mercredi 29 juillet 2009

Haïti: Haïti: d'une économie agraire à une économie moderne

Par Jean Max St Fleur
Source: Le Nouvelliste, 24 juillet 2009


A l'initiative de l'ambassade de la République du Chili en Haïti et du Centre national de recherche et de Formation (CENAREF), l'économiste chilien indépendant, Manuel Riesco Larrain, a prononcé vendredi au local de ce centre de réflexion sis à Pacot, une conférence autour du thème : « Le rôle de l'Etat dans la transformation d'une économie agraire en une économie moderne ». A l'image d'autres pays qui ont connu des situations économiques précaires et qui, aujourd'hui, empruntent de manière irréversible la voie d'une économie moderne à haut potentiel, Haïti peut sortir de son marasme pour arriver à une économie émergente, selon M. Larrain.


Pendant environ deux heures, le professeur et chercheur Manuel Riesco Larrain, accompagné de l'ambassadeur de la République de Chili accrédité à Port-au-Prince, Marcel Young Debeuf, a su tenir en haleine plus d'une vingtaine de représentants du gouvernement haïtien, du secteur privé et d'organisations populaires, ayant rempli la salle de conférence du CENAREF. Espace de réflexion, d'accueil et de service aux institutions et aux citoyens du pays.

Les résultats des travaux de recherche menés dans de nombreux pays industrialisés ou en voie de développement, notamment en Amérique latine, en Europe et Amérique du Nord, sur les facteurs clés qui ont facilité dans ces pays la transition de '' l'économie arriérée '' en une économie émergente ont fait la quintessence de l'intervention de l'économiste chilien. « Dans de nombreux pays qui ont connu un essor économique moderne à travers le monde, notamment au Chili, en Corée du Sud, en Argentine, l'Etat a compris la nécessité de changer de stratégies, de créer les conditions sociales d'existence et d'amener le progrès socio-économique », a souligné M. Larrain.

L'expert chilien, qui expliquait à l'assistance le sens et l'importance du concept-clé « Etat développeur », croit qu'en Haïti, l'économie moderne à haut potentiel est possible. Il faut savoir choisir, selon lui, les moments opportuns comme ce fût le cas en 1924 au Chili quand de jeunes officiers de l'armée et des étudiants ont gagné les rues pour exiger du Parlement, dominé par l'oligarchie traditionnelle, le vote des lois sociales jetées aux oubliettes depuis plus de quatre ans. Lois qui devaient garantir de meilleures conditions de vie au peuple chilien.

Ce moment opportun à saisir, dit-il, c'est maintenant. « Il y a des moments uniques qui naissent des dynamiques, des bouillonnements sociaux particuliers et qui sont alimentés par l'extérieur. Et ce sont ces moments précis qu'il faut saisir », a indiqué l'économiste international devant un auditoire très motivé.

Sous les regards approbateurs de son ambassadeur, Marcel Young Debeuf, M. Larrain a rappelé à l'assistance que le Chili de 1924 offrait le même panorama socio-économique que présente Haïti actuellement. Deux tiers de la population étaient des paysans sans terre qui vivaient dans des situations extrêmement difficiles. L'Etat développeur a pris naissance grâce à une prise de conscience collective, une considération générale de la situation d'une grande précarité qui prévalait dans ce pays.

Les expériences de la République de Chili et celles d'autres pays de l'Asie et de l'Amérique du Sud que M. Larrain a partagées avec l'assistance ont retenu particulièrement l'attention et l'intérêt des responsables du CENAREF, notamment de son fondateur, Jacques Edouard Alexis. « Pour un pays comme Haïti, il est important de savoir ce qui se passe ailleurs, d'apprendre des expériences des autres gouvernements tout en tenant compte de notre réalité, du contexte socio-économique et politique dans lequel nous évoluons », a estimé M. Alexis qui semble avoir appris la leçon après deux mandats comme Premier ministre.

L'ex-Premier ministre haïtien, qui donne l'impression d'avoir son avenir politique devant lui, a ajouté que l'initiative du CENAREF en collaboration avec l'ambassade du Chili rentre dans le cadre de la mission d'orientation stratégique de cette technostructure en appui à la classe politique et à la société globale. Le CENAREF, a-t-il fait savoir, se veut un centre de renouvellement et d'incubation des politiques économiques, institutionnelles, sociales, écologiques et autres.

Cet espace de réflexion est ouvert à tous les spécialistes nationaux et internationaux qui voudraient engager des débats, des dialogues visant le développement du pays.
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L'article original est publié ici.
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NDCDP-Économie générale
L'article de M. St-Fleur est trop succinct.
Nous suggérons au CENAREF de rendre public (si possible sur le Web) un document qui résume la conférence.
On pourra alors mieux apprécier le travail de Manuel Riesco Larrain.

Haïti: Le salaire minimum:est-ce un imbroglio?

Par Kathleen Dorsainvil
Source: Le Nouvelliste, 20 juillet 2009


Le concept de salaire minimum est un outil économique utilisé par les économies de marché afin d'assurer un salaire de subsistance aux agents économiques non qualifiés. Il va s'en dire que le montant associé au salaire minimum est destiné à évoluer au cours du temps en fonction des conditions économiques du pays, de l'inflation en particulier.

En Haïti, le salaire minimum a été fixé à 70 gourdes en 2003.L'inflation dans le pays a évolué comme suit depuis 2003:
2003 32,4%
2004 24,3%
2005 15,8%
2006 13,1%
2007 8,2%
2008 19,8%
Source:Institut haïtien de Statistique et d'Informatique IHSI)

Par conséquent, si le salaire minimum avait été ajusté au cours de la période pour tenir compte de l'inflation, il aurait été fixé à 195 gourdes au début de l'année 2009.

La loi Benoit fixant le salaire minimum à 200 gourdes répond donc à un souci d'équité de la part du législatif face aux travailleurs haïtiens non qualifiés, et il convient de le féliciter.

D'un premier coup d'oeil, cet ajustement peut paraître lourd. Le patronat haïtien, le secteur de la sous-traitance en particulier, responsable de l'offre d'emploi, a maintes fois fait savoir qu'il ne pourra pas supporter une telle augmentation.

En pratique économique, cette offre d'emploi artificiellement maintenue à 70 gourdes pendant cinq ans est équivalente à une subvention au secteur concerné par la nation haïtienne au détriment des travailleurs haïtiens non qualifiés. Ce genre de subvention implicite peut se concevoir pour les enterprises en phase d'implantation afin de tenir compte des coûts élevés de démarrage de leur activité. La théorie économique n'est pas unanime, quant à l'efficacité de ce genre de subvention. Elle est unanime pour dire que cette subvention ne doit exister que pendant un laps de temps court, le temps pour les entrepreneurs d'acquérir le "comment faire" du fonctionnement profitable.

Dans les mois à venir, avec ou sans les 200 gourdes, la performance du secteur de la sous-traitance, sa capacité à maintenir les emplois, à profiter pleinement de la loi HOPE, va dépendre de manière cruciale de la demande pour ses produits, demande liée à l'état de la santé de l'économie mondiale, l'économie américaine en particulier, donc du "comment faire" de ce secteur à être profitable.



Par conséquent, celles des entreprises qui ont été en sursis de fonctionnement vont de toute façon se retrouver en situation de péril. Elles auront le choix entre acquérir rapidement le "comment faire" ou devenir des "enterprises lemons". Leur acharnement à faire modifier la loi Benoit n'y changera rien.

L'examen des états financiers par le législatif aura l'avantage unique de mettre au grand jour l'état des lieux de ce secteur de la vie nationale, d'identifier les entreprises "lemons". Il faut espérer que des décisions économiques saines pourront en découler.

Par contre, il convient de faciliter la transition vers l'absence de subvention implicite pour les entreprises profitables, en les aidant à maintenir leur capacité de production. Il convient aussi de répondre au souci du législatif de garantir un certain seuil de subsistance pour les travailleurs haïtiens non qualifiés. C'est dans ce contexte que s'inscrivent les objections de l'executif à la loi Benoit.

Si les ajustements avaient progressé avec le temps, le salaire minimum aurait évolué comme suit:
Gourdes
2004 92,7
2005 115,2
2006 133,4
2007 151
2008 163
2009 195

Le salaire minimum à 200 gourdes apparaît comme un passage obligé.

Une formule raisonnable de transition peut être une augmentation immédiate à 140 gourdes- le salaire médian de la période- et un ajustement final à 200 gourdes à une date à négocier entre les parties concernées, décembre 2009 par exemple.

Ce délai dans l'ajustement pourrait être utilisé par les différents secteurs de la vie économique nationale pour suivre l'évolution de l'économie mondiale, de l'économie haïtienne, d'établir des normes d'accès aux suppléments d'information, de mettre en branle des mesures d'accompagnement destinées à stimuler l'investissement privé, moteur de la croissance, de déterminer les mesures à prendre face aux entreprises 'lemons".

Pour finir, une suggestion au législatif. Il s'est fixé l'objectif d'un salaire minimum uniforme sur tout le territoire national. Pourquoi ne pas envisager la possibilité d'un salaire minimum par départment en fonction du coût de la vie dans chaque région, à établir par l'IHSI? Dans un souci d'équité, une telle mesure serait plus efficiente que d'envisager un salaire minimum différent par secteur.


Kathleen Dorsainvil
Docteur en Economie
Juillet 2009
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L'article original est publié ici.

samedi 18 juillet 2009

Haïti: L'analyse des comptes ne peut pas être statique et concerner une seule année

Par Leslie Péan
Source: Le Nouvelliste, 16 juillet 2009


La polémique autour des 200 gourdes est révélatrice de l'air du temps. Les oligarchies économiques et politiques se donnent la main pour avoir des bas prix sur le dos des travailleurs. Les grands moyens médiatiques sont utilisés pour tenter de gagner l'opinion publique contre la cause des travailleurs. Mais spontanément, ces derniers trouvent des soutiens. Comme l'indique la pétition présentée au parlement le 7 juillet, de nombreux secteurs n'hésitent pas à exprimer leur solidarité avec les ouvriers.

On sait comment l'opacité des bilans d'entreprise est cultivée sous serre. Les scandales autour des falsifications de bilans dans nombre de pays développés comme ceux d'Enron aux Etats-Unis d'Amérique achèvent de rappeler comment ces instruments de mesure de l'activité entrepreneuriale ne sont pas toujours fiables. Les activités hors bilan ont proliféré à un tel point que même la Federal Reserve (la banque centrale américaine) ne peut pas justifier l'utilisation de plus de neuf mille milliards de dollars (soit deux tiers du PIB américain) dépensés depuis septembre 2008 pour voler au secours de diverses institutions privées défaillantes. [1] La Federal Reserve refuse de donner des explications sur l'utilisation de ces fonds et la firme privée Bloomberg a dû lui intenter un procès pour avoir accès aux données de la dite institution quasi-publique. Convoquée à une audition du Congrès américain le 5 mai 2009, Elisabeth Coleman, Inspecteur Général de la Federal Reserve, a reconnu que des milliers de milliards de dollars ne peuvent pas être retrouvés. A l'occasion, le député démocrate Alan Grayson [2] de la Floride qui questionnait Elizabeth Coleman ne cacha pas sa déception devant l'incapacité de l'inspecteur général de répondre à ses questions. Ce n'est donc pas uniquement en Haïti que l'opacité et l'Etat d'exception sont mis en avant pour cacher la réalité. La malice populaire, ne dit-elle pas que chez nous, l'entrepreneur a trois bilans. Le premier est produit pour la Direction Générale des Impôts (DGI), le second est confectionné pour les banques et le troisième, le vrai, est pour l'entrepreneur. En choisissant de se colleter à la demande des parlementaires d'examiner les bilans des entreprises de sous-traitance, le président Préval essaie de sortir du corset que les patrons ont mis autour de sa ceinture et de ne pas immoler les travailleurs sur l'autel du profit sauvage. Le président peut-il se redécouvrir une sensibilité sociale ? L'avenir dira car les patrons d'aujourd'hui semblent avoir perdu la leur.


Quand les patrons de la sous-traitance disaient que le salaire minimum était trop bas

En effet, dans le Rapport des Industries d'Haïti (ADIH) de 1981, les patrons avaient affiché un minimum de responsabilité sociale. Ils avaient fait passer un message de soutien à la classe ouvrière. Certains voulaient même financer la création de syndicats. Les patrons disaient que le salaire minimum était trop bas et qu'il fallait « rendre meilleur le sort des ouvriers ». Les patrons de l'industrie d'assemblage déclaraient qu'il « est aberrant que dans certains quartiers populaires de Port-au-Prince, les familles pauvres aient à dépenser jusqu'à 15% de leur salaire pour acheter de l'eau » (Page 46 de l'étude de l'ADIH de 1981). Ils avaient proposé de « créer, organiser et faire gérer, avec l'aide des pouvoirs publics, des coopératives de vente de produits de première nécessité » et « créer au niveau des entreprises elles-mêmes des comptoirs de vente fonctionnant sans bénéfice aucun pour l'entreprise. » (Page 44).

Le sursaut des patrons ne se cantonnait pas à leurs intérêts immédiats et mesquins. Ils refusaient d'être complaisants et demandaient l'action de l'État pour « augmenter l'investissement dans le secteur agricole, particulièrement par le truchement du budget de développement ». Il ne s'agissait pas d'une recommandation passive. Les patrons enfonçaient le clou en disant qu'il « serait souhaitable d'accorder de façon permanente 30% des dépenses annuelles de l'Etat à ce secteur ». Les patrons se révélaient subversifs pour certains en s'attaquant à la corruption. Ils indiquaient la perspective en déclarant qu'on « devrait aussi veiller à une utilisation rationnelle et totale de ces fonds de façon à obtenir, entre autres résultats, une augmentation réelle de la production des vivres alimentaires, devant aboutir à un effet régulateur des prix de ces produits. » (Page 45).

Enfin, c'est sur la question du salaire de l'ouvrier qu'on peut voir la différence entre les patrons de l'industrie de sous-traitance d'hier et ceux d'aujourd'hui. D'abord, les patrons d'hier posaient la question : « Comment peut-on demander à un ouvrier qui ne vend que sa force de travail d'acheter une patente, qui selon l'article 1er du décret du 25 septembre 1975 sur la patente « est un impôt direct frappant toute personne ...exerçant un commerce, une industrie ou une profession » ? Est-il raisonnable en ce vingtième siècle, que l'ouvrier haïtien soit obligé de verser au fisc 10% de son boni si durement gagné ? » (Page 49).

L'allure de la question comportait sa réponse. En effet, les patrons de la sous-traitance demanderont « la réduction des charges fiscales ouvrières » constituant 9% du salaire que les ouvriers paient à l'Etat sous les rubriques que sont 1) Contribution pour la libération économique 2) Solidarité économique 3) Loterie de Péligre 4) Urbanisme 5) ONA 6) Livret de Travail 7) Patente 8) Carte d'Identité 9) Taxe sur bonus. Les esprits tordus diront que c'était pour avoir la cote auprès des ouvriers que les patrons feront ces demandes. Tant mieux.

Les patrons illustraient leur exercice en relevant que « ces charges fiscales payées intégralement par les ouvriers apparaissent ... démesurées et inutiles, surtout quand on considère que l'ouvrier doit travailler 26 jours par année uniquement pour s'acquitter de ses obligations envers le fisc. Dans beaucoup de pays sous-développés, les ouvriers ne supportent aucune charge fiscale directe. Dans d'autres, les ouvriers ne paient que les charges d'assurance sociale. » (Page 49). Les progressistes ont donc de quoi tenir pour contester le cheminement des uns et des autres aujourd'hui dans le labyrinthe tortueux de l'irrationalité. Les obstacles ne manqueront pas pour ne pas payer aux travailleurs ce qui leur est dû.


Revendication populaire ou populisme

On peut se poser des questions aujourd'hui sur le comportement des patrons dans l'industrie de la sous-traitance qui ont en même temps des ambitions présidentielles. Théoriquement leur intérêt à moyen terme serait de payer les 200 gourdes et d'être le champion de cette cause des travailleurs. Pourtant, ils ont agi autrement. Ils ne comprennent que le court terme et sont prêts à accuser de populisme ceux qui pensent différemment. Il importe de voir clair dans cet entendement qui assimile toute défense des intérêts populaires au populisme. Les dégâts du populisme en Haïti depuis 1804 font que certains s'y réfèrent en toutes les occasions pour tenter de comprendre leur propre réalité. De quoi s'agit-il en fait ?

Le populisme renvoie à une idéologie et à des pratiques politiques qui exploitent honteusement de manière irraisonnée et irrationnelle les émotions et passions populaires. Ce n'est pas le cas ici. La demande pour le salaire minimum de 200 gourdes est justifiable. Elle n'a rien à voir avec le circuit populiste. Pas du tout. La démonstration à partir d'une analyse rationnelle donne des chiffres et argumente du point de vue du salariat. Les salaires peuvent être calculés au centime près. Un patron candidat à la présidence a tout intérêt à revendiquer les 200 gourdes pour ses salariés s'il a comme objectif d'être élu. Il est tout à fait normal qu'il fasse un raisonnement électoraliste. Il n'y a rien de populiste dans une telle démarche.



Cela ne veut pas dire que la critique du populisme n'est pas à l'ordre du jour en Haïti. Cette critique est nécessaire car les fabricants de populisme occupent les avenues du pouvoir et ont déraillé le projet de construire un autre pays depuis 1986. Ils ont de beaux habits et avec leurs atours, la communauté internationale en a fait des présidents. Renouvelant sur de nouvelles bases la politique populacière des Duvalier, le gauchisme chrétien porte une grande responsabilité dans cette dérive populiste qui a pris des formes inédites d'abord avec la propagande contre les partis politiques, puis avec la nébuleuse anti-diaspora et enfin avec l'hystérie anti-intellectuelle profonde. Les résultats concrets de la politique de pagaille ne se comptent plus. D'abord c'est le sabotage de ce qui restait d'institutions (église, armée). Puis c'est la perte de la souveraineté nationale. Enfin c'est l'encanaillement général de la société en mettant aux postes de commande des gens sans préparation, compétences et programmes. Le mépris pour le savoir devient alors la politique officielle. La culture politique du tout voum se do (tout se vaut) prolifère. Cette culture délétère est le registre essentiel de l'orientation populiste qui fait de l'ambigüité son credo politique. On ne saurait s'étonner que sous le manteau d'un retour à l'ordre public, les partisans du statu quo mettent tout en oeuvre pour détourner les justes revendications des travailleurs pour de meilleures conditions de vie. On mesure les effets de ce que Hegel nomme « le patient travail du négatif » aujourd'hui dans la politique économique contre le salaire minimum des 200 gourdes. Le drapeau du peuple est agité pour mieux combattre le peuple.


La façon de connaître

La dénonciation du populisme donne lieu à une confusion sur le terrain des idées. Par exemple, dans le débat sur le salaire minimum des 200 gourdes dans l'industrie de sous-traitance, certains prétendent que seuls ceux qui sont des créateurs d'emplois ont droit à la parole dans ce domaine. Ces gens se trompent et trompent les autres.

Cette façon de voir revient à dire que si on n'est pas tailleur, on ne peut pas reconnaître un pantalon mal cousu. Ou encore si on n'est pas cuisinier, on ne peut pas parler d'un mauvais repas. Ou aussi, si on n'est pas chrétien, on ne peut pas parler de la chrétienté. Et encore, si on n'est pas vodouisant, on n'a pas le droit de parler du vaudou. On pourrait allonger indéfiniment les exemples pour montrer la futilité d'une pareille manière de voir qui se moque du monde.

En prétendant que pour penser un objet quelconque, on doit avoir un rapport immédiat à cet objet, cette forme de pensée nie tout le savoir humain. C'est une manière de voir grotesque et grossière qui prétend qu'on ne peut parler que de ce qu'on a fait.

À ce titre, chaque être humain doit recommencer à zéro. Le transfert de connaissance qu'assume l'instruction à l'école perd sa pertinence. Le rôle de la théorie dans la reproduction est renié. L'apprentissage des autres par et avec les livres est rejeté.

Ce rapport prétendument immédiat à l'objet ou sujet de pensée voulant que seuls les gens pratiquant une activité sont autorisés à en parler prête à rire. Cette manière de voir établit un rapport mécanique entre la pensée et les activités humaines à mille lieux de ce que la réflexion a produit en analyses rationnelles depuis des millénaires.

Une société a besoin de penseurs et d'acteurs. Les deux catégories ne se confondent pas obligatoirement. Il faut combattre le mépris de certains pour les «entèlektyèl».


Les parlementaires doivent rester vigilants.

Les parlementaires ont été invités au palais national le 8 juillet pour discuter des états financiers des entreprises de sous-traitance. Le directeur de la DGI devait se présenter avec les pièces comptables en l'occurrence. La grande surprise est qu'il ne s'est pas présenté. Il avait d'autres chats à fouetter. Les mauvaises langues racontent que le travail de falsification des bilans se serait révélé plus long que prévu et le directeur de la DGI aurait préféré s'absenter en laissant poireauter le président et ses invités. Le directeur aurait expliqué à son patron par la suite que le travail de nettoyage des bilans pour l'occasion prendrait plus de temps. Les mauvaises manières du directeur de la DGI ne peuvent cacher les escroqueries en cours.

L'enthousiasme un peu trop spontané du président Préval, corseté par la propagande des patrons de la sous-traitance, appelle la vigilance des parlementaires. Aucune analyse de bilan sérieuse ne peut se faire en quelques heures. L'analyse des comptes ne peut pas être statique et concerner une seule année. Les comptes doivent être examinés sur une période de trois à cinq années. Pour cela il est recommandé aux parlementaires d'avoir leurs propres consultants en analyse financière pour examiner les bilans au cas où ils leur seraient soumis. Il importe d'analyser la marge brute des entreprises afin de déterminer la partie qui est consommée par les frais financiers. Par exemple, dans tous les cas où ces frais représentent plus de 5% du chiffre d'affaires, il faut une renégociation avec l'institution financière nationale en question pour dégager une partie de la marge financière pour l'augmentation des salaires des travailleurs. Mais aussi, il faut faire une analyse verticale et horizontale des bilans.

L'ordre duvaliériste irréversible

L'aveuglement des élites économiques et politiques dans leur refus du salaire minimum de 200 gourdes pour les travailleurs les plus productifs du pays et leur persistance dans la voie de garage d'une stratégie économique de dépendance vis-à-vis de la communauté internationale ont révélé pour tous ce qui se cachait derrière le brouillard populiste et l'obscurité qui planent sur Haïti depuis la chute du gouvernement des Duvalier en février 1986. Nous pénétrons dans un monde singulier qui, loin de développer sa capacité autonome de pensée et d'analyse, se laisse prendre au piège du modèle de croissance dominé par les exportations (le modèle chinois) associé à celui du développement de la finance spéculative (le modèle des Etats-Unis d'Amérique). Ce modèle qualifié de chimérique par les économistes Moritz Schularick de l'Université Libre de Berlin [3] et Niall Ferguson de l'Université Harvard [4] se caractérise par une nouvelle division internationale du travail dans laquelle la Chine épargne et les Etats-Unis d'Amérique consomment à crédit.

Le taux d'épargne de la Chine est passé de 30% à 45% de son revenu national tandis que celui des Etats-Unis d'Amérique qui était de 5% est passé à zéro en 2005 et est maintenant négatif. En effet, de l'entrée de la Chine communiste à l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC) en 2001 pour arriver à l'année 2008, la dette privée des ménages américains a augmenté plus qu'elle ne l'avait fait au cours des 40 années antérieures. Cette dette privée de 41 mille milliards de dollars en 2009, soit trois fois le PIB américain, constitue l'essence de la crise américaine. Or l'augmentation de cette dette privée est le résultat de la baisse des salaires aux Etats-Unis et de la politique de globalisation sauvage qui tente désespérément de compenser la diminution de la demande locale par le crédit. Le résultat net de cette politique de fuite en avant est le financement de la consommation des ménages américains par la Chine d'une part et la menace des patrons américains de fermer les usines aux Etats-Unis et de les transférer en Asie et dans d'autres pays à bas salaires, si les travailleurs revendiquent des augmentations de salaires. Comme l'explique Robert Reich, ancien Secrétaire d'Etat du Travail sous l'administration Clinton et professeur d'économie à l'Université de Californie à Berkeley, l'essence de la crise actuelle est dans le fait que les salaires aux Etats-Unis sont restés linéaires ou ont diminué pendant trop longtemps. [5] En effet, selon les données du Département du Commerce américain, la portion des salaires dans le revenu national a atteint le niveau le plus bas depuis la crise de 1929 tandis que les profits sont à leur niveau le plus élevé depuis 1950. [6] Les exigences de rentabilité à court terme du capital sont à la base d'un processus d'auto-destruction que l'humanité pensante ne saurait ignorer. Un scénario catastrophe qui se dessine avec les politiques économiques suivies chez nous depuis un demi-siècle. La menace de délocalisation du capital n'est pas particulière à Haïti. Cette menace fait partie de l'arsenal chimérique d'un ordre qui veut remettre en question certains acquis fondamentaux de la civilisation.

Les élites économiques et politiques haïtiennes n'ont pas compris la perspective chimérique. Regardant avec indifférence les grandes tendances de l'économie mondiale, elles n'ont pu accomplir aucune avancée sociétale d'envergure. Elles ont fabriqué du populisme, doublant en 23 ans la dette de 800 millions de dollars que la dictature sanguinaire des Duvalier avait laissée au pays en 1986. Pour faire échec au changement demandé par la population haïtienne, la communauté internationale a opéré comme un magicien son tour de prestidigitation visant à escamoter les priorités économiques du développement agricole et à faire applaudir la promotion des zones franches pour l'industrie de sous-traitance. L'ordre duvaliériste irréversible continue sous un autre habillage. Dans les rêves du populisme sortait la promesse de milliers d'emplois des industries d'assemblage. Mais ce n'était que les oreilles du fondamentalisme de marché qui se montraient avec la privatisation des entreprises publiques pour renforcer l'oligarchie au pouvoir. Pour les travailleurs, la Chance a-t-elle fini de passer ?
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[1] Mark Pittman and Bob Ivry, "U.S. Taxpayers Risk $9.7 Trillion on Bailout Programs", Bloomberg News, February 9, 2009.
[2] "The Federal Reserve can not account for $9 Trillion in Off-Balance Sheet Transactions", Zero Hedge, May 11, 2009.
[3] Niall Ferguson and Moritz Schularick, "Chimerica and the Global Asset Market Boom", International Finance, volume 10, number 3, December 2007. Voir aussi Moritz Schularick, The end of Financial Globalization, January 2009.
[4] Niall Ferguson, Geopolitical Consequences of the Credit Crunch, 30 September 2008.
[5] Robert Reich, Supercapitalism, Vintage, 2007.
[6] Aviva Aron-Dine and Isaac Shapiro, Share of National Income Going To Wages and Salaries at Record Low in 2006, Center on Budget and Policy Priorities, Washington, D.C., March 29, 2007.
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L'article original a été publié au journal Le Nouvelliste et est accessible
ici.
Il a également été publié par AlterPresse sous le titre: Haiti : Les bilans des entreprises de sous-traitance et le salaire minimum des 200 gourdes - L’analyse des comptes ne peut pas être statique et concerner une seule année. Pour y accéder, cliquez ici.
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Mise à jour 18 juillet 14h25

jeudi 9 juillet 2009

De la Chambre des Lords aux « Zorèy Bourik » - Salaire minimum et voies de sortie de l’impasse

Par Frantz Vérella
Source: radiokiskeya.com, 8 juillet 2009

"Vous êtes depuis trop longtemps dans la vie politique, my lord, pour ne pas savoir que ce qu’il y a de plus difficile et de plus long dans la tâche du législateur, c’est de guérir les maux qu’il a fait lui-même. Mais c’est déjà beaucoup pour guérir le mal que de savoir où est sa source. C’est ce que l’étude de l’économie politique apprend". (Alexis de Tocqueville à Lord Radnor)

Il y a quelques jours, j’ai lu avec beaucoup d’attention deux articles de Picard Byron et de Faubert Bolivar amicalement transmis par Rudolph Prudent, mon candidat malheureux aux dernières élections. Les mots me manquent pour exprimer le plaisir que j’ai éprouvé en lisant ces deux articles quoique terrassé par une malaria. Il s’agit en quelque sorte d’un retour aux sources. En effet, cela fait longtemps que je n’ai pas eu la chance de participer à un débat aussi fécond, lié que j’étais par des obligations de réserve qui m’empêchaient de m’exprimer sur certaines affaires publiques. Ces articles proposent ainsi d’éliminer de notre horizon les intermédiaires (ce qui n’est pas nouveau ; Bill Gates la veille au soir du 1er Janvier de l’an 2000 promettait solennellement de faire disparaitre au cours du 21-ième siècle les deux plus grands intermédiaires de la planète : les sociétés de télécoms et les banques). Ce qui par contre est intéressant dans ces deux articles c’est la guerre sans merci livrée contre les groupes de pression, les lobbyistes, la société dite civile, et les économistes.

Après la proposition du parlement d’un salaire minimal à 200 gourdes, les débats controversés autour de ces deux articles (Voir aussi Leslie Péan dans Alter Presse : Salaire et Crise aux USA et en Haïti) m’ont forcé à relire mes notes de cours d’ « économie politique et institutions » pour redécouvrir ce que disaient Mancur Olson de l’Université de Maryland : l’économie « is a not-so-dismal science » , et Michel Rocard de l’Ecole des Ponts et Chaussées que la politique économique est primordiale et qu’une bonne politique économique ne doit pas seulement privilégier la croissance et la stabilité macroéconomique mais aussi prendre en compte les besoins des pauvres et donc faire en sorte que les fruits de la prospérité et de la croissance soient largement partagés dans le cadre d’un développement durable.

Je vais donc prendre le parti pris risqué de défendre l’économie politique contre ses détracteurs à travers ces notes dont l’objet est d’une part de montrer que la science économique ne peut être confondue avec la rationalisation des méthodes et pratiques de groupes sociaux dominants et de l’autre faire partager l’enthousiasme intellectuel que l’on ressent quand on combine de manière harmonieuse l’économique et le politique pour comprendre comment la gouvernance et le mandat des institutions de la puissance publique influent sur les performances de l’économique et en déduire qu’en dernière analyse le débat sur le salaire minimum est avant tout un débat politique. Aussi j’aimerais commencer, avec la première partie, par un examen des idées sur lesquelles repose le modèle de l’économie de l’assemblage pour ensuite expliquer le concept de cout salarial unitaire et ses relations avec le taux de change. Je pourrai alors dans la deuxième partie en déduire les conditions nécessaires propres à attirer l’investissement étranger. Dans la troisième partie, j’analyserai le rôle de l’état et de l’ajustement macroéconomique pour en déduire leurs implications sur la conduite de l’économie et le bien être des citoyens. Enfin, je voudrais terminer en insistant sur le rôle néfaste des groupes de pression dans les états fragiles, les « entités chaotiques ingouvernables » comme Haïti.


1. Le modèle de l’Assemblage

A son accession au pouvoir, Jean Claude Duvalier avait la « noble tache » d’assurer la pérennité politique et donc de faire la révolution économique c’est-à-dire de permettre aux nouvelles élites politiques de s’enrichir dans un climat de terreur en contrôlant l’armée, la milice et l’appareil d’état pour ensuite se transformer en industriel ou commerçant. Mais cette idée rance et ternie est une idée fort ancienne puisque Duraciné Vaval déjà au dix-neuvième siècle écrivait : faire payer à l’état 20,000 dollars pour une bicoque qui ne vaut guère 500 gourdes il n’y a rien de plus haïtien.

Cependant, suspicieux des élites politiques et militaires (l’histoire lui donnera raison en 1986), Jean Claude Duvalier a ainsi préféré transformer ses amis en industriels. Nous sommes très loin de la révolution industrielle en Angleterre. Oui, en 1978, en plein dans la guerre froide où les USA face à la menace communiste soutiennent les dictatures à la Tchang Kaï Check (surnommé à juste titre Cash my Check). Ce soutien aux dictatures passe par l’Alliance pour le Progrès, puis par la formation des Chicago Boys en Amérique Latine (voir à ce sujet le livre de Naomi Klein : « la doctrine du Choc » et le rôle joué par Arnold C. Harberger d’abord à l’Université de Chicago ensuite à l’Université de Californie à Berkeley et à UCLA dans le recrutement de ces élites). Mais, ce soutien passe surtout par la création d’emplois peu qualifiés dans l’assemblage à bas cout d’équipements électroniques militaires dans des pays sûrs (la Corée du Sud, Taiwan et Haïti…) et avec des amis sûrs.

Ce modèle d’accumulation et de reproduction du capital trouve alors en Haïti ces jeunes mais visionnaires économistes libéraux, qui publient les premiers éléments pour comprendre l’industrie de l’assemblage en Haïti. Le modèle fait tache d’huile malgré le haut niveau de risque associé. En effet, plus le risque politique dans un pays est élevé, moins les investisseurs acceptent d’investir dans le long terme, ce d’autant plus que les marchés et institutions pour contrôler et conjurer les risques (assurance, biens contingents…) sont soit incomplets, peu développés ou inexistants dans le pays. L’horizon du dictateur Jean Claude Duvalier étant borné par la perspective d’une crise de succession (puisque démocratie occidentale oblige, il ne peut se faire roi), l’environnement juridique et financier favorise peu les choix risqués et les investissements productifs. Cette constatation oblige alors à penser à un modèle de Flying Industry où l’on peut laisser le pays hôte le plus rapidement possible.

Nous ne sommes pas loin de l’époque où Fei et Ranis, professeurs à l’Université de Yale, répètent à qui veut l’entendre « what is equitable is for the mass to consume as little as possible so that the economy can grow as fast as possible”. Comment alors atteindre ces objectifs dans l’Haïti des années 1980 ? D’abord, on y arrive à travers la destruction de l’économie paysanne (1982) avec l’abattage des cochons créoles (40 pou gwo 20 pou mwayen 10 pou piti). Ensuite, il faut mettre en place des politiques de prix bas surtout à l’attention des couches urbaines défavorisées : des vêtements et équipements ménagers usagers (pèpè) et surtout des politiques de prix produits vivriers bas. On y arrive à travers la contrebande (1984) puis, avec l’ouverture irréfléchie sur l’extérieur (1986), grâce à l’importation massive via l’aide alimentaire et le PL-480 de produits vivriers (« du riz Miami ») et de poulet pèpè mais surtout via des produits de substitution importés (la farine) dont les prix sont étroitement corrélés à ceux du maïs et du sorgho (pitimi). Dans le modèle de Fei et Ranis, le salaire minimum aussi doit être bas 8 gourdes par jour (moins de 2 $ US en 1982) mais pas trop bas car le prix de la journée de travail d’un paysan ou d’un de-moitié à la même période ne dépasse pas 2.50 gourdes. On peut donc encourager la migration vers les villes et faire pression sur l’offre de travail et maintenir ainsi un équilibre stable sur le marché du travail. Les marchés, l’essence du capitalisme libéral sont florissants. « Market is everywhere ». Chaque quartier, chaque carrefour a son marché. La croissance et le développement vont donc suivre si on met en place les bonnes institutions pour développer la libre entreprise et si on se meut un peu pour instaurer la démocratie dans cette nouvelle Haïti qui va devenir la Taïwan des Caraïbes (1987). Tout ceci ressemble à un cours d’Economic 101 ; mais, pourquoi l’investisseur étranger ne s’était pas rué sur l’or en Haïti comme au bon vieux temps du Gold Rush lors de la conquête de l’Ouest américain ?

La réponse est triple : le salaire minimum bas n’est pas ce qui attire un investisseur, il y a marchés et « le marché », l’investissement direct étranger a besoin des garanties d’un système judicaire solide. Premièrement, la décision d’investissement d’un investisseur dans l’assemblage n’est pas tant basée sur un salaire minimum bas. D’ailleurs, si tel était le cas, à 76 gourdes par jour il n’y aurait plus de place dans nos parcs industriels. Cette décision est basée sur plusieurs facteurs : le cout du risque, les délais courts et la réactivité (quick turnaround), le travail qualifié, les économies de proximité, la solidité du système judicaire...Mais, le plus important est le cout salarial unitaire (CSU) qui est le taux salarial divisé par le taux de productivité. Dans ce rapport si le dénominateur, le taux de productivité est élevé peu lui importe la valeur du numérateur le taux salarial, l’investisseur ira dans le pays où ce rapport, le CSU, est le plus faible. Le CSU lui permet donc de comparer entre différents pays le cout en main d’œuvre de la production d’unité de bien. Si par exemple en Chine, le taux salarial est de 2 et le taux de productivité de 10 et en Haïti le taux salarial est de 2 et le taux de productivité de 4, l’investisseur ira en Chine là car là le CSU est le plus faible puisque 2/10 est inférieur à 2/4.

Par ailleurs, le salaire est un contrat et donc son analyse ne peut se limiter au seul coût minimal de reproduction de la force de travail. Si tel était le cas, comment expliquer que le gardien de jour de chez Marnier-Lapostolle dans le Nord gagne moins de 120 gourdes par jour alors que l’ouvrier de l’usine défendu par Batay Ouvryè gagne 400 gourdes par jour de travail pendant que les enfants sur les routes entre Grand Gilles et Dondon ou entre Grande Rivière et Baron écorchent les oranges à l’intérieur de containers pour les écorcheurs des industriels du Grand Nord à moins de 20 gourdes par jour. Non, le salaire n’est pas seulement le cout de reproduction de la force de travail et ne peut être réduit à un minimum physiologique.

De plus, Marx oppose le travail simple au travail complexe défini comme celui où se manifeste une force de travail plus difficile à former. Le travail complexe étant un multiple du travail simple, la valeur d’échange créée par un travailleur qualifié est x fois celle créée pendant le même temps par un travailleur non qualifié ; ce qui oblige l’employeur à dépenser en temps d’apprentissage un cout de formation. Un salaire de base de 200 gourdes dans l’assemblage créerait un déséquilibre marqué entre apprentis et ouvriers confirmés et n’intégrerait pas les couts d’apprentissage. Le salaire minimal à défendre est donc celui associé au travail simple parce que comme on le verra plus loin il intéresse la majorité de la force de travail.

On doit donc en plus étudier le salaire à partir d’un modèle plus global : la théorie des contrats. Ainsi, Bernard Salanié (Cours de l’X, de l’ENSAE et de l’Université de Stanford) part de l’idée qu’un contrat de travail est une relation entre un principal (l’employeur) et un agent (l’employé) où le principal a tout pouvoir de négociation. L’employeur fait face à deux types de problèmes. Le premier est un problème qu’on appelle d’auto-sélection où comme dans l’assurance les assurés sont mieux informés de leur état de santé que l’assureur ; ici, l’employeur ne sait observer à priori si l’individu qu’il engage est un bon ou un mauvais type en clair s’il va avoir une bonne ou une mauvaise productivité. L’employeur doit donc mettre en place un mécanisme révélateur direct pour obliger l’employé à révéler son vrai type à travers un menu de contrats qui intègre dans la proposition salariale les coûts probables d’apprentissage car dans l’assemblage la paie est conditionnée aux résultats et non à la journée de travail.

Le deuxième problème auquel fait face l’employeur est un problème dit d’alea moral (moral hazard). L’action de l’employé (l’agent) étant inobservable par l’employeur, même avec des gardes chiourmes, le principal (l’employeur) va offrir à son employé un contrat incitatif optimal qui arbitre entre :
A) le partage des risques qui suggère que le salaire de l’agent dépende peu du résultat, le principal étant plus à même de supporter les risques que l’agent ;
B) la recherche des incitations qui pousse l’employeur à conditionner le salaire au résultat.

Le salaire optimal doit donc avoir deux parties :
a) une prime fixe qui dépend peu du résultat et permet à l’ouvrier de se reproduire en intégrant les couts d’apprentissage, de protection sociale et de retraite (c’est à celui-ci que doit être attaché le salaire minimum) ;
b) et une prime variable qui incite l’employé à se comporter au mieux de l’intérêt de l’employeur c’est-à-dire être le plus productif possible ; prime qui doit être négociée par secteur à travers des conventions collectives. De plus, 2$ US en Chine et 2$ US en Haïti n’ont donc pas la même signification. L’ouvrier chinois bénéficie d’avantages sociaux (santé et systèmes sanitaires, éducation gratuits ou largement subventionnés). Il n’y a pas de Sogener ou de Haytrac qui vendent l’électricité à 23 ct US le kWh quand il se vend à moins de 12 ct US partout dans le Sud Est Asiatique. Le port de Shanghai est plus efficient que celui du Havre et celui de New York-New Jersey tandis que les multi-principaux gérant celui d’Haïti avec leurs agents de l’APN en ont fait le port le plus cher de la Caraïbe. Un aller simple entre Guandong et Beijing coute moins cher que Port-au-Prince Cayes (100 $ US). Les prix des produits agricoles, tout comme à Cuba, en Colombie ou même en République Dominicaine, sont extrêmement bas. Ces exemples sont la pour dire simplement qu’on ne peut comprendre les différences de salaire dans deux pays sans référence aux niveaux de prix en clair sans une théorie de la parité du pouvoir d’achat. Cette théorie malheureusement postule (loi du prix unique) qu’en régime de libre concurrence et en l’absence d’obstacles aux échanges un Big Mac aurait le même prix sur toute la planète. En fait tout le monde sait qu’il n’en est rien et qu’un sandwich jambon-beurre à qualité égale ne coute pas le même prix à Paris, à Miami, ou à Epi d’Or, Pétion Ville. Pourquoi ? Parce que les déviations par rapport à la parité du pouvoir d’achat (PPA) sont constituées par des changements dans les taux de change réels. Il faut donc dans une négociation sur le salaire minimal l’indexer non seulement sur les variations périodiques du coût de la vie (sur une approximation de l’inflation comme le veut la loi), mais aussi sur le taux de change.
Le taux de change est important mais c’est aussi un mystère ; une anecdote qui va vous en convaincre. Sur la planète As Malis, il y a deux catégories d’humanoïdes les bien-pensants et les objets doués de parole. Le secteur des affaires de cette planète en prévision à un ajustement salarial propose une rencontre au palais avec son Président, son gouvernement, ses parlementaires et les partis politiques pour discuter de la surévaluation de la monnaie nationale : le Zorey Bourik (ZB). L’argument d’autorité des économistes du secteur privé est que la monnaie nationale est surévaluée. Cette idée est combattue brillamment par le gouvernement qui sait (depuis Krugman) qu’il y a surévaluation d’une monnaie lorsque son taux de change fait paraître les biens intérieurs chers par rapport aux biens similaires vendus à l’étranger. En clair, si nous revenons à notre sandwich jambon-beurre une surévaluation de 50% par exemple du « zorey bourik » signifie que le prix en dollar US d’un sandwich sur cette planète est une fois et demie plus élevé que le prix du même sandwich aux USA.

Puisque ceci heurte profondément le gros bon sens même des objets doués de parole, le Président des bien-pensants demande aux différents partis politiques de se prononcer sur la dévaluation ou non du zorey bourik (ZB). Ces messieurs (il n’y a pas de femmes dans les affaires sérieuses sur cette planète ou comme dans les films de karaté du « temple mystique de Shao Lin » quand elles y pénètrent, elles ressortent avec des moustaches), donc ces messieurs en cœur, en cœur avec ces millionnaires en dollars qui demandent un dollar à 60 ZB, des prometteurs d’espoir et de lendemains qui chantent en passant aux socialistes pour arriver aux anti néo libéraux, sont tous d’accord pour dire qu’ils doivent consulter leurs « économistes » et promettent une réponse dans le plus bref délai. L’économie devient comme la finance un commerce de promesses. Comme il se fait tard, qu’il fait nuit tôt sur As Malis et que certains objets doués de parole, (mi-homme, mi-bête) appelés chimères ne dorment pas, le Président à bout de souffle, demande à un Pasteur chef de parti de conclure avec une prière. Celui ci sagement rappelle que comme le pape il n’est infaillible que quand il parle des choses de la religion et que lui aussi il n’avait pas d’idées arrêtées sur la dévaluation ou non du ZB. Il proposa donc à l’auguste assemblée de se lever pour implorer le secours de Dieu et lui demander de nous éclairer à travers une prière sur ce mystère du taux de change. Cela aurait pu se passer en Haïti.


De l’importance des institutions de l’état de droit

J’ai essayé de montrer que le salaire minimum bas n’était pas ce qui attirait le plus les investisseurs étrangers. Je veux montrer maintenant que le concept de marché qui intéresse l’investisseur étranger est spécifique. Dans la ligne des idées véhiculées sur les mérites du marché et du libre échange par les « économistes du béton », le marché se rencontre dans toutes les cultures. Mais, il y a marchés et « marché ». Certains marchés émergent spontanément. On parlera en ce cas de marchés spontanés. Aussi, en laissant Côtes de Fer pour aller à Bainet dans un petit village au bord de la mer près de Maillette, quelques étals à même le sol où se déploient pêle-mêle principalement de l’igname, des haricots, du sel, beaucoup de pitimi, de maïs et de pite. C’est jour de marché et comme tous les vendredis de chaque mois quelques paysans, l’air rêveur, échangent des fois dans ce marché appelé SERADOT des biens non contre de la monnaie mais aussi contre des biens (pite contre pitimi, maïs contre haricots).

En laissant Gris-Gris dans la même commune des Cotes de Fer, visitons un second marché, cette fois, sur la rivière de Bainet à Carrefour Georges. Des sections rurales avoisinantes convergent bétail, légumes, pâtes alimentaires, produits alimentaires divers, produits manufacturés, mais surtout beaucoup de pèpè et de produits dominicains. Dans l’environnement poussiéreux, chaotique, et caillouteux de la ravine devenue sèche de Galette Jamais Vu, acheteurs et vendeurs sont bien ici identifiés. On parle prix. Ce prix peut varier à quelques mètres de distance mais à la longue, la rumeur aidant, et la main invisible d’Adam Smith ajustant, le prix devient uniforme : tout le monde paie le même prix pour un gobelet de pitimi. Ces deux marchés sont des marchés dits spontanés. Ils sont légions en Haïti et dans le monde sous développé et pourtant l’équation magique et incontournable « (market= development) →investment » n’est pas vérifiée.

Pour le comprendre faisons un pas dans l’abstraction et dans le futur : sous le gouvernement de l’Empire , Place Boyer, l’an 2015 Group UN-MARKET. Une grande salle, beaucoup d’ordinateurs et d’écrans. Les marchandises échangées sont virtuelles. Les transactions ne portent pas sur des biens physiques mais transfèrent des droits aux agents comme dans les assurances où ce que l’assureur vend est un contrat c’est à dire la promesse d’une indemnité en cas d’accident contre le paiement d’une prime. Dans cette salle à la place Boyer, on vend et achète toutes sortes de droits : droits à des versements monétaires réguliers et à un remboursement à échéance fixée (OBLIGATIONS), droits de propriété partagés assortis de paiements aléatoires appelés dividendes (ACTIONS), droits d’acheter un produit à un prix fixé à l’avance pour une échéance donnée (FUTURES , OPTIONS : put, call)… Là, on fait de la finance c’est-à-dire un « commerce de promesses » (Pierre Noel Giraud, Cours de l’Ecole des Mines de Paris) car personne ne sait si à l’échéance les engagements vont être respectés. Pour construire pareil marché, dit marché organisé il faut des institutions capables d’une part de conjurer les risques surtout dans ces « temps de turbulences » (Greenspan) et de l’autre de garantir ces contrats et de protéger ces droits car les valeurs promises sont en excès des valeurs réelles (pas vrai Madoff !).

Sous le vocable marché se cachent donc une multitude de marchés différents se référant tous à un lieu, des modalités d’échanges, et une confrontation de vendeurs et d’acheteurs dont les intérêts sont conflictuels. Ils ne fonctionnent pas toujours très bien. Ils peuvent produire trop (de chaos urbain, de congestion ou de déchets plastiques). Ils peuvent produire trop peu (d’investissements dans l’éducation, la santé ou la protection de l’environnement). Mais fondamentalement, le concept de marché qui intéresse l’investisseur étranger est celui de marché organisé socialement construit autour d’institutions solides et capable de s’autoréguler.

J’ai évoqué deux contraintes qui gênent l’investissement étranger. J’en viens maintenant à la troisième et c’est peut être bien plus important car c’est celui qui fait aussi cruellement défaut en Haïti : Il n’y a pas de marchés sans institutions de l’état de droit. En effet, la détérioration croissante du respect de la loi et de l’ordre, et, la montée en puissance de la violence sont devenues en Haïti des sujets d’inquiétude. Elles sont associées principalement au trafic de narcotiques et au crime organisé qui ont reconfiguré le fonctionnement de notre société en criminalisant l’ensemble des rapports sociaux jusqu’à renverser et pervertir la hiérarchie des normes et des valeurs en les intégrant comme un mécanisme normal de mobilité sociale. La prolifération des armes de guerre corollaire immédiat de la privatisation de la sécurité collective à travers les corps privés de sécurité, le laxisme de l’appareil judiciaire, la faiblesse du corps de police et des institutions chargés de faire appliquer la loi, le renouvellement chaque six mois de la MINUSTAH (signal manifeste de l’instabilité dans une entité chaotique ingouvernable) constituent le risque politique majeur qui empêche d’attirer les investisseurs étrangers dans ce pays où près de dix chefs d’état se sont succédés en 20 ans, avec trois à quatre putsch militaires, des élections avortées, boycottées, reportées, mais toujours le plus souvent frauduleuses, et pour couronner tout cela de nombreuses interventions étrangères.

Pour comprendre les multiples causes de cet échec de l’état de droit en Haïti et apprécier l’exacte répercussion sur la conduite des affaires, il faut partir de l’analyse de l’insécurité, car, la sécurité est le premier des droits de l’homme et la garantie de toutes les libertés. Montesquieu écrivait déjà « la liberté consiste dans la sûreté ou du moins dans l’opinion que l’on a de sa sûreté ». Être en sécurité, être sûr signifie que la sûreté individuelle serait garantie par la sécurité publique. La sûreté, signifie donc d’abord que le chef, « il duce », le grand frère renonce au droit de vie ou de mort sur ses sujets et/ou que « les armées indigènes » (ci-devant « cannibales ») rejettent les guerres de gangs, arrêtent d’incendier des tribunaux de paix pour choisir la voie de la pacification de la société en se soumettant à l’arbitrage du droit. Cela signifie que l’on remplace la justice guerrière par la justice de paix. La première fonction de la justice est donc d’assurer la paix sociale, puisqu’en l’absence d’institutions capables d’arbitrer les conflits entre deux parties, la vengeance est l’unique voie laissée à celui qui réclame justice. La justice est donc à la base d’un ordre social durable mais, cela suppose que celui ci ne soit pas inique. Pas de sécurité sans justice sociale. Sans correction des inégalités pas de paix sociale.

Les coûts cachés de cette insécurité régulièrement et périodiquement entretenue sont énormes : protection rapprochée des convois de marchandises, surveillance de nuit des magasins, gardes de corps, alarmes,… Mais, la sécurité est un bien public et sa fourniture pose un certain nombre de problèmes. En effet, chaque membre de la société reçoit une part de ce bien collectif trop faible pour qu’il soit convaincu d’en partager spontanément le coût. La logique contagieuse du passager clandestin (free riding) restreint la production de ce bien public en deçà de l’optimum souhaitable pour la société ; cette production étant nécessairement limitée par le fait que chacun préfère s’abstenir d’y participer tout en espérant y profiter.
Pour nous rappeler que nous n’avions pas d’état de justice, que nous n’aurons pas de consensus démocratique, mais le chaos à répétition , de temps en temps on met en scène la promesse du pire : les foules en furie, les étudiants lançant des pierres, les voitures saccagées, les bulldozers détruisant des commissariats, les incendies de tribunaux de paix, du gaz lacrymogène à gogo : bref l’image de la guerre civile probable pour peu qu’on se laisse aller à la tentation de la confrontation dans des négociations, sans passer par la médiation du prêtre bien aimé, du spécialiste des messages, de celui qui sait discerner le sens dans le bruit du monde et en conséquence démêler ce sens et délivrer la justice pour apaiser par des paroles prophétiques les cris de la populace.

Le problème fondamental aujourd’hui est la perte de confiance de cette populace dans la capacité de la police à lutter contre le trafic de la drogue et la criminalité organisée, • la capacité de cette police à maintenir l’ordre et voire la sécurité routière, • sa capacité à contenir même la petite délinquance. Dès lors, aucun résultat véritable ne pourra être obtenu sans une réforme en profondeur de la police et de l’institution judiciaire. Monopoliser la violence, interdire les justices privées, harmoniser les politiques d’îlotage et de sanctuarisation avec les besoins des populations, rapprocher la police du citoyen avec une couverture maximale du territoire (au moins 18,000 policiers), pacifier les rapports sociaux, empêcher les explosions sociales, apporter une justice distributive minimale : voici comment nous pourrions contribuer à restaurer l’image de la police et attirer des investissements.
Le pouvoir d’État se reflète également dans la définition des droits de propriété, la structure des contrats, et les normes de conduite. Il faudra donc pour attirer les investisseurs réaliser un arbitrage équilibré entre les droits démocratiques, les droits de souveraineté et les droits de propriétés sans qui la portée des transactions commerciales est nécessairement restreinte. Pour que la croissance soit possible, les règles du jeu établies après consensus entre ces trois entités doivent être les plus stables et les plus claires possibles. Le contrat est le moyen par lequel on y arrive. Il faudra donc que tout contrat soit garanti, protégé et qu’il ne soit pas vidé de son contenu par des mesures inappropriées, renforcées par l’incapacité des juges de poursuivre et de punir ceux qui les violent aux yeux de tout le monde. Une définition incomplète des droits de propriété et l’absence de cadastres, de registres fonciers et de tribunaux pour faire respecter ces droits empêchent par exemple une large fraction de la population d’utiliser leurs titres de propriété officiels et leurs actifs comme garantie pour emprunter et investir. Les législations en vigueur ne prennent en compte ni les droits programmes, ni les droits collectifs, ni les droits non justiciables. Les pauvres supportent donc le plus le coût de la carence des institutions judiciaires.

Arbitrer dans des dossiers d’abus de pouvoir de monopole et/ou régler des dossiers de faillite d’entreprises ou de coopératives suppose des juges formés au droit des entreprises, à la comptabilité ou à l’organisation industrielle. Il reste aussi à s’atteler à une définition plus rigoureuse du cadre juridique dans lequel s’inscrit leur action. Cela suppose des droits clairement définis par la loi et des institutions garantes du bon respect des obligations contractuelles : des lois prévoyant les droits des actionnaires et ceux des créanciers, des tribunaux de commerce pour dire ce droit, et des forces de police pour mettre à exécution les décisions de justice. Ensuite, le capital engagé doit pouvoir être récupéré en cas de besoin. Cela suppose l’existence d’un marché secondaire du capital où les actions et les créances pourront être revendues. Sans quoi les projets à longue maturité ne trouveraient jamais de financement.

En plus, du respect des principes traditionnels liés aux pratiques de commerce et aux contrats commerciaux, l’investisseur étranger s’attend à trouver des règles nouvelles tendant à assurer, d’une part, la réalité d’une libre concurrence effective et, d’autre part, la protection des consommateurs. Ces politiques de concurrence, l’investisseur s’attend à les trouver : dans l’import-export, la distribution (riz, huile, sucre, ciment, produits pharmaceutiques, assurance…) les infrastructures en réseaux, et les produits agricoles d’exportation. Or, dans ces marchés, les obstacles à la concurrence sont légions et les organismes chargés de surveiller la libre concurrence effective sont faibles ou inexistants. L’absence de compétition véritable, principalement dans le secteur de l’import-export, constitue pour une large part les causes majeures d’inefficacité sociale et économique. Ce système légué par les Duvalier est dominé par des distorsions de fonctionnement provenant principalement de réseaux de prélèvements arbitraires, d’une fiscalité injuste et des pratiques monopolistes enracinées dans des traditions de flibusteries d’un secteur de l’économie tout entier voué à la contrebande et à l’enchevêtrement d’avantages fiscaux, de subventions, licences et franchises douanières occultes. L’octroi discrétionnaire par l’état d’avantages divers aux membres des partis au pouvoir ou aux industriels proches de ces partis fausse le système des prix. Dès lors, si nous voulons attirer des investisseurs étrangers nous devons faire le choix de la liberté d’entreprendre et mener un combat constant pour restreindre la liberté de privilèges d’une minorité animée d’une aversion naturelle pour la démocratie. Sans une lutte réelle contre les activités génératrices de rentes avec un système judiciaire fiable, nous n’attirerons jamais des vrais investisseurs.

Fort de ces résultats, quelle bataille les partisans de l’équité et de l’efficacité économique devraient –ils mener ?

A l’analyse, d’après la Banque Mondiale, il y a plus de 3 millions d’Haïtiens qui vivent en dessous du seuil minimal de pauvreté absolue et travaillent à moins de 1$ US par jour. Comme quoi d’après la Banque on peut être pauvre, absolument pauvre et passer un certain seuil nous sommes tous morts. La particularité d’Haïti, c’est que ces trois millions d’Haïtiens ont refusé de mourir. C’est à ces gens, à ces exclus, ces « moun an deyò », en dehors de la société, en dehors du pouvoir qu’il faut d’abord assurer un salaire décent, offrir un revenu minimal leur permettant de mieux s’insérer dans la société et du même coup créer une demande intérieure plus importante de biens et services, qui si elle était couplée avec une réforme agraire non dévoyée stimulerait l’économie principalement agricole. Ce salaire d’insertion doit être différencié suivant les secteurs à charge pour le ministère des affaires sociales de débattre avec les différents secteurs (agriculture, pêche, transport, commerce, services, industries de la construction, industries d’assemblage…) de ce minimum minimorum et au gouvernement d’apporter les services sociaux de base (transport, électricité, éducation, santé…) qu’il faudrait offrir à ces couches défavorisées à des prix plus bas.

Comment le gouvernement va-t-il avoir des revenus pour faciliter l’accès à ces services sociaux de base ? Comment le gouvernement et le secteur privé vont-ils créer les emplois productifs et améliorer notre compétitivité ? Après quelques années de réflexion, je crois reconnaître au moins une partie de la bonne réponse. Je ne l’ai pas trouvé uniquement dans les manuels d’économie mais aussi dans les discussions sur le petit mur de la Faculté des Sciences de l’UEH, ou dans les couloirs de la Banque Centrale (BRH). J’en signalerai quatre axes qui me paraissent essentiels.

Premièrement, il faut que la politique économique soit conduite de manière ferme et persévérante. Nos deux derniers ministres des finances l’ont montré. Il faut convaincre les agents économiques que l’avenir est certain, que le progrès est irréversible, le taux d’inflation maitrisé (aujourd’hui nous sommes à moins de 1% d’inflation cette année) et le taux de change stable. C’est comme cela qu’on attire la confiance des investisseurs. Sans une inflation basse, sans un taux de change stable les travailleurs perdent aussi dans une main ce qu’ils reçoivent dans l’autre main. Des augmentations salariales en monnaie de singe, en zorey bourik, ca ne mènent nulle part.

Comment alors éliminer les déficits générateurs d’inflation ? Comme aimait à le répéter un ancien gouverneur de la BRH : « Pa gen mistè lan fè kola ». Il faut augmenter les recettes publiques et donc les « intermédiaires », les industriels ayant des marges importantes doivent s’acquitter correctement de leurs obligations fiscales et surtout payer plus d’impôts sur leur revenu. J’ai vu des fonctionnaires payés trois fois plus d’impôts sur le revenu que la majeure partie des industriels (la DGI pourrait utilement publier les chiffres pour montrer combien les industriels de l’assemblage paient comme impôt sur le revenu). Il faut ensuite engager des politiques qui incitent les institutions internationales à augmenter l’appui budgétaire et à éliminer la dette, objectif que le MEF a atteint en Juin 2009 et donc qui va permettre de négocier une politique de croissance et de développement durable.

Mais, ces ressources additionnelles ne pourront être utilisées pour l’investissement productif si les agents économiques, principalement les commerçants, supposés rationnels en anticipation de cette hausse salariale augmentent les prix ou si le gouvernement est forcé d’ajuster tous les salaires de la fonction publique après les deux hausses successives des deux dernières années. Dès lors, se pose la question de la nécessaire intervention de l’état, de la qualité des dépenses publiques et donc de l’allocation optimale de ressources rares d’une économie anémiée. Ainsi, sans une gestion intègre et responsable, une gestion qui ne se laisse pas entrainer dans des considérations partisanes ou de support à des candidats en campagne, il y aura toujours des déficits budgétaires importants et il n’y aura pas de croissance économique et sans croissance économique il n’y aura pas de développement durable.

Deuxièmement, pour attirer l’investissement direct étranger, une fois les réformes judiciaires réalisées, il faut agir principalement sur la productivité et augmenter la compétitivité du secteur. Ici, il faut améliorer avant tout la productivité des plus démunis en leur facilitant l’accès car « la pauvreté est d’abord et avant tout un dénis d’accès » (Armatya Sen). Cela se traduit par des réseaux de transport sûrs maillant tout le territoire et diminuant les couts de transaction, des réseaux d’électricité fiables, de l’accès au haut débit, des contenus qui facilitent l’accès aux technologiques agricoles, aux soins de santé et aux marchés. Mais surtout combattre l’analphabétisme et mettre en place des instituts et centres techniques principalement dans les métiers liés à la mécanique, l’électronique, et la logistique.

Ici, une brève remarque sur le rôle de l’enseignement technique s’impose car l’innovation est au cœur de toute stratégie gagnante. Dans le secteur du textile et de l’habillement, l’innovation réside dans l’utilisation de tissus ayant des propriétés nouvelles mais également dans les procédés nouveaux comme le patronage informatisé, le prototypage en trois dimensions, etc. Ces mutations nécessitent des compétences nouvelles principalement en conception assistée par ordinateur. Par exemple, de nombreux façonniers engagent désormais des stylistes, des modélistes ou des ingénieurs. La formation devient ainsi un atout stratégique majeur dès lors que les salariés sont capables de conjuguer technicité et adaptabilité au changement. De nombreux industriels à l’étranger ont intégré ce levier de croissance dans leurs stratégies. A titre d’exemple, l’Ecole des Industries Textiles et de l’Habillement du Maroc qui n’a rien avoir avec notre Haïti-Tech forme chaque année plus de 900 étudiants (ouvriers, techniciens ingénieurs) dans les métiers du textile et de l’habillement mais aussi de la logistique et du management et a été financé à plus de 20 millions d’euros par un partenariat privé – public. Sachant qu’ils doivent affronter la compétition mondiale des industriels, hommes et femmes d’affaires de la Bourgeoisie de Santiago versent en dons plus de 2 millions de dollars US chacun chaque année à l’Université Catholique Madre y Maestria et ils veillent comme Membres du Conseil d’administration à la qualité de l’enseignement technique dispensé d’autant que leurs enfants fréquentent cette université. On comprend alors la déception des étudiants de l’Université d’Etat bien entrainés pendant la période de transition aux idées de contrat social et de réformes mais ce qui est plus difficile à accepter c’est cette soumission aveugle à un commandement anonyme, ce refus de dialogue et de négociation avant toute décision, et ce courant torrentiel, irrépressible qui emporte tout sur son passage (même le véhicule du conseil d’administration de la FDS de l’UEH) mais qu’on pourrait aux prix de petits efforts canaliser vers des orientations positives susceptibles de traduction politique plus concrète .

Améliorer la compétitivité du secteur du textile et de l’habillement passe aussi par une intégration verticale plus poussée. L’un des déterminants de l’avantage concurrentiel dans cette industrie est l’existence d’industries en amont et/ou apparentées (carton d’emballage, fils, tissus, designs, accessoires …) organisées en grappes et compétitives. Haïti s’est spécialisée dans le bas de gamme et nos investisseurs locaux n’ont pas la capacité et/ou la volonté de se lancer dans le full-package. Nous accueillons donc les opérateurs dans les segments les plus inefficients et donc où la valeur ajoutée est la plus faible.

Le comportement de marge des entreprises est une autre variable clé dans l’analyse de la compétitivité. En effet, face à des couts de production qui augmentent, l’entreprise peut réduire sa marge de manière que la compétitivité prix soit conservée. A charge donc pour le ministère de l’industrie de nous faire connaître les marges dans le secteur et engager des négociations pour aboutir à un accord cadre privé-public définissant de nouvelles orientations stratégiques pour le secteur Textile-Habillement, dans le but de capitaliser les atouts, surmonter les handicaps, développer des avantages compétitifs durables. Ce nouveau partenariat est d’autant plus nécessaire qu’aujourd’hui ceux sont les facteurs dits complexes (infrastructures haut débit, personnel qualifié…) qui sont à la base de l’avantage concurrentiel.

Troisièmement, la lutte contre la pauvreté ne doit donc pas être conçue comme un simple sous produit de l’ajustement structurel. Nous avons observé et appris que, lorsque le gouvernement prend ces mesures adéquates mais douloureuses pour redresser l’économie, nous risquons de propager des chocs susceptibles de dégénérer en graves tensions. Mais alors, c’est la population de l’Artibonite, des Plaines du Nord ou des Plaines des Cayes, qui souffre, et non pas le gouvernement. Ceux sont les ouvriers des industries de substitutions qui souffrent, et non pas le gouvernement. Ceux sont les classes moyennes du Morne à Tuff qui souffrent et non pas le gouvernement. Quand nous demandons au gouvernement de limiter le déficit fiscal, nous devons savoir que quelques enfants n’auront pas à l’école le midi leur traditionnel bol de « blé et haricots rouges », que des professeurs n’arriveront plus à joindre les deux bouts, que des programmes de soins de santé pour les plus démunis vont être transférés à des ONG et que l’Etat faible risque encore plus de s’affaiblir.

La lutte contre la pauvreté, c’est bien sûr une affaire de stabilité macroéconomique et de croissance optimale sous contraintes d’équité, mais c’est d’abord créer des emplois, accroître la productivité des pauvres, générer des revenus, donner aux gens le pouvoir d’agir ; c’est aussi construire des consensus sociaux et politiques, reconnaître aux femmes leur juste place, éliminer la corruption... Nous devons trouver un juste milieu, c’est à dire trouver des solutions durables reposant sur un arbitrage équilibré entre les réformes souvent radicales qui s’imposent et la protection des intérêts des pauvres car « dans l’ordre de la mesure, le compromis est un milieu mais dans l’ordre de la vertu c’est un sommet ». (Aristote : Les Politiques). Les politiques de stabilisation macroéconomiques des trois (3) dernières années doivent ainsi être prolongées par des politiques de croissance qui privilégient les déterminants du développement de la production (travail, capital (infrastructures en réseaux, infrastructures agricoles, infrastructures pour la protection de l’environnement), capital humain…) mais reposent aussi sur d’autres déterminants plus profonds : l’innovation, la compétitivité, et surtout des institutions adéquates à notre stade de développement (centralisation vs décentralisation, parlement…). Ces politiques devraient en plus dire clairement non seulement comment agir sur ces déterminants mais aussi permettre de comprendre l’alchimie qui permet à la croissance de perdurer et se renouveler.

Enfin, l’état doit assurer les taches pour lesquelles il est le mieux équipé. Nous avons ainsi appris que le gouvernement peut réduire les subventions publiques, s’ouvrir le plus possible sur l’extérieur, mais, s’il ne s’engage pas dans la réforme et le renforcement des institutions, s’il ne combat pas la corruption et n’impose pas des méthodes de bonne gestion des affaires publiques, s’il n’a pas un système juridique excluant l’arbitraire, assurant la sécurité des personnes et des biens, la protection et le respect des contrats, s’il n’engage pas une lutte réelle contre les pouvoirs de monopole, s’il n’engage pas une lutte réelle contre le crime organisé et les activités génératrices de rentes exagérées, s’il n’a pas un système politique favorisant la déconcentration, la décentralisation et la participation à tous les échelons, s’il n’a pas obtenu de consensus politique et social en faveur des réformes, si le peuple n’est pas à l’unisson du gouvernement, si celui ci marginalise les pauvres, s’il marginalise les femmes, si l’équité et la justice sociale restent de vains mots, nous n’aurons pas « la paix lan tête » nous n’aurons pas « la paix nan vant » nous n’aurons pas de stabilité politique, et sans stabilité politique pas d’investissement direct étranger (le moteur de la croissance) et tout l’argent fourni par la communauté internationale sera impuissant à nous assurer le minimum de 5% de croissance du PIB nécessaire pour combattre la pauvreté et offrir des salaires journaliers décents à ces trois millions d’haïtiens qui gagnent aujourd’hui moins de 50 gourdes par jour.

Le rôle néfaste des groupes de pression

Je voudrais en guise de conclusion dire quelques mots sur le rôle néfaste des groupes de pression dans les états dits fragiles comme Haïti.
Aujourd’hui face aux multiples exigences de la population, notre État faible, assiégé par le clientélisme politique et la corruption, a perdu toute capacité d’apporter des réponses satisfaisantes pour que les principes qui constituent les fondements de notre république (liberté, égalité, fraternité, neutralité, légalité) soient respectés. Or, dans notre pays où les relations familiales et personnelles jouent un rôle important, et, où les règles morales et les codes de conduite sont facilement transgressables, il existe, sous une contrainte de probabilité de sanction, un véritable marché des faveurs avec une offre et une demande s’égalisant grâce à des prix implicites pour des échanges de faveurs qui ne sont pas toujours monétisés ou payés au comptant. La corruption a ainsi envahi toutes les avenues tant du privé que de l’administration et prend des formes diverses : contribuables industriels bénéficiant de traitement spécial de la part de l’administration fiscale ; marchés publics attribués de gré à gré, sans le CNMP, où l’entreprise est retenue non parce qu’elle peut fournir la prestation à un coût moindre mais en raison de sa proximité au pouvoir en place ou du montant des pots-de-vin qu’elle a distribués ; contrebande et octroi de licences d’importations, de permis d’exploitation, d’autorisations d’accès ou d’avantages douaniers accordés de manière arbitraire.

Comment alors demander à cet état fragile qui ne peut même pas remplir seul des taches de simple police : d’organiser de façon indépendante des élections, d’assurer le développement économique et social, de réhabiliter l’environnement, de juguler la menace écologique et de combattre le crime transnational quand la société toute entière ne respecte plus les lois et l’une des raisons principales à cela tient au fait que l’Etat fixe des règles et procédures que chacun est incité à enfreindre et que personne n’est incité à dénoncer ? L’Etat miné par la corruption devient de plus en plus un état déliquescent, « une entité chaotique ingouvernable ». Pour contrôler ce chaos, pour défendre leurs intérêts restreints et voter des lois qui renforcent leurs hégémonies, les groupes dominants vont se mobiliser d’autant plus facilement que leur cout d’organisation (à la différence des paysans nombreux et éparpillés) est bas. En effet, dans les petits groupes aux intérêts convergents, l’action collective a plus de chance d’aboutir. Les coûts de transaction y sont plus faibles et, surtout, l’interdépendance y est plus élevée. Dans la mesure où de nombreux groupes sont de grande taille et n’ont pas l’opportunité et les moyens de mobiliser leurs membres à l’aide d’incitations sélectives, ils ne peuvent agir collectivement pour faire triompher leurs intérêts et sont obligés de recourir au seul choix laissé dans les sociétés démocratiques : le vote individuel.

Le pari de la démocratie est que le peuple est suffisamment bien éclairé pour pouvoir choisir ses gouvernants. La diffusion de l’information la plus large et la plus accessible est la condition d’exercice de ce choix. Donc, pour bien voter, il faut être bien informé. Or c’est coûteux dans notre pays d’autant plus que les candidats ne parlent pas et que les posters géants sont chers. Ensuite, pour un individu donné dans une population importante, la probabilité que son vote soit décisif est en effet proche de zéro et donc il en est de même du bénéfice espéré de son action. Aussi, qu’il soit professeur d’université ou chauffeur de taxi, l’électeur-type s’il n’est mu par une conscience politique élevée choisit rationnellement de rester ignorant des affaires publiques en votant avec son pied. Notre démocratie reposant presque exclusivement sur le bulletin de vote, les conditions sont alors réunies pour permettre à des groupes bien organisés et bien informés de se construire un avantage comparatif aux dépens de la masse mal organisée et mal informée. Ils y parviennent d’autant mieux qu’ils ont les moyens pour financer les campagnes de candidats prêts à défendre leurs intérêts mesquins et que leurs représentants excellent dans l’art d’habiller de bons sentiments des intérêts particuliers (par exemple, en invoquant la surévaluation du taux de change pour justifier leur inefficience, ou le nationalisme pour justifier des travaux publics mal faits ou le partage des fréquences sur les marchés Wimax …).

Aujourd’hui, avec l’avancée de la démocratie représentative et l’existence d’un parlement avec une constitution impraticable mais intouchable, ils doivent être capables d’influencer non seulement les choix des électeurs mais aussi et plus tard les décisions des parlementaires. Cela se fait d’abord à travers des élections largement au dessus des capacités de financement de partis politiques où la minorité non corrompue sert de caution morale aux affairistes mafieux infiltrés et manipulés par l’argent sale. Ensuite, leur action se prolonge au parlement à travers des groupes de pression dit de lobbying qui littéralement assiègent les élus du peuple. Mais, face au renchérissement des prix sur le marché des faveurs, et face au cout élevé des campagnes, il faut une stratégie de minimisation des couts. On y parvient avec des candidats de moins en moins sophistiqués et donc dont les couts de cooptation sont les plus bas possible. On peut donc promouvoir des élites de l’ignorance, qu’il faudra plus tard encadrer d’une part avec des conseillers techniques de moins en moins chers et de l’autre avec des confrères élus comme eux au suffrage universel qui leur apprendront les vertus de l’immunité transformée en impunité au grand bénéfice des trafiquants et des contrebandiers capables d’utiliser la menace pour réduire la valeur des pot-de-vin face à des indélicats trop « gourmands ».

Dans cet environnement, il est donc facile pour un lobbyiste d’utiliser des moyens délictueux pour obtenir une décision favorable à son client assortie d’une rémunération qui est facilement partagée avec le parlementaire qu’il a la mission de convaincre. Si toute décision politique peut faire l’objet d’une opération de lobbying, d’une opération de marchandage, dans cet état déliquescent tout devient affaire d’influence et donc affaire d’argent et ceci au détriment d’une responsabilité politique identifiable. Le lobbying devient alors une forme légale d’appropriation de rentes et de ce fait condamnable car elle met en cause la signification même de la démocratie représentative. Je peux donc, dans la fureur de cette actualité si bavarde sur le salaire minimal, terminer avec une réflexion sur la forme que pourrait prendre la lutte contre ces activités de ces groupes mafieux. Il me semble que nous pouvons agir dans trois directions privilégiées. D’abord, il faut aller dans le sens d’une plus grande transparence financière de la vie politique. Les élus ainsi que le gouvernement mais aussi les membres de l’ULCC doivent remettre une déclaration de patrimoine lors de leur prise de fonction et à l’expiration de leur mandat. Ensuite, les dépenses de campagne doivent être plafonnées en fonction du nombre d’habitants de la circonscription et d’un indice de richesse par habitant. Passés un certain montant, les dons des personnes physiques doivent être versés par chèque et les fonds destinés au financement des campagnes et de l’activité quotidienne des partis doivent transiter à travers un mandataire financier qui ouvre un compte bancaire au compte de campagne du candidat. Enfin, la participation des personnes morales au financement des partis et activités politiques, en particulier la participation des entreprises dont l’activité dépend de la passation de marchés publics, constituent une menace pour l’indépendance future des élus car ces personnes morales s’attendent à un retour de l’ascenseur sous une forme ou sous une autre. Dès lors, il faut donner une dimension nouvelle au financement public des partis et groupements politiques ; financement qui devrait être proportionnel aux suffrages obtenus et aux nombres de parlementaires qui déclarent s’y attacher mais qui ne devrait gêner les nouveaux intrants dans l’arène politique.

Ce débat qui se voudrait économique sur le point de savoir s’il faut un salaire minimum indifférencié à deux cents gourdes ou non est donc profondément politique et ne devrait pas nous entrainer dans la tentation de la démagogie, de la surenchère et de la facilité. Il faut donc aller au delà et commencer à poser les vrais problèmes que notre société se refuse à considérer comme prioritaires et parfois abandonne aux seuls « économistes ». Par exemple, souhaiter l’approfondissement de la démocratie sans regarder en face les obstacles qui se dressent aujourd’hui devant elle par l’économie criminelle sans comprendre qu’avant même d’exister cette démocratie est récupérée par les forces mafieuses serait plus qu’une erreur mais une lâcheté. A l’inverse ne pas saisir les opportunités qui s’offrent à nous même à travers des élections contestées, serait le signe que nous avons fait le choix des paroles vides, le choix de laisser ce pays à ceux qui depuis tant d’années en profitent et grugent le peuple.

En particulier, dans ce monde globalisé et agité de si violents soubresauts nous devons avoir le courage d’ouvrir le débat nécessaire : clarifier ce statut de tutelle honteuse qui empêche de trouver une formule nette de prise en main sérieuse du pays ou laisser les Haïtiens prendre en charge leur destin en toute indépendance. Sans jouer avec l’avenir d’une population au chômage et aux abois, le gouvernement et les partis ont une chance historique de profiter de ce débat pour lancer une réflexion profonde sur l’avenir de ce pays ; car, on devra se rendre tôt ou tard à cette évidence pour sortir de l’hypocrisie et se donner les moyens pour parer à de catastrophes humanitaires inédites car vidé de son essence par les mécanismes divers de transnationalisation, livré à la criminalité internationale et à la corruption mondialisée, notre pays ne pourra pas gérer le chaos annoncé, chaos qui ne respectera par les frontières nationales, aura des incidences directes ou indirectes sous forme de flux migratoires incontrôlables, de transit des activités illicites de toute sorte, de fragilisation de l’environnement, de propagation de pandémies majeures et sera une menace permanente pour la sécurité tant interne, que régionale et mondiale. Dès lors, les partisans de l’équité et de l’efficience dans ce pays n’ont qu’une option : faire le choix de la rupture ; en clair, refonder cette nation qui n’a jamais été aussi grande que lorsqu’elle a été elle-même, lorsqu’elle proclamait à la face du monde esclavagiste : liberté ou la mort.

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L'article original est publié ici.

mercredi 8 juillet 2009

Zoellick salue l'engagement du G8 sur la sécurité alimentaire

Source: Reuters
Par Lesley Wroughton, 8 juillet 2009

L'engagement des pays du G8 à investir des milliards de dollars pour la sécurité alimentaire est une bonne nouvelle, a estimé le président de la Banque mondiale, Robert Zoellick, dans un entretien accordé à Reuters.

L'objectif doit être double, ajoute-t-il, insistant sur la nécessité de réduire la faim dans le monde et d'accroître dans le même temps la production agricole globale.

"L'idée de renforcer la sécurité alimentaire pour tous dans le monde en développement, notamment en Afrique, est très bonne", indique-t-il.

Joint par téléphone à Genève, il a précisé qu'un fonds d'investissement agricole, susceptible d'être géré par la Banque mondiale, sera discuté et amélioré lors du sommet du G8, qui s'ouvre ce mercredi en Italie, mais que la décision définitive pourrait n'être prise que fin septembre, lors du prochain sommet du G20 à Pittsburgh, aux Etats-Unis.

Ce projet de fonds, indique-t-il, a été évoqué avec les Etats-Unis, le Canada, l'Italie et le Japon (qui forment le groupe des huit pays les plus industrialisés avec l'Allemagne, la France, la Grande-Bretagne et la Russie).

Selon les versions en circulation de la déclaration finale du sommet de L'Aquila, les chefs d'Etat et de gouvernement du G8 annonceront la mobilisation de plusieurs milliards de dollars sur trois ans en faveur de l'investissement dans l'agriculture.
Les Etats-Unis pourraient débloquer 3 à 4 milliards de dollars. Au total, les engagements s'élèveraient à 15 milliards.

L'an passé, une étude de l'International Food Policy Research Institute a chiffré à 14,3 milliards de dollars les investissements requis chaque année dans le secteur agricole des pays en développement.

L'an passé, la flambée des prix des aliments et les "émeutes de la faim" ont mis en lumière le sous-investissement chronique qui caractérise les agricultures des pays en développement, où les trois quarts des populations pauvres vivent dans des zones rurales.

Alors que la production agricole mondiale suffirait à mettre fin à la faim dans le monde, plus d'un milliard d'habitants de la planète souffrent de malnutrition ou de sous-nutrition, trop pauvres pour acheter des aliments ou privés d'accès.

Version française Henri-Pierre André

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L'article original est publié ici.

samedi 4 juillet 2009

Mesure de la croissance économique d'un pays

Le concept de croissance économique est l'un des plus importants de la théorie économique moderne. Il s'agit d'un concept global qui se mesure essentiellement à partir des grands agrégats de la comptabilité nationale.

La mesure de la croissance économique soit à partir du produit national brut (PIB), soit à partir du revenu national. Pour ce faire, on calcule le taux de variation de l'agrégat à chaque période par rapport à la période précédente.

On distingue la croissance en valeur de la croissance en volume.
La croissance en valeur est évaluée à prix courants, tandis que la croissance en volume est mesurée à prix constants.

Exprimons, pour les fins du raisonnement, la valeur du PIB d'un pays au cours d'une année donnée par l'équation suivante:

PIB = P x Q .......... (1)

Dans cette équation:
  • Q représente la quantité de biens produits au cours de l'année, hormis ceux de consommation intermédiaire;
  • P est le prix moyen de ces biens ou le niveau général des prix.
Supposons que le PIB s'accroît de delta_PIB par rapport à l'année précédente par suite d'une variation des prix, delta_P, et, d'un accroissement de la quantité de biens, delta_Q.

En se basant sur la notion de différentielle totale d'une fonction de deux variables, on peut écrire l'approximation suivante entre l'accroissement du PIB, la variation de P et l'accroissement de Q:

delta_PIB = P x (delta_Q) + Q x (delta_P) .......... (2)

Dans l'équation (2):

  • delta_PIB est la croissance en valeur ou à prix courants;
  • P x delta_Q est la croissance en volume ou à prix constants. Elle est due à l'accroissement de la quantité de biens produits seulement;
  • Q x delta_P est la croissance nominale due à la variation des prix seulement.

En divisant l'équation (2) par l'équation (1), membre à membre, on obtient, après simplification:

(delta_PIB) / PIB = (delta_Q)/ Q + (delta_P) / P .......... (3)

L'équation (3) montre que le taux de croissance en valeur, (delta_PIB)/PIB est égale à la somme du taux de croissance en volume, (delta_Q)/Q et du taux de variation du niveau général des prix, (delta_P)/P.

Les analyses de croissance concernent surtout le taux de croissance en volume, (delta_Q)/Q.

Si la variation de prix est nulle, le taux de croissance en valeur est égal au taux de croissance en volume.

Si la croissance en volume est nulle, le taux de croissance en valeur est égal au taux de variation du niveau général des prix.

En général, (delta_P)/P n'est pas nul. Alors, pour avoir le taux de croissance en volume, on l'isole à partir de l'équation (3):

(delta_Q)/Q = (delta_PIB) / PIB - (delta_P) / P .......... (4)

Le premier terme du second membre de (4), c'est-à-dire, le taux de croissance en valeur, est tiré directement des statistiques de la comptabilité nationale établies à prix courants. Le second terme du second membre de (4) est le taux de variation d'un indice du niveau général des prix.

Remarque.-

L'expression fournie dans l'équation (1) est le PIB nominal pour une période donnée. Pour avoir le PIB réel, on prend l'habitude de diviser le PIB nominal par le niveau des prix:

PIB réel = PIB nominal / niveau des prix .......... (5)

Mais, cette façon de procéder peut poser un problème quand les prix relatifs changent fortement. Le Bureau of Economic Analysis (BEA) américain, pour corriger un peu ce problème, fournit une mesure appelée: "PIB réel avec chaînage des pondérations". Par exemple, si l'on utilise les prix de 1996 comme base et ainsi, le PIB sera mesuré en dollars 1996 chaînés. Si par contre on utilise les prix de 2000 comme base, alors le PIB sera mesuré en dollars 2000 chaînés.

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Dans la préparation de cet article nous avons consulté, entre autres documents:

  1. Stiglitz, J. E. et Walsh, C. E. (2004) "Principes d'économie moderne", 2e édition, De Boeck et Larcier, 982 pages.
  2. Poulon, F. (2008) "Économie générale", 6e édition, Dunod, 336 pages.
  3. BEA: http://www.bea.gov/national/nipaweb/Index.asp
  4. http://en.wikipedia.org/wiki/Gross_domestic_product
  5. http://fr.wikipedia.org/wiki/Produit_int%C3%A9rieur_brut

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