publique de Développement Agricole & Indus-triel
8. Mettre de l’ordre dans les entreprises publiques
9. Proposer un nouveau concept et des mécanismes nouveaux de l’aide étrangère.
10. Faire une série d’émissions de « bons diaspora »
11. Faire baisser le poids de l’augmentation de la pression démogra-phique
12. Conduire la bataille contre les inégalités.

En conclusion : dégager les voies du rapprochement nécessaire entre Haïti et la République Dominicaine, un rapprochement qu’imposent aussi bien le bon sens que la nature des choses.

Mais avant de vous présenter cet Agenda point par point, je voudrais faire trois remarques :

1) Il s’agit d’un programme destiné à se réaliser sur une période de 5 ans.
2) La réalisation du programme assume qu’il est conduit par une extrê-mement large coalition de femmes et d’hommes de bonne volonté, sans distinction de clans ou d’idéologies. Il suffit que ces hommes et ces femmes soient des transformateurs et qu’ils fassent passer les inté-rêts d’Haïti avant leurs intérêts personnels.
3) Pour vous faire partager les enjeux, il convient en guise d’introduction que je vous dise quelques mots sur la situation au point de départ.

Quel est notre point de départ ?

Haïti est un cas spécial. Contrairement à ce qui s’est passé dans la plupart des pays sous-développés au début des années 80, chez nous, ce qu’on a appelé la crise de la dette n’était pas seulement le fait d’une faillite de la politique financière, d’inflation et de fuite de capitaux. S’il ne s’était agi que de cela, un simple exercice de redressement des finances publiques aurait suffi. Chez nous, la crise de la dette s’est également accompagnée d’un déficit de légitimité politique, lequel découlait de méthodes autoritaires et familiales d’exercice du pouvoir, du désarroi de l’appareil administratif et de pratiques de corruption généralisée. La nature multiple de notre crise de la dette a donné lieu à trois phénomènes de correction qui ont prétendu changer pour longtemps la contexture sociopolitique de notre pays.

Les 3 phénomènes sont :
§ Démocratisation
§ Stabilisation
§ Libéralisation commerciale.

Il s’agissait donc de trois défis de taille.
Aujourd’hui nous pouvons dire qu’aucun de ces défis n’a été relevé, ni complè-tement ni de manière satisfaisante.

§ L’ordre constitutionnel a été brutalement interrompu à deux reprises en 10 ans, suivi chaque fois d’une occupation étrangère.

§ Les règles électorales ont souvent été manipulées, contournées et vio-lées avec un taux d’abstention de plus en plus élevé.

§ Les exécutifs, même quand ils jouissaient de la légitimité populaire et de l’autorité charismatique, se sont souvent montrés maitres de la tactique politicienne mais incertains quant au sens de la direction qu’il convenait d’imprimer au pays.

§ Le Parlement a souvent été le reflet non pas de partis politiques avec programmes et structure nationale mais de personnalités à forte ambi-tion individuelle sans souci d’institutionnaliser la démocratie.

§ La libéralisation des échanges commerciaux a été intempestive et n’a pas fait augmenter les exportations aujourd’hui, le déficit budgétaire est de $50 millions et pour la première fois depuis juin 2003, la balance des paiements est négative cette année.

Autant de faits et d’évènements qui ont conduit le pays à la paralysie, entrainé la perte de confiance du peuple dans la capacité, ou même la volonté des dirigeants à améliorer sa condition, ce qui l’a souvent forcé à choisir la route des humiliations ou la mort en haute mer, les deux générateurs de conflits avec nos voisins. Dès lors, la communauté internationale, une fois de plus consciente des risques que Haïti devienne de manière irrécupérable un foyer de déstabilisation et de terrorisme pour la sous-région, s’est dépêchée de nous envoyer, du niveau le plus élevé, un nouveau messager de l’espoir et de la délivrance.

Tel est, mes chers Amis, le contexte général dans lequel a été élaboré le projet d’Agenda que j’ai l’honneur de vous soumettre.

I - Faire de la croissance économique le moyen central
de la lutte contre la pauvreté.

Voilà, j’en conviens volontiers, un sujet qui devrait vous étonner. Car il est acquis, n’est-il-pas vrai ? que la pauvreté est notre problème No 1 et que c’est par la croissance que l’on réduit la pauvreté. Malheureusement au-jourd’hui, chez nous, la politique qui se fait n’est pas une politique de crois-sance mais une politique de stabilisation macroéconomique, laquelle se préoc-cupe avant tout d’éviter la hausse des prix et le déficit de sa balance des paiements. Malheureusement, cette politique de stabilisation, pour néces-saire qu’elle soit, ne s’accompagne pas du climat institutionnel qui aurait per-mis au secteur privé de prendre des risques et d’investir. Car ce secteur privé est contraint de fonctionner sans électricité, sans téléphones, sans des services portuaires efficaces et à bon prix, le tout aggravé par des règlements administratifs alambiqués propices à la corruption. Entre une stabilité macroéconomique rigide et un climat institutionnel pénalisant, la pauvreté n’a pas diminué et à poursuivre dans les voies d’à présent les commentateurs les plus optimistes pensent qu’il nous faudra attendre trente six ans pour réduire la pauvreté de moitié. Il nous faut donc sortir de ce guêpier et aller résolument vers la croissance, ce qui suppose évidemment un meilleur climat institutionnel et aussi une augmentation des investissements.

II – Augmenter les investissements

J’aurais aimé pouvoir vous dire de combien il conviendrait d’augmenter les investissements. Mais je ne sais pas et je ne peux pas savoir. « Pourquoi » ? Parce que, à simplement constater nos tableaux statistiques, le niveau actuel de l’investissement serait déjà de 28 - 30% du PIB. Or, 28-30% d’investissements représente dans tous les pays du monde un taux suffisant pour générer une croissance de l’ordre de 5-6% par an. Or, en Haïti, en dépit des soi-disant 30% d’investissements, il n’y a pas de croissance. Alors, que se passe-t-il ? Il y a trois hypothèses : Ou bien on compte pour investissements toutes dépenses financées par l’aide étrangère, même quand il ne s’agit pas, à proprement parler, d’investissements. Ou bien, les importateurs de biens d’équipements, pour des raisons fiscales, font passer pour investissements des biens de consommation. Ou bien nous dépensons vraiment 30% du PIB mais cet argent est détourné à d’autres fins. Alors, vous avez le choix : incompétence, fausses déclarations ou détournements de fonds. Dans tous les cas, il existe un besoin de clarification.

III – Bien choisir les moteurs de croissance

Investir, mais où, dans quels secteurs ?
a) Dans l’agriculture. Nous sommes un pays agricole et les rendements sont désespérément faibles. Il faudra dons non seulement favoriser aux plan-teurs l’accès à l’eau, à l’énergie, aux engrais et insecticides, mais lancer à vaste échelle des programmes de récupération des terres et de protection des bassins versants. Également, il conviendra de donner une haute priorité à l’investissement public et des incitations au secteur privé pour des inves-tissements créateurs d’emplois en milieu rural.

b) Dans les infrastruc-tures, dont l’état actuel est inacceptable. A titre de comparaison, la Répu-blique Dominicaine est desservie par 6000 Km de bonne route, nous à peine 1,000. Chaque Dominicain a à sa disposition 340 watts d’électricité. Chaque Haïtien, 27 Watts. Les logements, l’environnement dans les zones pauvres, les bidonvilles sont dans un état déplorable. Des plans nationaux devraient être élaborés et leur financement assuré par l’Etat avec de nouvelles res-sources.

c) Dans l’éducation, où les dépenses par élève devraient passer de $25 à $200.

d) Dans la santé, où les dépenses devraient passer de $25 à $50. e) dans l’assemblage et le tourisme, lesquels devraient bénéficier d’une politique fiscale adaptée aux besoins.

IV - Adopter une approche territoriale de développement

Une telle approche serait basée sur l’idée, déjà adoptée par le gouverne-ment actuel au stade pilote, que les acteurs locaux et régionaux devraient être impliqués dans la planification stratégique du processus de dévelop-pement de l’infrastructure en ce sens que s’ils ont une bonne connaissance des obstacles, ils pourraient ne pas avoir conscience du potentiel pour l’exportation, de la situation dans les pays voisins. Une telle approche stratégique, soutenue par le pouvoir central aiderait à combler ce vide. La route pilote Dondon-St Raphael et aussi Thiotte-Anse-à-Pitre devrait apporter une grande contribution à la pénétration de nouveaux marchés par les produits agricoles. Cette manière de faire serait systématisée et généralisée.

V - Augmenter l’épargne interne

Il n’y a pas de croissance sans augmentation de l’épargne. L’épargne publique, à l’heure actuelle, ne représente même pas 1.6% de G.200 milliards (le PIB) et devrait donc être augmentée considérablement. Les ressources publiques devraient passer de 10 ã 15% du PIB en cinq ans à la fois
§ Par un renforcement de l’efficacité du système fiscal
§ Un élargissement de l’assiette
§ Une lutte sérieuse contre la corruption

VI – Corriger les faiblesses du secteur des banques commerciales

Le Secteur des banques commerciales est le haut lieu des concentrations
§ Dans les avoirs : 3 banques en ont 62%
§ Dans l’allocation des crédits : 10% des emprunteurs individuels reçoi-vent 70% des crédits
§ Dans le choix des activités économiques : les services et les consomma-tions sont les gros bénéficiaires, l’agriculture et le transport pratique-ment rien.
§ Dans les mécanismes : tous les crédits sont à court terme, à long terme rien.
§ Quant à la catégorie sociale des déposants : à peine 0.16% des Haïtiens ont accès à un crédit bancaire.
§ Quant à l’écart entre les taux d’intérêts sur les dépôts et les taux sur les prêts : il est le double de ce qu’il est ailleurs dans la Caraïbe.
Il conviendra donc de donner aux banques commerciales les garanties juri-diques qu’à bon droit elles demandent quant à la fiabilité des titres de pro-priété, de créer entre les banques un climat de compétition plus incitateur, en attendant, et de créer une Banque Publique de Développement.

VII - Créer une Banque Publique de Développement

L’objectif serait de financer l’agriculture, les Petites et moyennes entre-prises, à long terme et à des taux d’intérêts qui seraient rémunérateurs mais non pénalisants. La proposition de créer une Banque Publique de Développement a soulevé deux catégories de réactions.
Dans un camp, on s’est frotté les mains en s’imaginant que Banque Publique signifiait automatiquement retour à l’IDAI et à la pratique de prêts géné-reux pour de mauvais projets, pas vraiment remboursables avec préférences pour des gens politiquement bien placés.
Dans l’autre camp, c’est l’orthodoxie qui prévaut : comment, s’est-on indigné, envisager de faire du financement public par ces temps de privatisation à outrance ?
Au premier, nous répondons qu’il n’y a pas une fatalité de la mauvaise gestion pour une banque, au seul motif qu’elle serait publique. Un bon Conseil d’Administration, un personnel compétent, des règles d’opérations bien éla-borées pouvant éviter toute déviation par rapport aux normes. Aux seconds, nous rappelons que le secteur public, de nos jours encore, contrôle la plus grande partie du crédit dans la majorité des pays sous-développés.

VIII – Mettre de l’ordre dans les entreprises publiques

Il s’agit d’entreprises chargées de fournir l’eau, l’électricité, le téléphone, d’assurer les services portuaires. Il s’agit donc d’entreprises qui sont le poumon de la société et de l’économie. Or, elles sont mal gérées, leur per-sonnel est en surnombre. En 2005, le montant des subventions à l’EDH était de $47 millions. Telle est l’incertitude qui règne dans le port de Port-au-Prince que beaucoup d’importateurs font transiter leurs commandes par la République Dominicaine. Ces entreprises, il s’agira donc soit de les gérer en contrats stricts, soit de les privatiser mais, dans un cas comme dans l’autre il conviendra de mettre en place, à l’avance, des organes de contrôle et de régulation chargés de surveiller et de sanctionner la corruption, de fixer les marges de prix aux consommateurs et de vérifier à tous moments la confor-mité de la gestion avec les termes du contrat.

IX – Introduire un nouveau concept et
des mécanismes nouveaux de l’aide étrangère.

Commençons par relever que les besoins d’aide étrangère sont considérables. Pour réaliser le Document pour la Croissance et la réduction de la pauvreté, il faudrait compter entre $5 – 7 milliards. Pour financer les dépenses de fonctionnement de transport et d’infrastructure de ces 5-7 milliards d’investissements, il faudra entre 5 à 30% de plus. Pour financer les dé-penses imputables à la réalisation des Objectifs du Millénaire, il faudrait compter environ $1.4 milliard par an d’ici 2015, soit environ $8.5 milliards. Or nous savons que, en ce moment précis, le Trésor Public est en déficit de $50 millions.
La conception Haïtienne de l’aide étrangère est mauvaise. Elle consiste à faire l’inventaire de nos besoins et à présenter la facture aux donateurs avec, très souvent, force accusations et récriminations. Nous devrions, au contraire, établir un calendrier de besoins assorti d’un échéancier des résul-tats, après qu’on aurait établi non seulement la part propre de l’effort natio-nal mais aussi un diagnostic complet des problèmes et des moyens - en res-sources humaines, équipements et entretien - par lesquels nous entendons réaliser notre plan d’investissement.
De même, nous devons essayer d’élargir le cadre de la coopération en re-cherchant notre intégration à l’Accord CAFTA (Caribbean Free Trade Agreement) avec les U.S.A., dont d’autres pays d’Amérique Centrale, y com-pris la République Dominicaine, sont déjà membres. L’avantage d’un tel Ac-cord serait qu’il consisterait un engagement ferme et définitif des USA, pas une concession révocable, et qu’il ouvrirait la voie à un flux d’investissements étrangers qui nous ont fait défaut jusqu’ici.
Une autre voie à explorer serait un Accord avec les USA qui faciliterait l’entrée sur leur territoire, chaque année, d’un contingent de nos compa-triotes et leur embauche dans l’agriculture et les services, en échange de quoi Haïti s’engagerait à veiller à leur rapatriement dès la fin de leur con-trat. Un tel Accord rendrait certains secteurs plus compétitifs aux USA, donnerait aux immigrants un pécule investissable en Haïti, diminuerait la pression des boat people et des braceros et améliorerait la nature de nos rapports avec nos deux voisins.
Au lieu de quoi, nous n’avons pas une bonne capacité d’absorption de l’aide étrangère. Souvent nous donnons l’impression de n’accepter le principe des réformes que comme le prix à payer pour recevoir l’aide. Les contrats d’exécution sont passés sans une procédure rigoureuse d’appels d’offres. Parallèlement, du coté des donateurs, l’aide est parfois liée, donc revient plus cher, est assortie de nombreuses conditions qui en rendent la consommation malaisée. De ce fait, elle donne lieu à des suspensions répétées et conduit les donateurs à la faire passer par les ONG.

X – Émettre « des bons diaspora »

En supposant réglée la question de la double nationalité et apaisées les ten-sions entre les deux communautés, on devrait pouvoir envisager l’émission par la BRH de bons à souscrire par les Haïtiens de l’extérieur dont les transferts au pays se chiffrent à plus de $1.5 milliards par an à l’heure actuelle. De tels bons qui auraient pour objectif de contribuer au développement, permettraient également aux souscripteurs de diversifier leurs portefeuilles. Ces bons seraient émis à long terme, non négociables, à échéances multiples et comprendraient des coupures de $100 à $1000. Ils ne seraient payables qu’à maturité.

L’expérience de tels bons a été faite par Israël dès Mai 1951 et repré-sente, à hauteur de $25 milliards, environ 32% de sa dette extérieure. C’est avec ces ressources qu’Israël a entrepris avec succès de grands travaux de désalinisation de l’eau de mer.

Une expérience de la même famille a été faite par l’Inde. La Banque de l’Inde s’adresse aux nationaux résidant à l’étranger et leur offre des taux plus rémunérateurs que ceux disponibles sur le marché des pays où ils rési-dent. Les bons sont émis dans toutes sortes de devises. Fin 1991, le porte-feuille de ces bons était de $11 milliards.

XI – Ralentir le taux d’augmentation de la pression démographique

Le taux moyen de croissance de la population a été de 1.4% entre 1971 et 1982. Entre 1982 et 2003, le taux d’accroissement a été de 2.5%. L’urbanisation également a été rapide – 4.9% par an – et le pourcentage de population vivant dans les villes est de 40% alors qu’en 1982 ce pourcentage était de 25%. De plus, la population est jeune. La moitié des Haïtiens a moins de 15 ans et 2/3 sont en dessous de 25 ans. Une telle structure de population signifie qu’une explosion de la population est inévitable, si l’Etat ne se donne pas pour mission de réduire le taux d’accroissement par l’intensification des méthodes de planification et la formation.

A défaut, la pression sur les déjà maigres ressources du sol et les services sera intolérable. Entre 1960 et maintenant, la densité a doublé, atteignant le haut niveau de 300 personnes par Km².


XII – Engager une lutte drastique contre les inégalités

De même que les chances d’amélioration des conditions de vie sont pratique-ment nulles aussi longtemps que la population continuera d’augmenter à ce rythme alors que la superficie n’augmente pas de 1 Km² de plus, de même les inégalités doivent se réduire si nous voulons la croissance.

Haïti est le pays le plus inégalitaire d’Amérique latine et de la Caraïbe. L’Amérique latine est le continent le plus inégalitaire du monde. En Haïti, 10% de la population disposent de 50% du revenu national. Mesuré au coef-ficient de Gini, - unité de mesure de concentration des richesses qui va de 0 à 1 et selon lequel plus on s’éloigne de 0, plus inégalitaire on est- les pays, Finlande, Canada les moins inégalitaires sont à 0.4 de coefficient. L’Amérique latine à 0.52, Haïti à 0.66.

Chez nous, les inégalités à la naissance se perpétuent toute la vie et se re-produisent de génération. Cela est moralement injuste. Cela est également catastrophique sur le plan de l’économie, car les inégalités exercent une pression à la baisse sur le taux de croissance, dès lors que 90% de la popula-tion ne disposent que des moyens limités pour participer à l’augmentation de la production. Combattre les inégalités passe par une égale répartition des opportunités entre tous dès l’enfance et des mesures de rattrapage et d’égalisation des chances sur le marché du travail. Seule une Conférence Na-tionale peut fournir le cadre d’un débat utile sur les options, le coût et le partage des coûts d’une politique nationale de lutte contre les inégalités.

Conclusion : Le nécessaire rapprochement entre Haïti et la République Domi-nicaine

En 1960, les deux pays avaient le même niveau de revenu par tête i.e. $500. Aujourd’hui en 2009, Haïti est environ au même niveau qu’en 1960. La Répu-blique Dominicaine, en 2002, avait un revenu par tête de plus de $2.500, soit cinq fois plus que nous. L’indice de fragmentation géographique est le même. Les U.S.A. sont le principal partenaire commercial de l’un et l’autre. Comme les Dominicains, nous avons accès aux facilités du Caribbean Basin Trade Act. Les deux pays ont subi les mêmes entraves sur la croissance de la baisse des prix des produits primaires sur le marché mondial.

Comment expliquer la différence de performance économique ?

a) L’environnement économique est plus favorable au secteur privé en Ré-publique Dominicaine, au point où les Dominicains exportent pour plus de $4 milliards de l’industrie d’assemblage, bénéficient de plus de $900 millions d’investissement. De plus, 30% des envois des Dominicains de l’étranger ($2 milliards) vont aux investissements alors que, chez nous, le plus gros des envois de l’étranger va à la consommation.

b) L’analyse comptable des composantes de la croissance montre que les différences de performance sont imputables à la différence en gains de productivité. En Haïti, les baisses dramatiques du revenu dans les an-nées 1980 et 1990 sont liées à la baisse de la productivité totale des facteurs alors que l’inverse est vrai en République Dominicaine.

c) Le tourisme représente 6 à 7 % du PIB dominicain. Le nôtre s’est ef-fondré. De même, la libéralisation intempestive du commerce extérieur sans qu’elle fut accompagnée de mesures propres à relancer l’offre a contribué à l’effondrement de plusieurs produits agricoles alors que la République Dominicaine avait mieux négocié son détachement de la pro-duction traditionnelle (sucre, tabac, café, cacao, minerais).

d) La phase de transition démocratique a donné lieu à plusieurs compromis entre les principaux acteurs et a moins perturbé la stabilité politique alors que, chez nous, la plupart des crises politiques se sont soldées par la violence.

La principale raison des tensions entre les deux pays réside dans la pression sociale que les haïtiens en situation illégale font peser sur le pays voisin, en dépit des immenses services qu’ils rendent à son économie.

La solution à l’atmosphère de crise permanente entre les deux pays est dans le rapprochement du niveau de performance économique d’Haïti par rapport à la République Dominicaine. Les circonstances sont favorables.

Le potentiel d’augmentation de production et d’exportation de l’industrie d’assemblage et de création d’emplois est considérable. Notre main-d’œuvre est abondante et habile. Les zones franches dominicaines, concentrées sur l’industrie d’assemblage font face à une concurrence sévère par suite de l’élimination de l’Accord Multi-Fibre, ce qui pousse les producteurs à s’orienter de plus en plus vers de nouveaux produits et de nouvelles tech-niques de production. De même, la décision de l’Organisation Mondiale du Commerce de faire cesser la promotion de politiques d’exportation pour les zones franches dominicaines en 2010 nous offre un potentiel d’augmentation de notre part d’accès sur le marché américain de l’assemblage et des pers-pectives d’arrangements de coproduction combinant main-d’œuvre haïtienne et production dominicaine. D’ailleurs, il n’y a pas de raison que la coproduc-tion se limite à l’industrie d’assemblage dès lors que les principales contraintes haïtiennes à la production (mauvais climat institutionnel, infrastructure déla-brée, formation déficiente) auront été levées. A ces mesures directes d’atténuation des écarts de performance entre les deux pays pourraient s’ajouter l’intégration d’Haïti à l’Accord DR.CAFTA, l’accroissement de la mobilité des ressources de main-d’œuvre haïtienne vers les U.S.A. à travers un Accord bilatéral et la mise en place d’un Accord d’harmonisation des poli-tiques économiques et commerciales entre les deux pays, au plan notamment d’un traitement équilibré de la production et des échanges entre les deux pays.

Un tel rapprochement serait une initiative de bon sens conforme à la nature des choses.

Marc L. Bazin
Président, MIDH

Santo Domingo, 30 aout 2009.-

vendredi 21 août 2009

Haïti: « L'économie sociale et solidaire, l'avenir d'Haïti »

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L'économiste Pierre-Marie Boisson
(Photo: François Louis)
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« L'économie sociale et solidaire est l'avenir des pays sous-developpés, donc l'avenir d'Haïti », selon les estimations de l'écomiste Danel Georges, membre fondateur du Mouvement d' Unité de la Communauté de l'Intégration (MUCI), qui explique que tous les pays developpés ont pour base ce type d'économie pour faire accéder au crédit ceux qui ont les revenus les plus faibles. Même les Etats-Unis d'Amérique ne font pas exeption. Invité de Magik 9 sur le 100.9, M.Georges a partagé le panel du vendredi 21 août avec l'économiste en chef de la Sogebank, Pierre-Marie Boisson.

L'Etat ne peut pas résoudre tous les problèmes posés par les opérateurs économiques qui peuvent se regrouper, s'associer, c'est-à-dire former des mutuelles, des coopératives pour accéder plus facilement au crédit comme c'est le cas dans divers pays devenus développés, souligne M. Georges pour que le crédit est l'un des moteurs de l'économie.

Définissant l'économie sociale et solidaire comme l'ensemble des personnes qui nónt pas d'importants revenus et qui se regroupent pour pouvoir subvenir à leurs besoins comme la consommation, le crédit, le logement, les soins médicaux...

« Le crédit est-il un frein ou est-il freiné, ou encore est-il l'accélérateur devenu un frein de l'économie?» se demande l'économiste en chef de la Sogebank, Pierre-Marie Boisson, qui déclare sans ambages qu'il y a intérêt à ce que le système financier soit plus profond.
M. Boisson attire l'attention sur le facteur «Risques» dans l'octroi de crédits aussi bien pour les institutions financieres, particulierement les banques commerciales que pour les déposants.

A la question de savoir si les banques auraient un quelconque problème avec les coopératives, l'économiste en chef de la Sogebank soutient que l'aire où interviennent les coopératives n'est la même que celle des banques commerciales. De ce fait elles ne sont pas des compétitrices directes des banques.

«Dans les pays où l'économie est prospère, il y a beaucoup plus d'institutions non bancaires dans le système financier qu'en Haïti. Aux Etats-Unis, les banques ne représentent que 30 % des actifs financiers », a encore indiqué Pierre-Marie Boisson.

Les deux invités se sont entendus que les coopératives qui ont fait faillite en 2002 n'étaient pas de vraies. Ils sont d'accord que ces coperatives dites d'épargne et crédit étaient des mécanismes de pyramide qui ont menti aux épargnants parce que leurs responsables savaient pertinemment qu'elles n'allaient pas tenir.

Source: Le Nouvelliste, 21 août 2009

Haïti: Une séparation pour le meilleur


Le président du Conseil d'administration de la BNC, Guiteau Toussaint
(Photo: James Alexis)
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Source: Le Nouvelliste du 20 août 2009


A 54 ans, Guiteau Toussaint aligne des journées de plus de 12 heures pour abattre toute la besogne que lui impose son poste de président du conseil de la Banque Nationale de Crédit.

Pour cet ancien fonctionnaire qui est dans le service public depuis 35 ans, la direction de la BNC depuis 10 ans est un succes story qui demande de conjuguer tact, sens stratégique et capacité aigue d'analyse.

Avant de se retrouver à la tête de la BNC Guiteau Toussaint a travaillé au ministère de l'Economie et des Finances où il était directeur général et également dans d'autres institutions financières comme l'IDAI et la BANDAI. Mais pas avec des horaires aussi épuisants, précise-t-il.

« Rien qu'à voir mon visage, en dix ans, j'ai beaucoup vieilli avec la BNC », glisse-t-il en réponse à une de nos questions. Celui qui nous reçoit à son bureau au siège de la Banque la plus ancienne du pays a le sourire rassurant de celui qui sait ménager sa monture. Il est passé six heures du soir et sa journée n'est pas finie. Visite avec lui dans les années de la BNC qui vient de fêter ses 30 ans.


Frantz Duval :- En 1979, l'Etat haïtien a décidé de scinder la Banque Nationale de la République d'Haïti (BNRH) en deux institutions distinctes : la BRH chargée de la régulation du système et la Banque Nationale de crédit (BNC). Pourquoi une telle décision ?

Guiteau Toussaint : - En 1979, le gouvernement haïtien d'alors avait pris la décision de séparer la BNRH qui était une banque d'émission et une banque commerciale et trésorière de l'Etat en deux institutions distinctes : la Banque de la République d'Haïti (BRH) qui est toujours une banque d'émission et qui remplit également les fonctions de régulation et de supervision du système bancaire. Et ensuite la BNC qui est strictement une banque commerciale propriété de l'Etat.

Cette décision a été motivée par les changements effectués à l'époque dans les finances en général. Il y a eu un ensemble de décisions qui ont été prises au niveau des finances publiques, au niveau du budget de la République, au niveau des recettes de l'Etat, le principe de la non affectation des recettes de l'Etat.... Avec ces informations financières, on a jugé qu'il était important, vu le rôle assigné préalablement à la BNRH, de séparer les fonctions de banque centrale et de banque commerciale. Sans vouloir porter de jugement sur cette décision, je crois que cela a été une très bonne chose de le faire ainsi parce que la Banque centrale ne pouvait pas continuer à assumer à la fois la fonction de banque commerciale et de supervision et de régulation du système bancaire.

Frantz Duval : - Aujourd'hui, quelle est l'identité de la BNC ?

Guiteau Toussaint : - Aujourd'hui, la BNC est la Banque Nationale de Crédit, une banque strictement commerciale, mais propriété de l'Etat haïtien. Elle est comme toutes les autres banques commerciales privées fonctionnant dans le pays. La seule différence entre la BNC et une banque commerciale privée est le propriétaire, l'actionnariat. L'actionnariat des banques commerciales privées est détenu par des particuliers alors que l'actionnariat de la BNC est détenu par l'Etat haïtien qui est le propriétaire unique de cette institution.

Frantz Duval : - Depuis plus d'une dizaine d'années, vous êtes à la tête de la BNC, entre-temps, il y a eu le sauvetage de cette banque par l'Etat haïtien, le rachat, l'absorption de la Socabank par la BNC, il y a eu aussi la privatisation évitée de justesse de la BNC. Pouvez-vous nous parlez plus amplement du parcours de la BNC au cours des 10 dernières années ?

Guiteau Toussaint: - Effectivement, je suis arrivé à la BNC en 1999, plus précisément au mois de mars 1999 avec une mission claire, nette et précise. C'était celle de restructurer cette institution. D'ailleurs le comité que je présidais s'appelait le Comité provisoire de contrôle et de restructuration de la BNC. Ce qui constituait un détour dans la vie de la BNC vu qu'avant, c'était toujours un conseil d'administration qui dirigeait cette institution.

D'où vient l'idée de ce comité de restructuration qui était le deuxième du genre? Cela venait du fait que la BNC a connu, comme toute institution, des moments difficiles dans son existence. Entre 1991 et 1995 (j'appelle cette période les moments difficiles de la BNC), d'autres banques commerciales privées sont arrivées sur le marché avec des ressources humaines beaucoup plus dynamiques et beaucoup plus orientées clients que la BNC. Cette dernière jouissait alors d'une situation de quasi-monopole avec la Banque Royale du Canada et la Banque de l'Union haïtienne.

Ce faisant, la BNC perdit rapidement des parts de marché et était déclassée de la première à la sixième position. A côté du fait qu'elle perdit des parts de marché, les fonds propres de la banque avaient également fondu avec les déficits enregistrés au sein de l'institution.

A ce moment, deux options s'offraient aux responsables : privatiser (moderniser) la banque ou la restructurer. Il y a eu une première expérience conduite par la Banque de la République d'Haïti, mais elle n'a pas donné les résultats escomptés. Alors l'Etat haïtien a pris la décision de donner une deuxième chance à la BNC afin de voir comment on peut sauver ce patrimoine national.

C'est ainsi que je suis arrivé à la banque avec la mission d'analyser les possibilités de la restructurer. J'avais trois mois pour donner une idée claire sur cette affaire à savoir si la BNC pouvait être sauvée ou s'il fallait la laisser périr. Moi et mon équipe nous avions compris qu'il s'agissait d'un défi et nous avions pris le taureau par les cornes et montré que le miracle était possible moyennant une restructuration dans ses modes d'opération, ses ressources humaines, sa capitalisation.

Ainsi nous avions fait notre rapport à l'autorité de tutelle, le ministère de l'Economie et des Finances et au Chef de l'Etat pour leur dire que l'institution pouvait être sauvée moyennant certaines conditions bien précises. Nous avions fait le travail de restructuration qui a duré de deux ans à deux ans et demi. Cette banque a pu être sauvée et est devenue un fleuron dans le patrimoine de l'Etat haïtien avec un actif total de plus de 18 milliards de gourdes, des fonds propres de 1.4 milliard de gourdes, des dépôts totaux de 15 milliards alors qu'en 1999 l'actif total de la banque était de 1.8 milliard de gourdes. Ainsi, pendant cette période, l'actif a pu être multiplié par 10, ainsi que les dépôts, les prêts et les fonds propres.

C'est ainsi qu'on a pu gérer cette banque pendant les 10 dernières années. Et, fait inédit dans l'histoire bancaire en Haïti, une banque publique a pu faire acquisition d'une banque commerciale qui était en difficulté. Cela a été une transaction pour protéger le système bancaire haïtien d'une crise systémique. Après ce qui s'est passé avec les coopératives financières, la Banque centrale a beaucoup incité la BNC à faire l'acquisition des actifs et passifs de la Socabank.

C'est ainsi qu'on a fait l'acquisition de la banque en difficulté. Car, la Soca présentait un avoir net négatif de 1.5 milliard de gourdes. Ce n'est pas une richesse. Cette transaction a été faite dans une perspective de sauvetage du système financier et de protection de l'avoir des déposants.

Après cette transaction réalisée en mars 2007, la BNC est en train de digérer cette absorption qui n'est pas toujours facile. Mais avec notre plan stratégique, la façon dont nous approchons cette absorption, nous pensons qu'à l'horizon 2011-2012, la BNC devrait complètement retrouver son équilibre.


Frantz Duval : - Il y a eu aussi une restructuration au niveau du personnel et au niveau de la technologie qui a été très importante. La vision de la BNC a aussi changé. Pouvez-vous nous parler un peu de tout ça ?

Guiteau Toussaint : - L'un des axes majeurs de la restructuration de la BNC a été les ressources humaines tant du point quantitatif qu'au point de vue qualitatif. La banque fonctionnait avec un effectif de plus de 800 employés en 1999 alors qu'on avait noté qu'elle pouvait fonctionner très facilement avec un effectif de 350 à 400 employés. Il fallait réduire la taille de cette institution en accordant certains avantages aux partants. Ce que nous avons fait. Et pour compléter l'effectif, on a fait appel à des consultants, des ressources beaucoup plus jeunes et dynamiques avec un nouvel esprit orienté client. Comme je le dis toujours, ce dernier est la raison d'être de la banque.

Il nous a fallu beaucoup de temps pour mettre ce nouvel esprit dans la tête de tout un chacun à savoir que la banque existe parce que le client y vient. Nous avons fait le travail, mais ce n'est pas encore gagné à cent pour cent. Il faut continuellement le faire avec les nouveaux qui arrivent, leur inculquer cet esprit et faire en sorte qu'ils puissent fournir un service de qualité aux clients qui arrivent.

Du point de vue technologique, la banque est dotée d'un puissant outil technologique up to date qui, bientôt, va subir une migration, c'est-à-dire qu'on va encore actualiser le système pour tenir compte des nouvelles réalités. De ce côté là aussi, la banque est prête. Il y a deux autres banques de la place qui disposent de cet outil très performant dont nous disposons. Nous n'avons pas beaucoup d'appréhension ni d'inquiétudes avec cet outil.

Pour diriger une institution comme la BNC, il faut aussi avoir de la vision. Une vision c'est comme un rêve auquel nous donnons un délai. Notre vision est de faire de la BNC une des banques les mieux cotées de la place en termes de services bancaires. Cette banque doit continuer à créer de la valeur pour son propriétaire et pour la communauté. Elle doit être une banque efficace et efficiente au service de la communauté et orientée vers la promotion de l'économie nationale. C'est notre vision de la banque et c'est cette vision qui, chaque jour, chaque mois, chaque année, défile continuellement devant nous dans notre travail.

Frantz Duval : - Ces derniers mois, l'économie mondiale a connu une crise. Au niveau d'Haïti, nous n'avons pas de répercussions directes mais, quand même, toutes les institutions sont affectées. Comment la BNC vit cette crise ?

Guiteau Toussaint : - Comme vous venez de le dire, les institutions haïtiennes ne sont pas directement affectées par cette crise mondiale. Mais les institutions financières sont interdépendantes. Quand la finance mondiale est en difficulté, nous autres aussi nous ressentons les secousses. Mais, les banques haïtiennes sont très résilientes, leur stratégie aussi, en terme de placement à l'étranger, a changé, comme l'a fait la BNC. Pour le moment, il n'y a pas vraiment de placements intéressants dans les banques étrangères. Donc nous avons changé notre stratégie pour nous adapter à cette nouvelle réalité. Mais ça ne pose pas un problème réel à l'institution, sauf que nous avons dû ajuster nos revenus ainsi que nos dépenses. A part cela, pas de grandes préoccupations.

Frantz Duval : - Dernièrement, c'était le lancement de la carte de crédit et de l'Assurance BNC. Est-ce que la BNC va changer d'image et proposer autre chose pour ses trente ans ?

Guiteau Toussaint : - Oui, nous allons encore proposer autre chose comme nous le faisons depuis 10 ans. L'année dernière, nous avons lancé l'Assurance BNC qui est un produit financier nouveau sur le marché haïtien. On a lancé la Carte de crédit de la BNC. Pour les trente ans de la banque, nous allons lancer la Carte prépayée de la BNC qui présente certains avantages par rapport à la concurrence. Et nous avons également lancé un Comte Vert pour montrer comment la Banque s'intéresse à l'environnement.

Le Compte Vert est un compte très simple. Chaque fois que quelqu'un ouvre un compte d'épargne à la BNC, il finance un arbre, ce qu'on appelle le Compte Vert. A travers un programme que la banque va avoir avec une fondation reconnue de la place, nous allons financer cette fondation qui travaille au bénéfice de l'environnement.

Ce sont-là les produits nouveaux que nous apportons pour ces trente ans et certainement l'année prochaine on aura d'autres produits. Car, chaque année, la banque tient à apporter un produit neuf à la clientèle et servir aussi la Communauté.

Cyprien L. Gary : - Dernièrement la BRH a fait sortir sur son site internet l'état de crédit des banques de la place. Selon ce rapport récent, il y aurait une contraction du crédit dans les banques haïtiennes. Est-ce qu'il n'y aura pas moyen de prévoir une plus importante distribution du crédit à la BNC pour les temps à venir ?

Guiteau Toussaint : - L'information qui a paru est correcte. On a noté une certaine contraction du crédit à l'économie au cours de l'année 2008-2009. C'est l'un des impacts de la crise financière mondiale. Ce qu'on a pu constater, c'est qu'il n'y a pas vraiment beaucoup de nouveaux projets bancables dans le secteur. La BNC, comme toutes les banques commerciales, est très intéressée à fournir du crédit à l'économie. C'est la mission de la banque.

Quand on se plaint que les banques n'accordent pas de crédit, je me dis toujours que c'est la mission de la banque. Le crédit, c'est comme une matière première pour la banque. Le travail de la banque est de transformer les dépôts qu'elle reçoit en crédits. Mais il faut faire des crédits viables, avec des projets bancables qui tiennent la route. En 2008-2009, on n'a pas vraiment eu des projets novateurs qui cherchaient des financements. Les quelques rares projets qui se sont manifestés ont vite trouvé des financements. A ce sujet, je peux citer l'exemple de E-Power qui est un projet de génération d'électricité d'une valeur de 56 millions de dollars. C'est un important projet auquel la BNC participe avec la Sogebank et la SFI.

Il y a également des investissements que nous avons consentis toujours dans le secteur de l'énergie électrique avec la compagnie Sogener dont la BNC est un partenaire important. Il n'y a pas vraiment d'autres projets qui ont sollicité des financements importants des banques qui sont là pour accorder du crédit. Quand les banques n'arrivent pas à accorder du crédit, ça les dérange. Pour la BNC, la situation n'a pas été différente des autres banques du secteur. En ce qui nous concerne, il n'y a pas eu de contraction, mais la croissance du crédit a été relativement faible, entre 4 à 5% par rapport à l'année dernière. Notre objectif est d'arriver entre 20 à 25% de croissance de notre portefeuille de prêts.


Propos recueillis par : Frantz Duvalet Cyprien L. Gary

lundi 3 août 2009

Haiti-Salaire minimum : Tout plaide en faveur des 200 gourdes

Par Fritz Deshommes
Source: AlterPresse, 3 août 2009

Au moment où la Chambre des Députés va se pencher sur les objections du Chef de l’État, il est opportun de faire une récapitulation des questions pertinentes, des données recueillies et des enjeux fondamentaux tels qu’ils se présentent à travers le débat sur le salaire minimum. De quoi s’agit-il exactement ? Quels critères prendre en compte pour déterminer le niveau de ce salaire minimum ? De quelles données dispose-t-on sur le minimum vital dans la zone métropolitaine ? Quel devrait être le niveau du salaire minimum si la loi était régulièrement appliquée ? Est-il vrai que les 200.00 gourdes proposées sont susceptibles de créer du chômage massif ? Ou peuvent être un vecteur d’inflation ? Pourquoi l’État appuie-t-il la position du patronat ? Quelles sont les dispositions prises par l’État pour lutter contre le chômage, créer des emplois, exploiter la loi Hope II à son maximum ? Autant de questions que le texte qui suit se propose d’aborder en mettant l’accent essentiellement sur le secteur de la sous-traitance.

1- On ne dit pas assez que le salaire minimum réfère à la rémunération minimale qu’un employeur doit octroyer à son employé pour un temps donné de travail. Suivant les pays, il peut s’exprimer en heure, jour, semaine, mois et se différencier par branche et/ou par région. Dans tous les cas, il vise à garantir à l’ouvrier, au travailleur, un niveau de revenus qui lui permette de satisfaire à ses besoins fondamentaux et à ceux de sa famille immédiate (alimentation, logement, habillement, éducation), de reproduire sa force de travail, de demeurer un ouvrier.

2- Ce minimum a fait l’objet de diverses estimations pour la zone métropolitaine de Port-au-Prince. La plus conservatrice est celle du Ministère des Affaires Sociales qui, l’année dernière déjà, l’a calculé à 300.00 gourdes. Les 200.00 gourdes proposées sont donc en deçà de ce minimum vital et constituent simplement un pas dans la bonne direction.

3- Comparées au salaire minimum légal encore en vigueur (70.00 gourdes), les 200.00 gourdes pourraient paraître exagérées d’un point de vue comptable ou financier car elles impliquent une augmentation brusque de 185%. Par contre, il faut noter que :

a. Si les règles du jeu en la matière étaient prises en compte, plus précisément si l’article du Code du Travail, prescrivant l’ajustement automatique du salaire minimum chaque fois que le taux d’inflation atteint 10%, était respecté, le salaire minimum légal en 2009 aurait été de 195 gourdes, selon l’économiste Kathleen Dorsainvil [1]. Cette dernière a montré que le non-respect de la loi constitue une subvention faite aux patrons au détriment des ouvriers. Leslie Péan a estimé le montant de cette subvention à 44 millions de dollars américains pour les 5 dernières années [2].

b. Le secteur patronal a toujours insisté sur le fait que les 70 gourdes ne sont guère plus la norme et même que la plupart des ouvriers atteignent pratiquement les 200.00 gourdes ou presque. Selon une étude réalisée par le « Strategic Management Group » commanditée par l’ADIH sur le secteur de la sous-traitance, les ouvriers qui actuellement gagnent le salaire de 70.00 gourdes ne dépassent pas 9% du total et constituent essentiellement des ouvriers à l’essai. En fonction de leur productivité, 53% du total des ouvriers gagnent un salaire journalier moyen de 154 gourdes et 38% gagnent déjà plus de 200.00 gourdes, soit 218.00 gourdes, explique l’étude. Il est vrai que les données relatives au temps de travail ne sont pas indiquées et que le risque est grand de confondre productivité du travail et intensité du travail. Cela dit, le salaire moyen pondéré actuellement en vigueur serait de 173.00 gourdes [3].

c. L’année dernière, sur ce même dossier du salaire minimum, la Commission Tripartite regroupant patrons, ouvriers et l’État s’était mise d’accord sur un salaire minimum de 150-160 gourdes. C’est-à-dire que le secteur patronal s’était engagé à payer 150-160 gourdes de salaire minimum. Ce barème lui paraissait déjà raisonnable et profitable, il y a un an.

d. L’histoire récente des hausses de salaire minimum a toujours pris cette allure : de 15 gourdes à 36 gourdes en 1994, soit plus du double d’un seul coup ; de 36 gourdes a 70 gourdes en 2003, près du double encore une fois. Ce n’aurait pas été la première fois que l’augmentation de salaire minimum aurait pris cette forme apparemment brusque et déraisonnable. La vraie déraison est le non-ajustement par rapport à l’inflation et le non-respect de la loi.

4- Au delà des questions comptables et financières, un argument auquel nous devons tous être sensibles : l’augmentation à 200.00 gourdes risque-t-elle d’entraîner des pertes d’emplois ou de « ruiner » le secteur de la sous-traitance ? On l’a affirmé haut et fort mais personne n’a su le prouver. Les premiers concernés, les industriels, qui ont lancé le débat, se gardent de fournir des données pertinentes à ce sujet et s’y opposent même [4]. Même le Président de la République, dont on connaît la position sur le dossier, ne s’en est sorti que par un dubitatif « peut-être » sur ce point, dans sa première lettre aux parlementaires [5]. Et les arguments les plus bruyants en la circonstance sont plutôt navrants : spots publicitaires d’une association de chômeurs « national-nationaux », apparue brusquement sur la scène, sans adresse connue et suffisamment argentée pour en assurer une diffusion massive ; séquences télévisées d’entretien avec un « industriel dominicain », désœuvré, qui dit tout le mal qu’il pense d’une augmentation de salaire minimum, au même moment où le propre gouvernement dominicain choisit de le faire passer a US $9.00/jour.

5- S’il était vrai que la hausse à 200.00 gourdes du salaire minimum était susceptible de faire perdre des emplois, pourquoi le secteur patronal ne s’est-il pas acharné à le démontrer ? pourquoi ne s’est-il pas mis à nous assommer de chiffres, de données, de faits pour nous convaincre de la justesse de sa position ? Pourquoi, des le début, il y a un peu plus de deux ans, ne s’est-il pas attelé a prendre l’opinion publique, la presse, le gouvernement, a témoin des dangers de ce qui n’était a l’époque qu’une simple proposition ? Pourquoi avait-il préféré bouder toutes les invitations du parlement ? Pourquoi lorsqu’il s’était avéré que la Chambre des Députés prenait le dossier au sérieux ne s’est-il pas réveillé ? Pourquoi après l’adoption du projet de loi a la Chambre basse ne s’est-il pas rattrapé au niveau du Sénat ? Pourquoi fallait-il attendre que la loi soit votée par les deux chambres pour se mettre en position de protestation tonitruante ? Pourquoi même en faisant appel au Président de la République, ne s’est-il pas cette fois encore mis en quatre pour nous convaincre, données a l’appui ? Pourquoi même le président de la république lui-même n’a pas pu être convaincu, si vrai que malgré son soutien sans faille, il n’a pu se contenter que d’un « peut-être » lorsqu’il s’est posé la question de savoir si les 200.00 gourdes vont générer des pertes d’emploi ?

6- Pourquoi les services compétents de l’État se sont montrés si réticents, si silencieux dans le débat ? Pourquoi le Directeur Général de la DGI a pu s’offrir le luxe de bouder une invitation/convocation du Chef de l’Etat à propos justement des données de bilan financier ? Pourquoi les Ministères des Affaires Sociales, du Commerce et de l’Industrie, de l’Économie et des Finances ne sont-ils pas venus à la rescousse du Chef de l’État pour démontrer par des études pertinentes et incontestables qu’effectivement l’augmentation à deux cents gourdes serait cause de pertes massives d’emplois ? Et lorsque finalement les parlementaires ont pu, à la DGI, accéder aux documents comptables des entreprises de sous-traitance, c’était pour « découvrir le pot aux roses [6] », comme l’a annoncé « le Nouvelliste » : la plupart des bilans déclarés sont faux, inconsistants. Des entreprises qui perdent de l’argent tous les ans et continuent à investir régulièrement. Ce qui confirme ce que l’on savait déjà : la plupart des commerçants et industriels de la place fonctionnent avec une double ou triple comptabilité, une pour la DGI, une pour la banque, une pour eux-mêmes. A l’occasion nous avions ressuscité un article paru il y a 23 ans, citant la banquière Gladys Coupet qui s’en prenait aux « bilans-contributions » de nos hommes d’affaires [7].

7- On se demande pourquoi l’étude du « Management Strategic Group [8] », citée plus haut n’a pas fait l’objet d’une plus grande diffusion en dépit de ses conclusions favorables à la plupart des vues du secteur patronal (qui en est d’ailleurs le commanditaire) et du prestige de la firme consultante.

L’analyse du compte d’exploitation présenté en page 5 de l’étude suggère :
Le total des ventes indiqué, de 134.1 millions de dollars, pourrait avoir été sous-estimé, si l’on se réfère aux données de la Banque de la République d’Haïti (Rapport Annuel 2007) [9] et à celles du Département Américain du Commerce, citées par Lesly Péan [10].
Les coûts variables, (72.8 millions de dollars US), composés à 87% de la rémunération des ouvriers, pourraient avoir été surévalués, si certaines informations fournies en page 5 du rapport ont servi à leur estimation. Il est assumé, par exemple, que tous les ouvriers accèdent aux avantages sociaux prévus par le Code du Travail : une journée de repos par semaine, le paiement des obligations au titre de l’ONA et de l’OFATMA, boni et congé annuel payés, lesquels représentent plus de 20% de la masse salariale. D’ailleurs, en ce qui a trait à la journée hebdomadaire de repos, la même étude présente des fiches de paie individuelles sur la base de 26 jours /mois et non de 30 jours.
Au niveau des « Charges Fixes (51 millions de dollars), le poste le mieux pourvu est celui intitulé « Autres » avec un montant de 24.8 millions de dollars, soit près de 50% du total. Faut-il croire qu’il recèle bien des secrets ?
Le deuxième poste en importance des charges fixes couvre les « salaire supervision et administration » pour 13.1 millions de dollars. Sa désagrégation pourrait aider à mieux comprendre la répartition des salaires au niveau des cadres des entreprises, surtout quand on sait que les superviseurs haïtiens ne sont pas substantiellement mieux lotis. Les considérations qui précèdent suggèrent que l’amélioration de la qualité des données disponibles, ainsi que l’exploration des opportunités de restructuration des coûts pourraient offrir la possibilité de dégager des bénéfices supérieurs aux 10. 3 millions de dollars indiqués. Et donc de payer confortablement les 200.00 gourdes de salaire minimum. Il importe de souligner que les considérations susmentionnées ne détruisent en rien la qualité du travail fourni par la firme en question – somme toute très utiles dans le débat - qui a dû travailler sur la base de données qu’on lui a fournies. Cela dit, rien n’indique que le salaire minimum à 200 gourdes en sous-traitance n’est pas soutenable ou qu’il va provoquer cette perte massive d’emplois promise par le secteur patronal. Ce qui est sûr, c’est que : Le taux de profit du secteur patronal va diminuer ;
La part des salaires dans la distribution du revenu national va augmenter ;
Les inégalités de revenus vont être réduites.

8- Mais on peut supposer, même en l’absence de données convaincantes, que les affirmations du secteur patronal sont fondées. Cela veut dire simplement que le secteur en débat, la sous-traitance, n’est viable qu’en offrant des salaires de misère. Dans ce cas, peut-on parler véritablement d’emplois ? Ne vaut-il pas mieux utiliser les concepts de sous-emploi ou de chômage déguisé ? Mais ce n’est pas le plus préoccupant. Le patronat peut légitimement défendre ses intérêts corporatifs et alerter sur les conséquences que, selon lui, telle mesure pourrait générer. Ce qui parait alarmant, c’est l’absence de préoccupation sur cette situation de ses ouvriers dont il sait bien que les 200 gdes refusées ne leur permettraient guère de satisfaire à leurs besoins les plus primaires. C’est l’absence de vision et de perspective. C’est qu’il assume passivement que ses ouvriers ne sont pas de véritables ouvriers, parce que ne pouvant reproduire leur force de travail. Qu’il ne voit pas le danger de la précarité existentielle de ses ouvriers. Qu’il ne réfléchisse sur aucune stratégie qui permettrait de visualiser concrètement et de manière réaliste le moment et la manière dont pourraient être créés des emplois véritablement rémunérateurs. Ou peut-être la réduction des prix des biens -salaires (alimentation, logement, vêtement, éducation), histoire d’augmenter le pouvoir d’achat du même salaire. Qu’il ne voit pas ses propres intérêts de long terme en tant que secteur social spécifique, convaincu que le bien-être de l’ouvrier conditionne aussi le sien. N’aurait-il pas pu profiter de cette alliance ouverte avec l’Etat pour porter ce dernier à adopter les mesures adéquates visant à mieux profiter de la loi HOPE, à favoriser les investissements nécessaires en locaux, électricité, etc., à promouvoir les secteurs producteurs de biens-salaires (agriculture, artisanat, construction, éducation, …) ? Au lieu de s’en tenir à cette proposition ponctuelle consistant à demander à l’Etat des autobus pour le transport des ouvriers alors que ce point fait partie des obligations impératives des employeurs (assurer le transport gratuit des ouvriers), selon le Code du Travail.

9- En abordant la question de manière très « étroite », d’un simple point de vue « economiciste », sans aucune considération sociale ou éthique ou morale, l’employeur est le premier personnage à avoir intérêt à ce que ses ouvriers se sentent le mieux que possible, le moins frustré que possible. Car si le processus de production implique la mise à contribution de tout un ensemble de facteurs et d’intrants – matières premières, machines et équipements, bâtiments, électricité, téléphone, main-d’œuvre – le plus important de tous est le travail. Seul le travail des femmes et des hommes, des patrons, des cadres, des ouvriers, peut créer de la richesse, transformer les intrants en un produit nouveau, stimuler la croissance, engendrer des profits. Tous les autres facteurs, quelle que soit leur valeur intrinsèque, n’ont la capacité de créer aucune unité de valeur supplémentaire sans l’intervention du travail humain. Pour l’employeur, pour la société, pour la création de richesses, pour la production de profit, pour la croissance, le travail est le facteur le plus important. Sa permanence, sa bonification, sa « capacitation » continues sont les sources les plus sures de progrès et de productivité. Il est donc bizarre que le coût de la main-d’œuvre provoque des protestations aussi fortes alors que les augmentations récentes de prix d’autres intrants (comme l’électricité et le téléphone) sont passées comme une lettre à la poste, même si certaines d’entre eux se sont produites dans des conditions scandaleuses [11]. A titre d’exemple, les dépenses d’énergie constituent avec 8.5 millions de dollars, le 3eme poste le plus important des charges fixes du compte d’exploitation consolidé du secteur. Ainsi l’amélioration continue des conditions d’existence des ouvriers devrait alimenter les préoccupations journalières des patrons dans le cadre de leurs propres intérêts.

Il est vrai que l’État lui-même qui accompagne le patronat dans la bataille contre les 200.00 n’est pas plus conséquent. Frantz Duval, dans son analyse du projet de budget 2009-2010, note : « Tous les débats de ces derniers jours tournent autour de la nécessité de ne pas tuer les possibilités de création d’emplois dans le secteur de la sous-traitance en appliquant tel quel la loi sur le salaire minimum votée par les deux chambres. Le président de la République, René Préval, fait campagne comme rarement il l’a fait en trois ans et les plus grands industriels du secteur sont allés devant les députés exposer leur point de vue. Pourtant, le dépôt de la loi de finances pour 2009-2010 ne laisse pas entrevoir que créer des emplois dans ce secteur ou ailleurs fait partie des priorités du gouvernement... ni le respect de la hausse annoncée des plus petits salaires et ses conséquences. Le budget de fonctionnement maigrit et aucune mesure d’accompagnement de la relance des emplois n’est perceptible pour créer les 150 à 200 mille jobs promis » [12]. Il est également vrai par ailleurs que depuis son avènement en 2006, le gouvernement peut difficilement se targuer de création d’emplois. On a plutôt tendance à dire le contraire si l’on se réfère aux révocations massives survenues dans les entreprises publiques, sans qu’elles ne puissent se justifier par l’amélioration de la gestion des dites entreprises.

10- Un autre argument de poids a été évoqué pour contrer le salaire minimum à 200.00 gourdes. L’inflation. Les prix vont augmenter, nous dit-on. Les prix du transport, indiquent certains. Le niveau général des prix disent d’autres. Par quels mécanismes ? Quels en seraient les courroies de transmission ? L’augmentation de numéraire entre les mains des travailleurs, disent certains. Soit. Mais il n’y aura aucune augmentation de masse monétaire. C’est le même revenu global qui sera généré. Seule sa répartition changera. Un pourcentage plus important ira trouver les travailleurs. Pourquoi entre les mains des ouvriers devrait-il être plus inflationniste ? En réalité, cette nouvelle distribution du revenu est beaucoup moins vectrice d’inflation. D’abord en s’inscrivant en faux contre la concentration des revenus, elle prémunit contre l’importation de produits de luxe, contre la fuite des capitaux, contre le gaspillage de ressources nationales. On ne compte plus les placements risqués de nos compatriotes dans des banques et institutions financières étrangères et les pertes qui y sont associées [13] : Baninter en République Dominicaine (au moins 25 millions de dollars) ; Stanford au Panama (200 millions de dollars), Bernard Madoff (on parle de plusieurs centaines de millions), etc.…. Toutes ces sorties de devises rendues possibles par la concentration des revenus induisent des pressions sur la monnaie nationale, génératrices d’inflation. Par contre, lorsque les couches nécessiteuses reçoivent un meilleur salaire, elles en profitent pour diminuer leur niveau de précarité. Elles ont encore suffisamment de besoins primaires à satisfaire pour ne pas s’orienter vers des biens de luxe acquis à l’étranger, encore moins la fuite de capitaux. Leurs dépenses supplémentaires ont encore plus de chances de se porter sur les produits locaux dont la production pourrait être stimulée.
Dans cette perspective, on pourrait s’attendre aux résultats suivants :
Amélioration de la répartition des revenus ;
Diminution du volume d’importations de luxe ;
Réduction des fuites de capitaux ;
Promotion des secteurs de production lies au marche interne ;
Diminution des tendances inflationnistes ;
Sans compter les incidences positives sur la sécurité, sur la stabilité, conditions indispensables pour attirer de nouveaux investissements nationaux et étrangers, relancer le tourisme, améliorer le cadre de vie.

11- L’adoption d’un salaire plus juste ou plus décent dans un secteur de production n’est nullement incompatible avec l’existence d’autres secteurs fonctionnant sur la base de salaire minima différents. Les différentes composantes de l’économie nationale ne sont pas uniformes en termes de productivité, d’environnement, d’exigences intrinsèques. Deux cents gourdes à Port-au-Prince peuvent générer un pouvoir d’achat moins important que 150 gourdes aux Abricots. Et il est contreproductif de croire qu’il faille attendre que tous les secteurs soient capables d’offrir le même niveau de salaire pour l’adopter dans un autre qui puisse l’atteindre. Au contraire, son application dans un secteur peut porter d’autres secteurs à s’en rapprocher, Par exemple, il n’y a aucune raison pour que l’Etat continue à payer ait ses employés des appointements inferieurs aux 200.00 gdes par jour. Un simple calcul montrera que le coût supplémentaire à supporter en la circonstance représente moins de un pour cent du budget national. Et qu’on n’insinue pas que l’inflation est à nos portes par le simple fait de rémunérer un peu plus justement les employés les moins fortunés de la fonction publique ! Ou va-t-on protester contre les ouvriers du secteur de la construction dont le salaire minimum atteint déjà ce barème pour les moins qualifiés ?

A la lumière des considérations précédentes, rien ne devrait s’opposer à l’adoption des 200.00 gourdes comme barème pour le salaire minimum dans le secteur de la sous-traitance.

Tout le monde est d’accord, y compris le patronat, y compris le Chef de l’Etat, que même les 200.00 gourdes ne suffisent pas à assurer la subsistance de l’ouvrier. Le Ministere des Affaires Sociales a meme estime qu’il faudrait au moins 300.00 gourdes de salaire journalier. Mieux encore, par simple application du Code du Travail, ce bareme aurait du déjà du etre en application. Et les ouvriers auraient pu reclamer les 44 millions de dollars de manque-à-gagner subis pour non-application de la loi.
Bien entendu il fallait tenir compte de l’argument selon lequel des pertes massives d’emplois pourraient etre generees. A l’analyse, aucun protagoniste n’a pu, n’a su, n’a voulu, le prouver. Ceux qui l’ont affirmé, les industriels, ont refusé de l’établir. Ceux qui les appuient, comme le Chef de l’Etat, se sont gardés de l’affirmer.

Par ailleurs, rien n’empêche que des entreprises à problèmes, comme le sont au moins 8% d’entre elles, si l’on en croit l’étude du « Strategic Management Group », dont le taux d’efficience laisse totalement à désirer, fassent l’objet de considérations spéciales en termes de « mesures d’accompagnement » de la part de l’Etat pour les aider autant que possible à remonter la pente. Mais ceci devrait se faire dans le cadre d’une politique bien comprise, non pas au détriment du barème de 200.00 gourdes. Et ce type d’entreprises ne devrait pas dicter la norme, par une sorte de nivellement par le bas.

D’autres arguments ont été évoqués, comme l’accentuation des pressions inflationnistes susceptibles d’éroder le pouvoir d’achat. Là encore, les mécanismes n’ont pas été identifiés.

On a plutôt tout lieu de croire qu’un salaire minimum à 200.00 gourdes devrait plutôt contribuer à améliorer la répartition des revenus, diminuer les importations de luxe, réduire les possibilités de fuite des capitaux et des placements risques du genre Baninter, Madoff, Stanford, lutter contre certaines tendances inflationnistes, tout en améliorant le cadre de vie et le sentiment de précarité des travailleurs. En attendant que d’autres secteurs et d’autres régions fassent l’objet de débats aussi passionnants dans la perspective de la création d’emplois productifs et rémunérateurs et d’une croissance viable, durable et équitable.

1er Aout 2009
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[1] Kathleen Dorsainvil, « Le salaire minimum:est-ce un imbroglio ? ». Voir Le Nouvelliste du 20 juillet 2009
[
2] Lesly Péan, « Les industries de sous-traitance et le salaire minimum de 200 gourdes. Voir Le Nouvelliste du 30 juin 2009.
[
3] Strategic Management Group SMG). « Impact éventuel d’un nouveau salaire minimum sur l’avenir de l’industrie de sous-traitance en Haïti », Mai 2009 (31pp).
[
4] Un membre du secteur patronal, eut même à déclarer à la radio qu’il est incongru de demander des états financiers et qu’il suffisait qu’un patron affirme qu’il va y avoir des pertes d’emplois pour qu’on le croie.
[
5] Voici mot pour mot les paroles du Chef de l’Etat dans sa première lettre aux Parlementaires en date du 17 juin 2009 :
« Eske 200 goud salè minimòm pemet yon moun viv kòm sa dwa ? Repons la se non, lè n ap gade pri transpò, lwaye, lekòl, manje, elatriye… »
« Eske se vre 200 goud salè minimòm nan, jan li vote nan Palman an, ap fè moun k ap travay pèdi djòb yo ? Repons lan poko klè »…
« Eske se vre 200 goud salè minimòm nan, jan li vote nan Palman an, ap anpeche kreye lòt anplwa, kidonk anpeche bay plis moun travay ? Repons lan poko klè ».
[
6] Claude Gilles, « Benoît découvre le pot aux roses », Le Nouvelliste du 16juillet 2009.
[
7] Fritz Deshommes, « Banquiers et Hommes d’Affaires d’Haïti (Vus par eux-mêmes) », in « Vie Chère et Politique Economique en Haïti », L’imprimeur II, 1992. Récemment repris par AlterPresse du 22 juillet 2009 sous le titre « Les pratiques de double ou tripe comptabilité de nos hommes d’affaires »
[
8] « Strategic Management Group », op. cité.
[
9] Les données de la BRH indiquent respectivement 154.62 millions en 2005, 169.66 millions en 2006, 180.57 millions en 2007 de production du secteur. Si elles rendent compte uniquement de la valeur ajoutée, le chiffre des ventes ou chiffre d’affaires est encore plus élevé.
[
10] Le montant des ventes reporté est de 290 millions de dollars en 2003, 324 en 2004, 406 en 2005, 449 en 2006, 452 en 2007, 412 en 2008. Voir « Le Nouvelliste » du 30 juin 2009.
[
11] La gestion récente des entreprises publiques d’électricité et de téléphone notamment, les actes de sabotage dont ils ont été l’objet, le processus conscient et systématique de leur démantèlement programmé au profit d’intérêts prives haïtiens et étrangers, les actes de corruption caractérisés qui y ont été identifiés, l’octroi de contrats juteux et opaques à des tiers, ont occasionné des augmentations extraordinaires de coût qui se reflètent d’ailleurs dans le compte d’exploitation des entreprises de sous-traitance. On sait par exemple que le prix des appels téléphoniques locaux est passé de 0gde à 4-5 gourdes la minute. Les frais d’électricité constituent le 3e poste le plus important de la rubrique « Charges Fixes » des comptes consolidés du secteur. Le secteur industriel y a assisté, silencieux et docile. Pourquoi alors tout ce tollé lorsqu’il s’agit de rémunérer a sa juste valeur le facteur de production principal, le travail, source de la création de richesses, de production de plus-value et de profits ?
[
12] Frantz Duval, “Salaire minimum et création d’emplois : est-ce qu’on nous ment ?”, Le Nouvelliste du 2 juillet 2009.
[
13] Fritz Deshommes, Université et Luttes Démocratiques en Haïti, 2e Edition, Editions de l’Université d’Etat d’Haïti, 2009, (p.272).
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L'article original est publié ici.

mercredi 29 juillet 2009

Haïti: Haïti: d'une économie agraire à une économie moderne

Par Jean Max St Fleur
Source: Le Nouvelliste, 24 juillet 2009


A l'initiative de l'ambassade de la République du Chili en Haïti et du Centre national de recherche et de Formation (CENAREF), l'économiste chilien indépendant, Manuel Riesco Larrain, a prononcé vendredi au local de ce centre de réflexion sis à Pacot, une conférence autour du thème : « Le rôle de l'Etat dans la transformation d'une économie agraire en une économie moderne ». A l'image d'autres pays qui ont connu des situations économiques précaires et qui, aujourd'hui, empruntent de manière irréversible la voie d'une économie moderne à haut potentiel, Haïti peut sortir de son marasme pour arriver à une économie émergente, selon M. Larrain.


Pendant environ deux heures, le professeur et chercheur Manuel Riesco Larrain, accompagné de l'ambassadeur de la République de Chili accrédité à Port-au-Prince, Marcel Young Debeuf, a su tenir en haleine plus d'une vingtaine de représentants du gouvernement haïtien, du secteur privé et d'organisations populaires, ayant rempli la salle de conférence du CENAREF. Espace de réflexion, d'accueil et de service aux institutions et aux citoyens du pays.

Les résultats des travaux de recherche menés dans de nombreux pays industrialisés ou en voie de développement, notamment en Amérique latine, en Europe et Amérique du Nord, sur les facteurs clés qui ont facilité dans ces pays la transition de '' l'économie arriérée '' en une économie émergente ont fait la quintessence de l'intervention de l'économiste chilien. « Dans de nombreux pays qui ont connu un essor économique moderne à travers le monde, notamment au Chili, en Corée du Sud, en Argentine, l'Etat a compris la nécessité de changer de stratégies, de créer les conditions sociales d'existence et d'amener le progrès socio-économique », a souligné M. Larrain.

L'expert chilien, qui expliquait à l'assistance le sens et l'importance du concept-clé « Etat développeur », croit qu'en Haïti, l'économie moderne à haut potentiel est possible. Il faut savoir choisir, selon lui, les moments opportuns comme ce fût le cas en 1924 au Chili quand de jeunes officiers de l'armée et des étudiants ont gagné les rues pour exiger du Parlement, dominé par l'oligarchie traditionnelle, le vote des lois sociales jetées aux oubliettes depuis plus de quatre ans. Lois qui devaient garantir de meilleures conditions de vie au peuple chilien.

Ce moment opportun à saisir, dit-il, c'est maintenant. « Il y a des moments uniques qui naissent des dynamiques, des bouillonnements sociaux particuliers et qui sont alimentés par l'extérieur. Et ce sont ces moments précis qu'il faut saisir », a indiqué l'économiste international devant un auditoire très motivé.

Sous les regards approbateurs de son ambassadeur, Marcel Young Debeuf, M. Larrain a rappelé à l'assistance que le Chili de 1924 offrait le même panorama socio-économique que présente Haïti actuellement. Deux tiers de la population étaient des paysans sans terre qui vivaient dans des situations extrêmement difficiles. L'Etat développeur a pris naissance grâce à une prise de conscience collective, une considération générale de la situation d'une grande précarité qui prévalait dans ce pays.

Les expériences de la République de Chili et celles d'autres pays de l'Asie et de l'Amérique du Sud que M. Larrain a partagées avec l'assistance ont retenu particulièrement l'attention et l'intérêt des responsables du CENAREF, notamment de son fondateur, Jacques Edouard Alexis. « Pour un pays comme Haïti, il est important de savoir ce qui se passe ailleurs, d'apprendre des expériences des autres gouvernements tout en tenant compte de notre réalité, du contexte socio-économique et politique dans lequel nous évoluons », a estimé M. Alexis qui semble avoir appris la leçon après deux mandats comme Premier ministre.

L'ex-Premier ministre haïtien, qui donne l'impression d'avoir son avenir politique devant lui, a ajouté que l'initiative du CENAREF en collaboration avec l'ambassade du Chili rentre dans le cadre de la mission d'orientation stratégique de cette technostructure en appui à la classe politique et à la société globale. Le CENAREF, a-t-il fait savoir, se veut un centre de renouvellement et d'incubation des politiques économiques, institutionnelles, sociales, écologiques et autres.

Cet espace de réflexion est ouvert à tous les spécialistes nationaux et internationaux qui voudraient engager des débats, des dialogues visant le développement du pays.
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L'article original est publié ici.
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NDCDP-Économie générale
L'article de M. St-Fleur est trop succinct.
Nous suggérons au CENAREF de rendre public (si possible sur le Web) un document qui résume la conférence.
On pourra alors mieux apprécier le travail de Manuel Riesco Larrain.

Haïti: Le salaire minimum:est-ce un imbroglio?

Par Kathleen Dorsainvil
Source: Le Nouvelliste, 20 juillet 2009


Le concept de salaire minimum est un outil économique utilisé par les économies de marché afin d'assurer un salaire de subsistance aux agents économiques non qualifiés. Il va s'en dire que le montant associé au salaire minimum est destiné à évoluer au cours du temps en fonction des conditions économiques du pays, de l'inflation en particulier.

En Haïti, le salaire minimum a été fixé à 70 gourdes en 2003.L'inflation dans le pays a évolué comme suit depuis 2003:
2003 32,4%
2004 24,3%
2005 15,8%
2006 13,1%
2007 8,2%
2008 19,8%
Source:Institut haïtien de Statistique et d'Informatique IHSI)

Par conséquent, si le salaire minimum avait été ajusté au cours de la période pour tenir compte de l'inflation, il aurait été fixé à 195 gourdes au début de l'année 2009.

La loi Benoit fixant le salaire minimum à 200 gourdes répond donc à un souci d'équité de la part du législatif face aux travailleurs haïtiens non qualifiés, et il convient de le féliciter.

D'un premier coup d'oeil, cet ajustement peut paraître lourd. Le patronat haïtien, le secteur de la sous-traitance en particulier, responsable de l'offre d'emploi, a maintes fois fait savoir qu'il ne pourra pas supporter une telle augmentation.

En pratique économique, cette offre d'emploi artificiellement maintenue à 70 gourdes pendant cinq ans est équivalente à une subvention au secteur concerné par la nation haïtienne au détriment des travailleurs haïtiens non qualifiés. Ce genre de subvention implicite peut se concevoir pour les enterprises en phase d'implantation afin de tenir compte des coûts élevés de démarrage de leur activité. La théorie économique n'est pas unanime, quant à l'efficacité de ce genre de subvention. Elle est unanime pour dire que cette subvention ne doit exister que pendant un laps de temps court, le temps pour les entrepreneurs d'acquérir le "comment faire" du fonctionnement profitable.

Dans les mois à venir, avec ou sans les 200 gourdes, la performance du secteur de la sous-traitance, sa capacité à maintenir les emplois, à profiter pleinement de la loi HOPE, va dépendre de manière cruciale de la demande pour ses produits, demande liée à l'état de la santé de l'économie mondiale, l'économie américaine en particulier, donc du "comment faire" de ce secteur à être profitable.



Par conséquent, celles des entreprises qui ont été en sursis de fonctionnement vont de toute façon se retrouver en situation de péril. Elles auront le choix entre acquérir rapidement le "comment faire" ou devenir des "enterprises lemons". Leur acharnement à faire modifier la loi Benoit n'y changera rien.

L'examen des états financiers par le législatif aura l'avantage unique de mettre au grand jour l'état des lieux de ce secteur de la vie nationale, d'identifier les entreprises "lemons". Il faut espérer que des décisions économiques saines pourront en découler.

Par contre, il convient de faciliter la transition vers l'absence de subvention implicite pour les entreprises profitables, en les aidant à maintenir leur capacité de production. Il convient aussi de répondre au souci du législatif de garantir un certain seuil de subsistance pour les travailleurs haïtiens non qualifiés. C'est dans ce contexte que s'inscrivent les objections de l'executif à la loi Benoit.

Si les ajustements avaient progressé avec le temps, le salaire minimum aurait évolué comme suit:
Gourdes
2004 92,7
2005 115,2
2006 133,4
2007 151
2008 163
2009 195

Le salaire minimum à 200 gourdes apparaît comme un passage obligé.

Une formule raisonnable de transition peut être une augmentation immédiate à 140 gourdes- le salaire médian de la période- et un ajustement final à 200 gourdes à une date à négocier entre les parties concernées, décembre 2009 par exemple.

Ce délai dans l'ajustement pourrait être utilisé par les différents secteurs de la vie économique nationale pour suivre l'évolution de l'économie mondiale, de l'économie haïtienne, d'établir des normes d'accès aux suppléments d'information, de mettre en branle des mesures d'accompagnement destinées à stimuler l'investissement privé, moteur de la croissance, de déterminer les mesures à prendre face aux entreprises 'lemons".

Pour finir, une suggestion au législatif. Il s'est fixé l'objectif d'un salaire minimum uniforme sur tout le territoire national. Pourquoi ne pas envisager la possibilité d'un salaire minimum par départment en fonction du coût de la vie dans chaque région, à établir par l'IHSI? Dans un souci d'équité, une telle mesure serait plus efficiente que d'envisager un salaire minimum différent par secteur.


Kathleen Dorsainvil
Docteur en Economie
Juillet 2009
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L'article original est publié ici.

samedi 18 juillet 2009

Haïti: L'analyse des comptes ne peut pas être statique et concerner une seule année

Par Leslie Péan
Source: Le Nouvelliste, 16 juillet 2009


La polémique autour des 200 gourdes est révélatrice de l'air du temps. Les oligarchies économiques et politiques se donnent la main pour avoir des bas prix sur le dos des travailleurs. Les grands moyens médiatiques sont utilisés pour tenter de gagner l'opinion publique contre la cause des travailleurs. Mais spontanément, ces derniers trouvent des soutiens. Comme l'indique la pétition présentée au parlement le 7 juillet, de nombreux secteurs n'hésitent pas à exprimer leur solidarité avec les ouvriers.

On sait comment l'opacité des bilans d'entreprise est cultivée sous serre. Les scandales autour des falsifications de bilans dans nombre de pays développés comme ceux d'Enron aux Etats-Unis d'Amérique achèvent de rappeler comment ces instruments de mesure de l'activité entrepreneuriale ne sont pas toujours fiables. Les activités hors bilan ont proliféré à un tel point que même la Federal Reserve (la banque centrale américaine) ne peut pas justifier l'utilisation de plus de neuf mille milliards de dollars (soit deux tiers du PIB américain) dépensés depuis septembre 2008 pour voler au secours de diverses institutions privées défaillantes. [1] La Federal Reserve refuse de donner des explications sur l'utilisation de ces fonds et la firme privée Bloomberg a dû lui intenter un procès pour avoir accès aux données de la dite institution quasi-publique. Convoquée à une audition du Congrès américain le 5 mai 2009, Elisabeth Coleman, Inspecteur Général de la Federal Reserve, a reconnu que des milliers de milliards de dollars ne peuvent pas être retrouvés. A l'occasion, le député démocrate Alan Grayson [2] de la Floride qui questionnait Elizabeth Coleman ne cacha pas sa déception devant l'incapacité de l'inspecteur général de répondre à ses questions. Ce n'est donc pas uniquement en Haïti que l'opacité et l'Etat d'exception sont mis en avant pour cacher la réalité. La malice populaire, ne dit-elle pas que chez nous, l'entrepreneur a trois bilans. Le premier est produit pour la Direction Générale des Impôts (DGI), le second est confectionné pour les banques et le troisième, le vrai, est pour l'entrepreneur. En choisissant de se colleter à la demande des parlementaires d'examiner les bilans des entreprises de sous-traitance, le président Préval essaie de sortir du corset que les patrons ont mis autour de sa ceinture et de ne pas immoler les travailleurs sur l'autel du profit sauvage. Le président peut-il se redécouvrir une sensibilité sociale ? L'avenir dira car les patrons d'aujourd'hui semblent avoir perdu la leur.


Quand les patrons de la sous-traitance disaient que le salaire minimum était trop bas

En effet, dans le Rapport des Industries d'Haïti (ADIH) de 1981, les patrons avaient affiché un minimum de responsabilité sociale. Ils avaient fait passer un message de soutien à la classe ouvrière. Certains voulaient même financer la création de syndicats. Les patrons disaient que le salaire minimum était trop bas et qu'il fallait « rendre meilleur le sort des ouvriers ». Les patrons de l'industrie d'assemblage déclaraient qu'il « est aberrant que dans certains quartiers populaires de Port-au-Prince, les familles pauvres aient à dépenser jusqu'à 15% de leur salaire pour acheter de l'eau » (Page 46 de l'étude de l'ADIH de 1981). Ils avaient proposé de « créer, organiser et faire gérer, avec l'aide des pouvoirs publics, des coopératives de vente de produits de première nécessité » et « créer au niveau des entreprises elles-mêmes des comptoirs de vente fonctionnant sans bénéfice aucun pour l'entreprise. » (Page 44).

Le sursaut des patrons ne se cantonnait pas à leurs intérêts immédiats et mesquins. Ils refusaient d'être complaisants et demandaient l'action de l'État pour « augmenter l'investissement dans le secteur agricole, particulièrement par le truchement du budget de développement ». Il ne s'agissait pas d'une recommandation passive. Les patrons enfonçaient le clou en disant qu'il « serait souhaitable d'accorder de façon permanente 30% des dépenses annuelles de l'Etat à ce secteur ». Les patrons se révélaient subversifs pour certains en s'attaquant à la corruption. Ils indiquaient la perspective en déclarant qu'on « devrait aussi veiller à une utilisation rationnelle et totale de ces fonds de façon à obtenir, entre autres résultats, une augmentation réelle de la production des vivres alimentaires, devant aboutir à un effet régulateur des prix de ces produits. » (Page 45).

Enfin, c'est sur la question du salaire de l'ouvrier qu'on peut voir la différence entre les patrons de l'industrie de sous-traitance d'hier et ceux d'aujourd'hui. D'abord, les patrons d'hier posaient la question : « Comment peut-on demander à un ouvrier qui ne vend que sa force de travail d'acheter une patente, qui selon l'article 1er du décret du 25 septembre 1975 sur la patente « est un impôt direct frappant toute personne ...exerçant un commerce, une industrie ou une profession » ? Est-il raisonnable en ce vingtième siècle, que l'ouvrier haïtien soit obligé de verser au fisc 10% de son boni si durement gagné ? » (Page 49).

L'allure de la question comportait sa réponse. En effet, les patrons de la sous-traitance demanderont « la réduction des charges fiscales ouvrières » constituant 9% du salaire que les ouvriers paient à l'Etat sous les rubriques que sont 1) Contribution pour la libération économique 2) Solidarité économique 3) Loterie de Péligre 4) Urbanisme 5) ONA 6) Livret de Travail 7) Patente 8) Carte d'Identité 9) Taxe sur bonus. Les esprits tordus diront que c'était pour avoir la cote auprès des ouvriers que les patrons feront ces demandes. Tant mieux.

Les patrons illustraient leur exercice en relevant que « ces charges fiscales payées intégralement par les ouvriers apparaissent ... démesurées et inutiles, surtout quand on considère que l'ouvrier doit travailler 26 jours par année uniquement pour s'acquitter de ses obligations envers le fisc. Dans beaucoup de pays sous-développés, les ouvriers ne supportent aucune charge fiscale directe. Dans d'autres, les ouvriers ne paient que les charges d'assurance sociale. » (Page 49). Les progressistes ont donc de quoi tenir pour contester le cheminement des uns et des autres aujourd'hui dans le labyrinthe tortueux de l'irrationalité. Les obstacles ne manqueront pas pour ne pas payer aux travailleurs ce qui leur est dû.


Revendication populaire ou populisme

On peut se poser des questions aujourd'hui sur le comportement des patrons dans l'industrie de la sous-traitance qui ont en même temps des ambitions présidentielles. Théoriquement leur intérêt à moyen terme serait de payer les 200 gourdes et d'être le champion de cette cause des travailleurs. Pourtant, ils ont agi autrement. Ils ne comprennent que le court terme et sont prêts à accuser de populisme ceux qui pensent différemment. Il importe de voir clair dans cet entendement qui assimile toute défense des intérêts populaires au populisme. Les dégâts du populisme en Haïti depuis 1804 font que certains s'y réfèrent en toutes les occasions pour tenter de comprendre leur propre réalité. De quoi s'agit-il en fait ?

Le populisme renvoie à une idéologie et à des pratiques politiques qui exploitent honteusement de manière irraisonnée et irrationnelle les émotions et passions populaires. Ce n'est pas le cas ici. La demande pour le salaire minimum de 200 gourdes est justifiable. Elle n'a rien à voir avec le circuit populiste. Pas du tout. La démonstration à partir d'une analyse rationnelle donne des chiffres et argumente du point de vue du salariat. Les salaires peuvent être calculés au centime près. Un patron candidat à la présidence a tout intérêt à revendiquer les 200 gourdes pour ses salariés s'il a comme objectif d'être élu. Il est tout à fait normal qu'il fasse un raisonnement électoraliste. Il n'y a rien de populiste dans une telle démarche.



Cela ne veut pas dire que la critique du populisme n'est pas à l'ordre du jour en Haïti. Cette critique est nécessaire car les fabricants de populisme occupent les avenues du pouvoir et ont déraillé le projet de construire un autre pays depuis 1986. Ils ont de beaux habits et avec leurs atours, la communauté internationale en a fait des présidents. Renouvelant sur de nouvelles bases la politique populacière des Duvalier, le gauchisme chrétien porte une grande responsabilité dans cette dérive populiste qui a pris des formes inédites d'abord avec la propagande contre les partis politiques, puis avec la nébuleuse anti-diaspora et enfin avec l'hystérie anti-intellectuelle profonde. Les résultats concrets de la politique de pagaille ne se comptent plus. D'abord c'est le sabotage de ce qui restait d'institutions (église, armée). Puis c'est la perte de la souveraineté nationale. Enfin c'est l'encanaillement général de la société en mettant aux postes de commande des gens sans préparation, compétences et programmes. Le mépris pour le savoir devient alors la politique officielle. La culture politique du tout voum se do (tout se vaut) prolifère. Cette culture délétère est le registre essentiel de l'orientation populiste qui fait de l'ambigüité son credo politique. On ne saurait s'étonner que sous le manteau d'un retour à l'ordre public, les partisans du statu quo mettent tout en oeuvre pour détourner les justes revendications des travailleurs pour de meilleures conditions de vie. On mesure les effets de ce que Hegel nomme « le patient travail du négatif » aujourd'hui dans la politique économique contre le salaire minimum des 200 gourdes. Le drapeau du peuple est agité pour mieux combattre le peuple.


La façon de connaître

La dénonciation du populisme donne lieu à une confusion sur le terrain des idées. Par exemple, dans le débat sur le salaire minimum des 200 gourdes dans l'industrie de sous-traitance, certains prétendent que seuls ceux qui sont des créateurs d'emplois ont droit à la parole dans ce domaine. Ces gens se trompent et trompent les autres.

Cette façon de voir revient à dire que si on n'est pas tailleur, on ne peut pas reconnaître un pantalon mal cousu. Ou encore si on n'est pas cuisinier, on ne peut pas parler d'un mauvais repas. Ou aussi, si on n'est pas chrétien, on ne peut pas parler de la chrétienté. Et encore, si on n'est pas vodouisant, on n'a pas le droit de parler du vaudou. On pourrait allonger indéfiniment les exemples pour montrer la futilité d'une pareille manière de voir qui se moque du monde.

En prétendant que pour penser un objet quelconque, on doit avoir un rapport immédiat à cet objet, cette forme de pensée nie tout le savoir humain. C'est une manière de voir grotesque et grossière qui prétend qu'on ne peut parler que de ce qu'on a fait.

À ce titre, chaque être humain doit recommencer à zéro. Le transfert de connaissance qu'assume l'instruction à l'école perd sa pertinence. Le rôle de la théorie dans la reproduction est renié. L'apprentissage des autres par et avec les livres est rejeté.

Ce rapport prétendument immédiat à l'objet ou sujet de pensée voulant que seuls les gens pratiquant une activité sont autorisés à en parler prête à rire. Cette manière de voir établit un rapport mécanique entre la pensée et les activités humaines à mille lieux de ce que la réflexion a produit en analyses rationnelles depuis des millénaires.

Une société a besoin de penseurs et d'acteurs. Les deux catégories ne se confondent pas obligatoirement. Il faut combattre le mépris de certains pour les «entèlektyèl».


Les parlementaires doivent rester vigilants.

Les parlementaires ont été invités au palais national le 8 juillet pour discuter des états financiers des entreprises de sous-traitance. Le directeur de la DGI devait se présenter avec les pièces comptables en l'occurrence. La grande surprise est qu'il ne s'est pas présenté. Il avait d'autres chats à fouetter. Les mauvaises langues racontent que le travail de falsification des bilans se serait révélé plus long que prévu et le directeur de la DGI aurait préféré s'absenter en laissant poireauter le président et ses invités. Le directeur aurait expliqué à son patron par la suite que le travail de nettoyage des bilans pour l'occasion prendrait plus de temps. Les mauvaises manières du directeur de la DGI ne peuvent cacher les escroqueries en cours.

L'enthousiasme un peu trop spontané du président Préval, corseté par la propagande des patrons de la sous-traitance, appelle la vigilance des parlementaires. Aucune analyse de bilan sérieuse ne peut se faire en quelques heures. L'analyse des comptes ne peut pas être statique et concerner une seule année. Les comptes doivent être examinés sur une période de trois à cinq années. Pour cela il est recommandé aux parlementaires d'avoir leurs propres consultants en analyse financière pour examiner les bilans au cas où ils leur seraient soumis. Il importe d'analyser la marge brute des entreprises afin de déterminer la partie qui est consommée par les frais financiers. Par exemple, dans tous les cas où ces frais représentent plus de 5% du chiffre d'affaires, il faut une renégociation avec l'institution financière nationale en question pour dégager une partie de la marge financière pour l'augmentation des salaires des travailleurs. Mais aussi, il faut faire une analyse verticale et horizontale des bilans.

L'ordre duvaliériste irréversible

L'aveuglement des élites économiques et politiques dans leur refus du salaire minimum de 200 gourdes pour les travailleurs les plus productifs du pays et leur persistance dans la voie de garage d'une stratégie économique de dépendance vis-à-vis de la communauté internationale ont révélé pour tous ce qui se cachait derrière le brouillard populiste et l'obscurité qui planent sur Haïti depuis la chute du gouvernement des Duvalier en février 1986. Nous pénétrons dans un monde singulier qui, loin de développer sa capacité autonome de pensée et d'analyse, se laisse prendre au piège du modèle de croissance dominé par les exportations (le modèle chinois) associé à celui du développement de la finance spéculative (le modèle des Etats-Unis d'Amérique). Ce modèle qualifié de chimérique par les économistes Moritz Schularick de l'Université Libre de Berlin [3] et Niall Ferguson de l'Université Harvard [4] se caractérise par une nouvelle division internationale du travail dans laquelle la Chine épargne et les Etats-Unis d'Amérique consomment à crédit.

Le taux d'épargne de la Chine est passé de 30% à 45% de son revenu national tandis que celui des Etats-Unis d'Amérique qui était de 5% est passé à zéro en 2005 et est maintenant négatif. En effet, de l'entrée de la Chine communiste à l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC) en 2001 pour arriver à l'année 2008, la dette privée des ménages américains a augmenté plus qu'elle ne l'avait fait au cours des 40 années antérieures. Cette dette privée de 41 mille milliards de dollars en 2009, soit trois fois le PIB américain, constitue l'essence de la crise américaine. Or l'augmentation de cette dette privée est le résultat de la baisse des salaires aux Etats-Unis et de la politique de globalisation sauvage qui tente désespérément de compenser la diminution de la demande locale par le crédit. Le résultat net de cette politique de fuite en avant est le financement de la consommation des ménages américains par la Chine d'une part et la menace des patrons américains de fermer les usines aux Etats-Unis et de les transférer en Asie et dans d'autres pays à bas salaires, si les travailleurs revendiquent des augmentations de salaires. Comme l'explique Robert Reich, ancien Secrétaire d'Etat du Travail sous l'administration Clinton et professeur d'économie à l'Université de Californie à Berkeley, l'essence de la crise actuelle est dans le fait que les salaires aux Etats-Unis sont restés linéaires ou ont diminué pendant trop longtemps. [5] En effet, selon les données du Département du Commerce américain, la portion des salaires dans le revenu national a atteint le niveau le plus bas depuis la crise de 1929 tandis que les profits sont à leur niveau le plus élevé depuis 1950. [6] Les exigences de rentabilité à court terme du capital sont à la base d'un processus d'auto-destruction que l'humanité pensante ne saurait ignorer. Un scénario catastrophe qui se dessine avec les politiques économiques suivies chez nous depuis un demi-siècle. La menace de délocalisation du capital n'est pas particulière à Haïti. Cette menace fait partie de l'arsenal chimérique d'un ordre qui veut remettre en question certains acquis fondamentaux de la civilisation.

Les élites économiques et politiques haïtiennes n'ont pas compris la perspective chimérique. Regardant avec indifférence les grandes tendances de l'économie mondiale, elles n'ont pu accomplir aucune avancée sociétale d'envergure. Elles ont fabriqué du populisme, doublant en 23 ans la dette de 800 millions de dollars que la dictature sanguinaire des Duvalier avait laissée au pays en 1986. Pour faire échec au changement demandé par la population haïtienne, la communauté internationale a opéré comme un magicien son tour de prestidigitation visant à escamoter les priorités économiques du développement agricole et à faire applaudir la promotion des zones franches pour l'industrie de sous-traitance. L'ordre duvaliériste irréversible continue sous un autre habillage. Dans les rêves du populisme sortait la promesse de milliers d'emplois des industries d'assemblage. Mais ce n'était que les oreilles du fondamentalisme de marché qui se montraient avec la privatisation des entreprises publiques pour renforcer l'oligarchie au pouvoir. Pour les travailleurs, la Chance a-t-elle fini de passer ?
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[1] Mark Pittman and Bob Ivry, "U.S. Taxpayers Risk $9.7 Trillion on Bailout Programs", Bloomberg News, February 9, 2009.
[2] "The Federal Reserve can not account for $9 Trillion in Off-Balance Sheet Transactions", Zero Hedge, May 11, 2009.
[3] Niall Ferguson and Moritz Schularick, "Chimerica and the Global Asset Market Boom", International Finance, volume 10, number 3, December 2007. Voir aussi Moritz Schularick, The end of Financial Globalization, January 2009.
[4] Niall Ferguson, Geopolitical Consequences of the Credit Crunch, 30 September 2008.
[5] Robert Reich, Supercapitalism, Vintage, 2007.
[6] Aviva Aron-Dine and Isaac Shapiro, Share of National Income Going To Wages and Salaries at Record Low in 2006, Center on Budget and Policy Priorities, Washington, D.C., March 29, 2007.
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L'article original a été publié au journal Le Nouvelliste et est accessible
ici.
Il a également été publié par AlterPresse sous le titre: Haiti : Les bilans des entreprises de sous-traitance et le salaire minimum des 200 gourdes - L’analyse des comptes ne peut pas être statique et concerner une seule année. Pour y accéder, cliquez ici.
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Mise à jour 18 juillet 14h25

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