vendredi 21 août 2009

Haïti: Une séparation pour le meilleur


Le président du Conseil d'administration de la BNC, Guiteau Toussaint
(Photo: James Alexis)
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Source: Le Nouvelliste du 20 août 2009


A 54 ans, Guiteau Toussaint aligne des journées de plus de 12 heures pour abattre toute la besogne que lui impose son poste de président du conseil de la Banque Nationale de Crédit.

Pour cet ancien fonctionnaire qui est dans le service public depuis 35 ans, la direction de la BNC depuis 10 ans est un succes story qui demande de conjuguer tact, sens stratégique et capacité aigue d'analyse.

Avant de se retrouver à la tête de la BNC Guiteau Toussaint a travaillé au ministère de l'Economie et des Finances où il était directeur général et également dans d'autres institutions financières comme l'IDAI et la BANDAI. Mais pas avec des horaires aussi épuisants, précise-t-il.

« Rien qu'à voir mon visage, en dix ans, j'ai beaucoup vieilli avec la BNC », glisse-t-il en réponse à une de nos questions. Celui qui nous reçoit à son bureau au siège de la Banque la plus ancienne du pays a le sourire rassurant de celui qui sait ménager sa monture. Il est passé six heures du soir et sa journée n'est pas finie. Visite avec lui dans les années de la BNC qui vient de fêter ses 30 ans.


Frantz Duval :- En 1979, l'Etat haïtien a décidé de scinder la Banque Nationale de la République d'Haïti (BNRH) en deux institutions distinctes : la BRH chargée de la régulation du système et la Banque Nationale de crédit (BNC). Pourquoi une telle décision ?

Guiteau Toussaint : - En 1979, le gouvernement haïtien d'alors avait pris la décision de séparer la BNRH qui était une banque d'émission et une banque commerciale et trésorière de l'Etat en deux institutions distinctes : la Banque de la République d'Haïti (BRH) qui est toujours une banque d'émission et qui remplit également les fonctions de régulation et de supervision du système bancaire. Et ensuite la BNC qui est strictement une banque commerciale propriété de l'Etat.

Cette décision a été motivée par les changements effectués à l'époque dans les finances en général. Il y a eu un ensemble de décisions qui ont été prises au niveau des finances publiques, au niveau du budget de la République, au niveau des recettes de l'Etat, le principe de la non affectation des recettes de l'Etat.... Avec ces informations financières, on a jugé qu'il était important, vu le rôle assigné préalablement à la BNRH, de séparer les fonctions de banque centrale et de banque commerciale. Sans vouloir porter de jugement sur cette décision, je crois que cela a été une très bonne chose de le faire ainsi parce que la Banque centrale ne pouvait pas continuer à assumer à la fois la fonction de banque commerciale et de supervision et de régulation du système bancaire.

Frantz Duval : - Aujourd'hui, quelle est l'identité de la BNC ?

Guiteau Toussaint : - Aujourd'hui, la BNC est la Banque Nationale de Crédit, une banque strictement commerciale, mais propriété de l'Etat haïtien. Elle est comme toutes les autres banques commerciales privées fonctionnant dans le pays. La seule différence entre la BNC et une banque commerciale privée est le propriétaire, l'actionnariat. L'actionnariat des banques commerciales privées est détenu par des particuliers alors que l'actionnariat de la BNC est détenu par l'Etat haïtien qui est le propriétaire unique de cette institution.

Frantz Duval : - Depuis plus d'une dizaine d'années, vous êtes à la tête de la BNC, entre-temps, il y a eu le sauvetage de cette banque par l'Etat haïtien, le rachat, l'absorption de la Socabank par la BNC, il y a eu aussi la privatisation évitée de justesse de la BNC. Pouvez-vous nous parlez plus amplement du parcours de la BNC au cours des 10 dernières années ?

Guiteau Toussaint: - Effectivement, je suis arrivé à la BNC en 1999, plus précisément au mois de mars 1999 avec une mission claire, nette et précise. C'était celle de restructurer cette institution. D'ailleurs le comité que je présidais s'appelait le Comité provisoire de contrôle et de restructuration de la BNC. Ce qui constituait un détour dans la vie de la BNC vu qu'avant, c'était toujours un conseil d'administration qui dirigeait cette institution.

D'où vient l'idée de ce comité de restructuration qui était le deuxième du genre? Cela venait du fait que la BNC a connu, comme toute institution, des moments difficiles dans son existence. Entre 1991 et 1995 (j'appelle cette période les moments difficiles de la BNC), d'autres banques commerciales privées sont arrivées sur le marché avec des ressources humaines beaucoup plus dynamiques et beaucoup plus orientées clients que la BNC. Cette dernière jouissait alors d'une situation de quasi-monopole avec la Banque Royale du Canada et la Banque de l'Union haïtienne.

Ce faisant, la BNC perdit rapidement des parts de marché et était déclassée de la première à la sixième position. A côté du fait qu'elle perdit des parts de marché, les fonds propres de la banque avaient également fondu avec les déficits enregistrés au sein de l'institution.

A ce moment, deux options s'offraient aux responsables : privatiser (moderniser) la banque ou la restructurer. Il y a eu une première expérience conduite par la Banque de la République d'Haïti, mais elle n'a pas donné les résultats escomptés. Alors l'Etat haïtien a pris la décision de donner une deuxième chance à la BNC afin de voir comment on peut sauver ce patrimoine national.

C'est ainsi que je suis arrivé à la banque avec la mission d'analyser les possibilités de la restructurer. J'avais trois mois pour donner une idée claire sur cette affaire à savoir si la BNC pouvait être sauvée ou s'il fallait la laisser périr. Moi et mon équipe nous avions compris qu'il s'agissait d'un défi et nous avions pris le taureau par les cornes et montré que le miracle était possible moyennant une restructuration dans ses modes d'opération, ses ressources humaines, sa capitalisation.

Ainsi nous avions fait notre rapport à l'autorité de tutelle, le ministère de l'Economie et des Finances et au Chef de l'Etat pour leur dire que l'institution pouvait être sauvée moyennant certaines conditions bien précises. Nous avions fait le travail de restructuration qui a duré de deux ans à deux ans et demi. Cette banque a pu être sauvée et est devenue un fleuron dans le patrimoine de l'Etat haïtien avec un actif total de plus de 18 milliards de gourdes, des fonds propres de 1.4 milliard de gourdes, des dépôts totaux de 15 milliards alors qu'en 1999 l'actif total de la banque était de 1.8 milliard de gourdes. Ainsi, pendant cette période, l'actif a pu être multiplié par 10, ainsi que les dépôts, les prêts et les fonds propres.

C'est ainsi qu'on a pu gérer cette banque pendant les 10 dernières années. Et, fait inédit dans l'histoire bancaire en Haïti, une banque publique a pu faire acquisition d'une banque commerciale qui était en difficulté. Cela a été une transaction pour protéger le système bancaire haïtien d'une crise systémique. Après ce qui s'est passé avec les coopératives financières, la Banque centrale a beaucoup incité la BNC à faire l'acquisition des actifs et passifs de la Socabank.

C'est ainsi qu'on a fait l'acquisition de la banque en difficulté. Car, la Soca présentait un avoir net négatif de 1.5 milliard de gourdes. Ce n'est pas une richesse. Cette transaction a été faite dans une perspective de sauvetage du système financier et de protection de l'avoir des déposants.

Après cette transaction réalisée en mars 2007, la BNC est en train de digérer cette absorption qui n'est pas toujours facile. Mais avec notre plan stratégique, la façon dont nous approchons cette absorption, nous pensons qu'à l'horizon 2011-2012, la BNC devrait complètement retrouver son équilibre.


Frantz Duval : - Il y a eu aussi une restructuration au niveau du personnel et au niveau de la technologie qui a été très importante. La vision de la BNC a aussi changé. Pouvez-vous nous parler un peu de tout ça ?

Guiteau Toussaint : - L'un des axes majeurs de la restructuration de la BNC a été les ressources humaines tant du point quantitatif qu'au point de vue qualitatif. La banque fonctionnait avec un effectif de plus de 800 employés en 1999 alors qu'on avait noté qu'elle pouvait fonctionner très facilement avec un effectif de 350 à 400 employés. Il fallait réduire la taille de cette institution en accordant certains avantages aux partants. Ce que nous avons fait. Et pour compléter l'effectif, on a fait appel à des consultants, des ressources beaucoup plus jeunes et dynamiques avec un nouvel esprit orienté client. Comme je le dis toujours, ce dernier est la raison d'être de la banque.

Il nous a fallu beaucoup de temps pour mettre ce nouvel esprit dans la tête de tout un chacun à savoir que la banque existe parce que le client y vient. Nous avons fait le travail, mais ce n'est pas encore gagné à cent pour cent. Il faut continuellement le faire avec les nouveaux qui arrivent, leur inculquer cet esprit et faire en sorte qu'ils puissent fournir un service de qualité aux clients qui arrivent.

Du point de vue technologique, la banque est dotée d'un puissant outil technologique up to date qui, bientôt, va subir une migration, c'est-à-dire qu'on va encore actualiser le système pour tenir compte des nouvelles réalités. De ce côté là aussi, la banque est prête. Il y a deux autres banques de la place qui disposent de cet outil très performant dont nous disposons. Nous n'avons pas beaucoup d'appréhension ni d'inquiétudes avec cet outil.

Pour diriger une institution comme la BNC, il faut aussi avoir de la vision. Une vision c'est comme un rêve auquel nous donnons un délai. Notre vision est de faire de la BNC une des banques les mieux cotées de la place en termes de services bancaires. Cette banque doit continuer à créer de la valeur pour son propriétaire et pour la communauté. Elle doit être une banque efficace et efficiente au service de la communauté et orientée vers la promotion de l'économie nationale. C'est notre vision de la banque et c'est cette vision qui, chaque jour, chaque mois, chaque année, défile continuellement devant nous dans notre travail.

Frantz Duval : - Ces derniers mois, l'économie mondiale a connu une crise. Au niveau d'Haïti, nous n'avons pas de répercussions directes mais, quand même, toutes les institutions sont affectées. Comment la BNC vit cette crise ?

Guiteau Toussaint : - Comme vous venez de le dire, les institutions haïtiennes ne sont pas directement affectées par cette crise mondiale. Mais les institutions financières sont interdépendantes. Quand la finance mondiale est en difficulté, nous autres aussi nous ressentons les secousses. Mais, les banques haïtiennes sont très résilientes, leur stratégie aussi, en terme de placement à l'étranger, a changé, comme l'a fait la BNC. Pour le moment, il n'y a pas vraiment de placements intéressants dans les banques étrangères. Donc nous avons changé notre stratégie pour nous adapter à cette nouvelle réalité. Mais ça ne pose pas un problème réel à l'institution, sauf que nous avons dû ajuster nos revenus ainsi que nos dépenses. A part cela, pas de grandes préoccupations.

Frantz Duval : - Dernièrement, c'était le lancement de la carte de crédit et de l'Assurance BNC. Est-ce que la BNC va changer d'image et proposer autre chose pour ses trente ans ?

Guiteau Toussaint : - Oui, nous allons encore proposer autre chose comme nous le faisons depuis 10 ans. L'année dernière, nous avons lancé l'Assurance BNC qui est un produit financier nouveau sur le marché haïtien. On a lancé la Carte de crédit de la BNC. Pour les trente ans de la banque, nous allons lancer la Carte prépayée de la BNC qui présente certains avantages par rapport à la concurrence. Et nous avons également lancé un Comte Vert pour montrer comment la Banque s'intéresse à l'environnement.

Le Compte Vert est un compte très simple. Chaque fois que quelqu'un ouvre un compte d'épargne à la BNC, il finance un arbre, ce qu'on appelle le Compte Vert. A travers un programme que la banque va avoir avec une fondation reconnue de la place, nous allons financer cette fondation qui travaille au bénéfice de l'environnement.

Ce sont-là les produits nouveaux que nous apportons pour ces trente ans et certainement l'année prochaine on aura d'autres produits. Car, chaque année, la banque tient à apporter un produit neuf à la clientèle et servir aussi la Communauté.

Cyprien L. Gary : - Dernièrement la BRH a fait sortir sur son site internet l'état de crédit des banques de la place. Selon ce rapport récent, il y aurait une contraction du crédit dans les banques haïtiennes. Est-ce qu'il n'y aura pas moyen de prévoir une plus importante distribution du crédit à la BNC pour les temps à venir ?

Guiteau Toussaint : - L'information qui a paru est correcte. On a noté une certaine contraction du crédit à l'économie au cours de l'année 2008-2009. C'est l'un des impacts de la crise financière mondiale. Ce qu'on a pu constater, c'est qu'il n'y a pas vraiment beaucoup de nouveaux projets bancables dans le secteur. La BNC, comme toutes les banques commerciales, est très intéressée à fournir du crédit à l'économie. C'est la mission de la banque.

Quand on se plaint que les banques n'accordent pas de crédit, je me dis toujours que c'est la mission de la banque. Le crédit, c'est comme une matière première pour la banque. Le travail de la banque est de transformer les dépôts qu'elle reçoit en crédits. Mais il faut faire des crédits viables, avec des projets bancables qui tiennent la route. En 2008-2009, on n'a pas vraiment eu des projets novateurs qui cherchaient des financements. Les quelques rares projets qui se sont manifestés ont vite trouvé des financements. A ce sujet, je peux citer l'exemple de E-Power qui est un projet de génération d'électricité d'une valeur de 56 millions de dollars. C'est un important projet auquel la BNC participe avec la Sogebank et la SFI.

Il y a également des investissements que nous avons consentis toujours dans le secteur de l'énergie électrique avec la compagnie Sogener dont la BNC est un partenaire important. Il n'y a pas vraiment d'autres projets qui ont sollicité des financements importants des banques qui sont là pour accorder du crédit. Quand les banques n'arrivent pas à accorder du crédit, ça les dérange. Pour la BNC, la situation n'a pas été différente des autres banques du secteur. En ce qui nous concerne, il n'y a pas eu de contraction, mais la croissance du crédit a été relativement faible, entre 4 à 5% par rapport à l'année dernière. Notre objectif est d'arriver entre 20 à 25% de croissance de notre portefeuille de prêts.


Propos recueillis par : Frantz Duvalet Cyprien L. Gary

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