dimanche 21 juin 2009

Poorest in the Caribbean: Haiti in the twentiest century



Il s'agit d'une conférence prononcée par l'économiste Mats Lundahl en 2001.

Vous pourrez télécharger le document pdf en cliquant ici.

Voici le résumé du travail par l'auteur lui-même:

« Haiti is the poorest nation in the Caribbean, scoring low on all three components of the UN Human Development Index. During the nineteenth century, large-scale plantations were replaced by peasant farms in a chaotic rush for property, influencing decades of Haitian politics and leading to an agriculture that spelled its own demise, as land-intensive crops gave way to labor intensive ones that simultaneously caused ever increasing erosion. Together these events set the stage for the income-depressing mechanisms of the twentieth century. The interplay of population growth and soil erosion led to falling per capita income, as food crops were substituted for coffee, the main peasant export crop. Attemps to develop alternative exports met with limited success, including the introduction in the 1990s of light industry, soon complicated by political upheaval. Indeed, the predatory Haitian state has frequently frustrated the country's economic development during the twentieth century, and the three attemps that were made to reform economic policies since the fall of the Duvalier regime in 1986 have all failed as a result. Deficiencies in social capital and the educational system have also contributed to the dismal forecast for Haiti's economic and political future. »


Voici le début du premier et la fin du deuxième paragraphes de la première section du travail intitulée «Some Statistical Facts »:


« Let it be said at once: Haitian statistics have never been good. » «...there are good economic reasons for this to be true. »


Et la dernière phrase de la dernière section intitulée «Conclusions» est:


« It was never easy to be Haitian. »



Voici la table des matière du document de 24 pages:


I. Some Statistical Facts
II. Cerating The Setting: The Nineteenth Century
III. Man vesus Nature: The Process of Soil Destruction
IV. Food versus Export Crops: The Failure to Develop Exports
V. Politics versus Economics: Economic Policy Problems
VI. Government versus Citizens: The Continued Degeneration of Politics
VII. Man vesus Man: The Lack of Social Capital
VIII. Rulers versus Ruled: Education in Haiti
IX. Conclusions
Notes
Bibliography
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Remarque: Ce travail est à rapprocher de celui du Professeur Jared Diamond intitulé «Collapse», traitant d'environnement et contenant le cas d'Haïti parmi les exemples illustrant sa thèse.

Pas besoin d'un autre plan de relance, selon Jean-Claude Trichet

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Jean-Claude Tichet, Président de la Banque Centrale Européenne
Photo:REUTERS/Kacper Pempel, 5 juin 2009
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PARIS (Reuters) - Aucun plan de relance supplémentaire n'est nécessaire pour retrouver la croissance économique en 2010 mais les mesures de la communauté internationale doivent être appliquées rapidement, estime dimanche le président de la Banque centrale européenne (BCE).

Les primes de risques entre banques sont revenues au niveau qui existait avant la faillite de la banque américaine Lehman Brothers le 15 septembre dernier, a ajouté Jean-Claude Trichet sur Europe 1.

Ce retour d'une certaine confiance entre les banques est une preuve que "le marché fonctionne mieux" selon lui.

"L'effort qui a été fait est à la mesure du défi qui nous était lancé. (...) Aucun élément supplémentaire n'est nécessaire."

Jean-Claude Trichet a répété que la reprise se ferait en 2010, "à condition que nous fassions tous ensemble ce qui a été lucidement décidé par la communauté internationale (...) de manière aussi rapide que possible".

Pour le président de la BCE, "le premier trimestre a été très mauvais, mais les trimestres suivants seront moins mauvais, jusqu'à une fin d'année qui devrait nous conduire à peu près à la stabilité en termes d'activité".

"Nous devrions enregistrer la reprise de l'activité positive dans le courant de l'année prochaine", a-t-il répété, précisant qu'il y avait sur le sujet un très large consensus entre les prévisionnistes de la BCE, du Fonds monétaire international (FMI) et de l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économique).

"Beaucoup dépend de l'énergie avec laquelle nous allons mettre en oeuvre ce qui a été décidé", a-t-il conclu.
Clément Guillou, édité par Jean-Stéphane Brosse
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L'article posté ci-dessus provient de Reuters.

samedi 20 juin 2009

Haïti: IV. Vers une économie efficace et solidaire

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Marc L. Bazin (photo: Le Nouvelliste, 19 juin 2009)
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Par Marc L. Bazin
Président du MIDH
Source: Le Nouvelliste, 19 juin 2009


Introduction
Nombre d'experts pensent que Haïti est un cas perdu, un « basket case ». Pour eux, les termes du problème sont simples : Haïti est une petite économie à faible capacité d'importations et une demande intérieure limitée. À ce titre, la stratégie de croissance la plus optimiste ne pourrait se baser que sur des investissements dans trois secteurs : l'agriculture, le tourisme et l'assemblage. Or, à leur avis, tous ces trois secteurs sont également handicapés par une main-d'oeuvre non qualifiée, peu d'infrastructure et l'instabilité politique. D'où il suit que, pour eux, l'idée d'une Haïti lancée sur un rythme de croissance élevée et soutenue est, au mieux, une proposition à très long terme.
Pour une autre catégorie d'experts, ce n'est pas le principe de la croissance qui est en cause ni non plus son calendrier mais sa taille. Quel niveau de croissance Haïti devrait-elle atteindre pour réduire la pauvreté ? Ce deuxième groupe estime que le niveau de croissance nécessaire pour réduire la pauvreté devrait être extrêmement élevé et que ce taux extrêmement élevé n'est tout simplement pas atteignable dans les circonstances actuelles. Plus expéditif encore est M. Lundhal, économiste mondialement reconnu, pour lequel « Parler de croissance dans le court terme serait une entreprise complètement illusoire en Haïti. »


N'y a-t-il pas eu des éclaircies ?
Bien entendu, vis-à-vis de l'un comme de l'autre groupe, nous sommes bien obligés d'admettre que effectivement les faits tendraient à confirmer le pessimisme du diagnostic et que, entre 1961 et 2000 l'économie a été sur une phase de déclin prolongé et de déclin du revenu réel par tête de 1 % par an, lequel s'est traduit par une perte de 45 % du revenu global sur la période.


Mais à cela, nous répondons immédiatement : même pendant cette longue et sombre période, n'y a-t-il pas eu des éclaircies ? Entre 1975-1980, sous l'effet combiné de l'augmentation des prix du café sur le marché mondial, de l'émergence de l'industrie d'assemblage, de l'investissement public dans l'infrastructure et de la relance de la consommation, l'économie haïtienne n'avait-elle pas enregistré une croissance de l'ordre de 5 % par an ? Et si nous admettons volontiers qu'au début des années 80 les politiques de création d'entreprises publiques non rentables, et de protection d'entreprises privées artificielles, ont entravé la croissance, n'est-il pas vrai par ailleurs que des événements extérieurs, tels que la récession aux Etats-Unis d'Amérique de 1981-1983, la chute brutale des cours du café, la fermeture de la mine de bauxite en 1982 et le coup fatal porté au tourisme par l'irruption du VIH/Sida sur notre image, ont joué un rôle négatif et ont contribué à l'interruption du processus de croissance amorcé dans la deuxième moitié des années 70 ?

Bien entendu, le déclin amorcé à partir des années 80 n'a pu que s'accroître à partir des années 90. En effet, entre 1991 et 1994, par suite des embargos, le revenu par tête réel déclinait de 40 %, le taux d'inflation passait de 12 % à 51 %. Les déboursements sur prêts extérieurs étaient arrêtés, et s'accumulaient les arriérés du service de la dette aussi bien au titre des paiements bilatéraux que multilatéraux. Les exportations passaient de $ 224 millions à $ 67 millions en 1994, les importations de $ 532 millions à $ 235 millions, les investissements de 14 % du PIB en 1991 à 6 % en 1994, pendant que le secteur industriel voyait sa production réduite de 50 %.
Le texte qui suit n'est pas on ne sait quel plaidoyer nationaliste pour la croissance ni non plus une liste de recettes qu'il suffirait d'appliquer pour, comme le pigeon de la manche du magicien, faire surgir la croissance. Ce texte est un exposé réaliste, basé sur une longue et concrète expérience des défis, perspectives et complexités de l'économie haïtienne et d'une grande familiarité avec les faits et les idées relatifs au développement tels que ces derniers ont évolué au cours des trois dernières décennies. C'est une période pendant laquelle on a vu des pays naguère considérés comme des basket cases - Ouganda, Rwanda, Botswana, Inde - émerger comme des modèles de développement pendant que le nôtre, qui partait à égalité de chances, s'enfonçait dans le chemin inverse, marqué par le déclin des ressources, l'indifférence des dirigeants et l'irresponsabilité des politiques économiques. Il y a donc matière à réfléchir et à se demander : qu'ont fait ces pays que nous n'avons pas fait ? Ce que nous offrons, c'et donc un cadre, inspiré de diverses politiques et stratégies de croissance qui ont réussi ailleurs et ceci devrait, du moins nous l'espérons, faciliter la tâche à tous ceux, parmi nos dirigeants, qui auraient pour préoccupation première de s'engager pour le bien du peuple et du pays plutôt de s'enrichir à leurs dépens.


Ce texte est en trois temps :
I. Pour une économie efficace
II. Où est passé le « petit garçon » ?
III. Le rapport Collier


I. Pour une économie efficace


La croissance ne tombe pas du ciel. Elle n'est jamais le fait du hasard. Un pays peut se coucher pauvre et se réveiller riche si jamais dans la nuit il trouve du pétrole. Mais une croissance soutenue et de haut niveau ne vient pas en une nuit. Elle est le résultat d'un engagement à long terme convaincu de son élite politique et économique, un engagement qu'elle doit poursuivre, pour reprendre l'expression de Richard Spence, Prix Nobel d'économie, avec « patience, persévérance et pragmatisme ». Quand un pays peut porter la croissance de son économie à un taux de 7 % par an pendant 25 ans, une telle économie double en volume tous les dix ans. Pour être efficace, la politique économique de croissance doit :
1) lever des contraintes politiques
2) accepter des préalables
3) engager des actions spécifiques


1) Lever des contraintes politiques
En matière de croissance, les gouvernements doivent être crédibles, convaincus, compétents et honnêtes. Il leur faut une vision. Cette vision, ils doivent pouvoir la communiquer au peuple et la lui faire partager. Une fois définie la vision, les gouvernements doivent arrêter une stratégie et, pour mettre cette stratégie en pratique, ils doivent disposer d'une fonction publique recrutée au mérite, payée à la performance à l'abri de la corruption, soumise à un système d'évaluation périodique par des consultants indépendants. À l'occasion d'une réunion récente, j'ai entendu un groupe de jeunes se plaindre du Président de la République « qui ne réservait pas des jobs aux jeunes dans l'Administration ». À quoi on peut répondre « vous avez parfaitement le droit de vous plaindre. Mais si vous mettez M. Préval en cause, assurez-vous que vous le faites pour la bonne raison. Car dans une économie de marché, ce n'est pas le Président de la République qui crée des jobs. Ce sont ceux qui entreprennent. Par contre, c'est au Gouvernement qu'il revient de créer les conditions, d'assurer la stabilité économique et de fournir l'environnement dans lequel ceux qui veulent entreprendre - petits, moyens et grands entrepreneurs et secteur informel - acceptent de prendre des risques, d'investir et de créer des emplois dont les jeunes, comme d'autres, profiteront. » Nous allons donc, ne serait-ce que pour les besoins du raisonnement, assumer que les gouvernements en place sont crédibles, convaincus, compétents et honnêtes, et qu'ils s'appuient sur une fonction publique également compétente, convaincue, honnête et déterminée.

Une deuxième contrainte
Une deuxième contrainte que nous allons assumer comme levée est celle de l'instabilité institutionnelle. Pendant longtemps, du moins jusqu'au débarquement de la Minustah et à l'installation de M. Préval à la Présidence, l'instabilité politique a été, et de manière fort légitime, considérée comme un des principaux obstacles à la performance de l'économie. À l'heure actuelle, nombreux sont les observateurs qui tendent à se comporter comme si l'obstacle de l'instabilité politique était définitivement levé et qu'il ne nous resterait plus qu'à nous engager, sans autre préoccupation, sur la voie du développement. Pour notre part, nous considérons que, même si on admet cette hypothèse, il reste un problème de fond qui n'est pas réglé : c'est celui de l'instabilité institutionnelle. Ne pas changer de gouvernement sans arrêt est une chose mais faire fonctionner l'économie à l'intérieur d'un ordre démocratique stable, sécuritaire, ordonné et pluraliste en est une autre. De ce point de vue, il faut bien dire que les élections de 2006, pour pacifiques qu'elles aient été, n'ont pas résolu le problème de l'extrême polarisation du paysage politique ni non plus celui de la nécessaire réconciliation nationale.
À notre avis, la stabilité politique, par quelque critère qu'on la détermine, restera une illusion aussi longtemps qu'un équilibre satisfaisant n'aura pas été établi entre les divers éléments de la classe politique et que le pays continuera à osciller entre ses deux forces extrêmes : ou bien une élite économique et politique qui se servirait du pouvoir uniquement pour maintenir et élargir ses privilèges ou bien des forces populistes qui ne dénonceraient la misère du peuple que pour mieux l'exploiter à des fins politiciennes. Ce compromis-là ne viendra pas de la Minustah mais d'une prise de conscience collective par un leadership national, toutes tendances confondues, également acquis à la démocratie, au progrès économique et à l'amélioration des conditions de vie. À défaut de quoi, il va bien falloir que nous arrivions à nous débrouiller comme nous pouvons, sinon dans un climat d'instabilité politique, mais dans une atmosphère embrouillée d'incertitude institutionnelle, tout aussi paralysante du point de vue des investissements et de la croissance.


2) Accepter des préalables
Le premier préalable est qu'il n'y a pas de croissance pour Haïti en dehors du marché mondial. Avec $ 660 par tête de revenu, notre demande intérieure est faible. Il n'y a donc pas d'autre option valable de croissance que dans l'exportation, les tentatives de la fin des années 70 pour produire pour le marché intérieur, à l'abri de protections, s'étant soldées par des échecs retentissants.
Un second préalable à accepter est que la croissance sera portée par notre main-d'oeuvre, ressource en excédent, et que l'économie, à mesure qu'elle se développe, créera de nouvelles branches de production dans lesquelles la main-d'oeuvre en excédent doit pouvoir s'intégrer rapidement. D'où il suit que la main-d'oeuvre doit être mobile et que sa mobilité ne doit pas être entravée par on ne sait quelle combinaison artificielle qui viserait à fixer la main-d'oeuvre dans l'agriculture au-delà de l'utilité marginale de sa force de travail dans l'agriculture.
Un troisième préalable est que les fondamentalistes du marché doivent se résoudre à admettre que le vieux slogan « stabilisez, privatisez, libéralisez » ne tient plus comme dogme et vérité absolue. Sans doute, sommes-nous bien d'accord que le Gouvernement ne devrait pas se substituer au marché, mais en Haïti davantage encore qu'ailleurs, le marché sans le Gouvernement ne vaut pas grand-chose. À beaucoup d'égards, aujourd'hui, c'est la fuite des gouvernements devant leurs responsabilités à fournir les services, l'infrastructure, la sécurité suffisante et c'est leur refus d'édicter des règles claires de fonctionnement du marché qui entravent l'initiative privée. Certainement le Gouvernement ne devrait-il pas se mettre en tête de faire, à la place du secteur privé, des choses pour lesquelles il n'a aucune qualification mais il ne devrait pas non plus s'abstenir de faire des choses dont la responsabilité lui incombe au premier chef, y compris d'édicter des règles qui facilitent l'action du marché.


3) Engager des actions spécifiques


Les actions spécifiques à prendre sont nombreuses. Nous en avons identifié, au total une dizaine, dont quatre pour le présent article, comme suit :

A. Balayer devant sa porte
B. Intensifier la productivité du capital humain
C. Régénérer l'agriculture
D. Créer une Banque Publique de Développement


A. Balayer devant sa porte
Par balayer devant sa porte, nous entendons, mettre de l'ordre et éliminer toutes les contraintes qui, si elles restaient en état, continueraient d'enlever toute chance de succès à une véritable politique de croissance. Malheureusement, aujourd'hui, ces contraintes sont de taille et nombreuses.
« Pour investir et faire des affaires, Haïti est unanimement considérée comme le dernier pays où mettre le pied ». Ainsi s'exprimait le World Economic Report de 2003-2004 dont l'indice global de compétitivité place Haïti bonne dernière sur une liste de 102 pays, sur la base de plusieurs contraintes à la croissance identifiées comme suit : instabilité politique, infrastructure limitée, accès au financement difficile, bureaucratie inefficace, main-d'oeuvre peu qualifiée. Non seulement Haïti avait, entre 1986-2006, accumulé 15 gouvernements en 20 ans, mais cette instabilité gouvernementale s'était accompagnée de violences, de corruption endémique, d'affaiblissement continu de l'État, de négation de l'état de droit et de violations de droits de propriété. De même, selon Doing Business 2006, enregistrer une propriété prend deux ans (107 jours en République Dominicaine). Pour exporter un produit, en République Dominicaine, 17 jours suffisent. En Haïti, il en faut 58. Pour avoir une entreprise, le capital minimum requis en Haïti représente trois fois le revenu par tête. En République Dominicaine, 1.2. Acheter un terrain et le faire enregistrer prend un temps infini. Quatre-vingt-dix-sept pourcent (97 %) des Haïtiens vivent dans des maisons qui ne sont enregistrées nulle part. De plus, posséder un bien, c'est une chose, en garantir la protection en est une autre. Se voir envahir ses propriétés est toujours un risque. S'agissant de l'indépendance et de l'efficacité du système judiciaire, Haïti en 2004 était classée dernière et avant-dernière. En 2007, l'indice de Liberté Économique de Heritage Foundation classait Haïti comme un pays dans lequel il faut compter 203 jours pour ouvrir une entreprise contre une moyenne mondiale de 48 jours. Telles sont les tracasseries administratives que 68 % des entreprises opèrent en dehors du cadre légal, ce qui pénalise l'emploi formel. À l'échelle de la corruption, Transparency International nous avait, en 2005, classés 155ème sur 159 pays.

Compétitivité pénalisée
Pour ce qui est de l'infrastructure, Global Competitiveness Report nous classe au dernier rang de l'Amérique latine et de la Caraïbe pour ce qui est des performances des services portuaires, de la production et de la distribution de l'énergie électrique, d'où il résulte pour nos entreprises un manque de compétitivité qui pénalise notre production et nos exportations. À peine 5 % des routes sont passables en toutes saisons. L'accès aux marchés ruraux en est contrarié, ce qui fait monter les prix des produits alimentaires, empêche une plus large décentralisation des activités économiques et la création de liens d'échanges entre l'économie urbaine et l'économie rurale. Le port de Port-au-Prince est le plus cher de la Caraïbe au point où certains importateurs préfèrent utiliser les ports de la République Dominicaine. Pour ce qui est de l'électricité, les entreprises ne peuvent fonctionner qu'avec des génératrices privées et coûteuses. L'accès au crédit est limité. En 2005, moins de 1 % de la population (0,16 %) avait un crédit bancaire. Les marges d'intermédiation bancaire sont élevées et le crédit est concentré entre les mains de 10 % d'emprunteurs.
Pour terminer sur le chapitre des contraintes, notons que même ce que nous avons fait de bon ne s'est pas fait dans des conditions qui en garantiraient les résultats. Au plan de la macroéconomie, sans doute la stabilité financière a-t-elle été restaurée, l'inflation réduite, le déficit extérieur en voie de rééquilibrage mais l'absence des mesures d'accompagnement nécessaires au plan institutionnel a jusqu'ici privé la stabilité macroéconomique de tout effet valable sur la croissance. Tous ces obstacles à la performance de l'économie sont de ceux qu'on peut lever en deux temps trois mouvements. Il suffirait d'un minimum de bonne volonté politique et de détermination à lutter contre la corruption. Quant aux désastres naturels, il suffirait d'une sérieuse politique de prévention pour en éviter les pires excès.


B. Intensifier la productivité du capital humain


Pour la majorité des gens, capital signifie un compte en banque, une usine, une route. Une usine est un capital. Elle crée du travail. Elle sert à produire des biens qui sont vendus et rapporteront des bénéfices. Une route est un capital. Elle sert à transporter des biens destinés à augmenter la productivité d'une économie, à gagner du temps, à faire baisser le coût d'entretien des véhicules et à rapporter de l'argent. Investir dans une usine ou dans une route contribue à l'augmentation d'activités d'une économie. Ceci est également vrai pour toute être humain.
Tout être humain est un capital. Investir dans son éducation, sa santé et sa formation professionnelle sont des formes d'investissements en capital en ce sens qu'elles rapportent de l'argent, en ce sens que ces dépenses contribuent à augmenter le revenu et ajoutent à la capacité de l'être humain non seulement à augmenter ses gains personnels mais aussi à contribuer davantage au progrès de la société. Davantage encore. Alors que vous pouvez séparer une usine de son propriétaire, vous ne pouvez pas séparer une personne de son savoir, de sa santé, de son honnêteté, de sa conscience professionnelle. Une personne éduquée transporte son capital avec elle. Partout où elle va, son capital la suit et ses gains en termes de salaires et de productivité augmentent avec son niveau d'éducation où que le destin la mène. Il en est de même pour sa contribution au progrès de l'économie. Des pays comme le Japon, Taiwan et d'autres pays d'Asie n'ont pas de grandes ressources naturelles, particulièrement en matière de sources d'énergie. Si ces pays ont connu un taux de croissance considérable, c'est essentiellement parce qu'ils ont su créer une force de travail à la fois bien formée, capable de travailler bien et vite et sur une longue période.
Capital humain et croissance
Le lien entre le capital humain et la croissance économique a été, à travers l'histoire, abondamment démontré. L'éducation et la formation professionnelle augmentent la production de la main-d'oeuvre, encouragent la mobilité des ressources et se sont révélées, sur la base de l'expérience dans le monde entier, comme la condition fondamentale d'une croissance soutenue. Aucun pays au monde n'a atteint un taux de croissance soutenue (5 % par an) sans avoir atteint au préalable un taux optimum de scolarisation, à quoi s'ajoutent tous les effets bénéfiques de l'éducation primaire, sur la santé, la nutrition, le niveau de fertilité. Et s'il fallait une preuve supplémentaire que l'éducation augmente la croissance, on la trouverait dans le fait que à l'échelle mondiale 90 % des ménages pauvres sont sans éducation. Chez ceux qui avaient bouclé le cycle primaire, la pauvreté est à 45 % et seulement à 25 % chez ceux qui avaient terminé le secondaire.
Avec un taux d'analphabétisme adulte de près de 50 %, 500.000 enfants qui ne fréquentent pas l'école, un système éducatif peu performant, le potentiel d'augmentation de productivité d'Haïti, est limité, ce qui nous condamnera, à la grande irritation de nos voisins, à n'exporter de plus en plus que des braceros et des boat people À l'étranger, ces mêmes Haïtiens ont un niveau de productivité très élevé. Si les Haïtiens avaient, en Haïti, le même niveau de productivité qu'ils ont à l'étranger, leur contribution au développement d'Haïti serait très élevée. À noter au surplus que le système éducatif haïtien enregistre 90.000 professeurs dont 7.000 dans le public, ce qui fait du secteur le plus gros employeur en dehors de l'agriculture. En d'autres termes, investir à long terme dans l'amélioration du capital humain apportera une contribution directe et immédiate à l'emploi et à la croissance.
L'exemple de la République Dominicaine
Pour former le capital humain dont nous avons besoin pour la croissance, il ne suffira pas d'augmenter le taux de scolarisation dans le primaire, d'augmenter le nombre de salles de classe, de mieux former les maîtres, ni même d'améliorer le rendement, encore moins d'assembler des commissions d'experts aussi compétents soient-ils. Ce dont il s'agit, c'est de s'engager dans un processus collectif de réflexion en profondeur de redressement et de réorientation de notre système éducatif pour le mettre en mesure de mieux servir l'homme et la société.
En République Dominicaine, c'est un colloque auquel assistaient 50.000 personnes (public, privé société civile) qui a lancé en 1992 le processus de réforme de l'éducation, lequel s'est fixé cinq axes d'intervention :
1) développer l'innovation et la flexibilité dans le programme ;
2) orienter les investissements dans l'éducation de manière spécifique ;
3) décentralisation du système et participation des communautés ;
4) une formation technique et professionnelle orientée ;
5) relever considérablement le niveau de financement public de l'éducation, à 4 % du PIB, soit 16 % du budget national.
Le résultat est connu : en 2005, le taux d'alphabétisation pour les jeunes de 15 à 24 ans était de 94,2 %. Le taux net de scolarisation dans le primaire est de 88 %. Le taux d'élèves en 5ème année par rapport à la première année est de 86 %. Entre 2002-2005 les taux de scolarisation dans le secondaire avaient doublé passant de 27 % à 53 %. Aujourd'hui 30.000 étudiants haïtiens étudient en République Dominicaine et le taux de croissance de l'économie dominicaine s'est situé à environ 5% par an depuis environ dix ans.
Bien évidemment, nous ne demandons pas que quiconque aille copier le modèle dominicain. Mais dans l'expérience dominicaine, il y a des choses à apprendre. Tous les observateurs sont d'accord que, pour permettre au système scolaire d'atteindre un niveau de performance susceptible d'augmenter le potentiel de productivité des Haïtiens et les mettre en mesure de contribuer à la croissance, il faudrait que sur le moyen terme:
  • l'État double sa contribution par rapport à 2005-2006 en pourcentage du PIB et s'aligne sur la plupart des pays sous développés
  • l'État améliore considérablement sa capacité à définir et à faire observer des normes
  • l'État aide à réduire les coûts de l'éducation et aide les ménages à soutenir les coûts élevés de l'éducation
  • l'État renforce ses liens de coopération avec le secteur privé de l'éducation en matière de planification stratégique, de définition des normes, des objectifs et des procédures.


C. Régénérer l'agriculture

De l'agriculture haïtienne et de ses faiblesses, on a à peu près tout dit et tout dénoncé : une population en augmentation continue sur des terres exiguës et dispersées en unités d'exploitation de plus en plus réduites, faible niveau de productivité, incertitude sur la validité des titres de propriété, absence totale ou inefficacité des systèmes de gestion de l'eau, 93 % de déforestation, arriération des instruments et méthodes de culture, et accès extrêmement limité aux facilités d'infrastructure, de transport et de crédit.

Résultat net : l'indice d'augmentation de productivité totale des facteurs pour l'agriculture haïtienne a été de 0,6 % entre 1961-1980 et 1 % entre 1981-2001 à comparer à 1 et 1,7 % en Afrique et 1,5 et 2,4 % en Amérique latine et dans la Caraïbe. Le bas niveau de productivité est imputable à la fragmentation du sol (80 % des exploitants disposent de moins de 2 ha) le revenu paysan est si faible que le paysan ne peut ni épargner ni investir. L'augmentation de productivité a donc été trop faible et la production agricole n'a pas correspondu au taux d'accroissement de la population (2,2 %), au point où la moitié de la nourriture consommée en Haïti vient de l'étranger, d'où un haut niveau de vulnérabilité alimentaire et une forte pression sur la balance des paiements. La libéralisation sauvage des années 80 et les embargos des années 90 ont décapitalisé le monde rural, réduit considérablement la production de riz et de café et provoqué un exode massif vers Port-au-Prince, ce qui a davantage détérioré les conditions de vie dans les quartiers pauvres, et augmenté leur potentiel de violence et d'instabilité.

Et après, que fait-on ?

Très bien. En fait, très mal. Mais quand on a dit tout cela, la seule vraie question, est : Et alors, qu'est-ce qu'on fait ? On ferme le dossier et on attend les touristes ? Cela ne serait pas sérieux. Oui, mais il reste l'industrie d'assemblage. Bien sûr, mais cela ne suffirait pas. Avec 16 % du PIB, l'industrie n'absorbe que 10 % de l'emploi total. Les libéralisations financières qui accompagnent son expansion coûtent cher. Sa capacité d'intégration à l'économie locale est quasiment nulle. La compétition au plan mondial est serrée. Dans les circonstances actuelles, l'accès au marché américain est limité dans le temps, et la capacité interne d'absorption de l'excédent de main-d'oeuvre agricole par l'industrie est forcément limitée. À quoi s'ajoute la tendance de plus en plus accentuée à la hausse des prix alimentaires sur le marché mondial.

De ce qui précède, il suit que l'agriculture en tout état de cause, et par le fait même des circonstances, est un secteur indispensable de stabilisation et d'équilibre social. Mais il y a mieux. L'agriculture est un partenaire obligé de toute politique de croissance parce que l'agriculture est, par elle-même, un des moteurs de la croissance.

i. Haïti est d'abord et avant tout une économie rurale. Soixante pourcent (60 %) de la population vit en zone rurale. Sur les 4 millions d'indigents que compte le pays, 2,7 millions vivent en zone rurale.

ii. Le secteur agricole compte pour 30 % du PIB, 50 % de l'emploi total et deux tiers (2/3) de l'emploi en zone rurale.

iii. Alors que le secteur agricole n'est protégé ni par des quotas d'importations, ni par des tarifs douaniers, la demande interne de biens alimentaires est élevée et le commerce informel avec la République Dominicaine de café, de mangues et de cacao fait apparaître des ressources annuelles de l'ordre de $13 millions.

iv. Les projets en cours avec l'aide internationale (CIDA dans les Nippes, USAID dans l'agriculture de montagne, FAO à Marmelade) démontrent que l'environnement permet une augmentation de la productivité agricole.

v. Les zones agroécologiques que l'ont peut trouver en Haïti offrent des possibilités de cultures variées susceptibles d'augmentation de productivité et de production, aussi bien pour le marché local que pour les marchés internationaux. Dans chacune de ces zones (bon niveau de pluviométrie, fertilité du sol adéquate, potentiel d'irrigation) il existe des cultures phares ou des associations de cultures avec potentiellement une haute valeur ajoutée qui peuvent être améliorées pour répondre à la demande, locale ou étrangère, aussi bien qu'aux besoins de l'exploitant.

vi. Les perspectives d'augmentation de production de ces cultures et de ces systèmes d'exploitation sont très bonnes d'autant plus que le niveau actuel de technologie est extrêmement bas et que l'exploitant haïtien est un individu qui travaille dur, est créatif et répond bien aux signaux du marché.

vii. Une étude de la Banque Mondiale des systèmes d'exploitation montre que des espaces dans différentes zones agroécologiques ont un potentiel clair pour le développement. Ces espaces comprennent »des zones de montagnes humides, des zones de bas-fond (irrigués et humides) et des zones sèches et semi-arides. Dans chacune de ces zones agroécologiques, ont été identifiées des cultures de pointe avec haute valeur ajoutée qui peuvent répondre à la demande de marché et qui pourraient servir de moteurs de croissance soit seules, soit en association. Et l'étude conclut : « Au moins sur le court et moyen terme, il est important de soutenir le secteur agricole comme un moteur clé de la croissance d'autant que l'agriculture peut produire des effets multiplicateurs pour le reste de l'économie rurale. »

La question de principe peut donc être considérée comme réglée. Il reste des questions en suspens. Quels types d'intervention rendront l'agriculture plus efficace ? Quelles sont les structures : centralisées, décentralisées ? Comment stabiliser l'environnement ? Faudra-t-il instituer un pécule de l'environnement qui inciterait les exploitants à adopter des méthodes de préservation ou de restauration plus soutenables de l'environnement ? Autant de questions que nous laisserons aux spécialistes. Ce qui toutefois nous apparaît comme incontournable dès maintenant, c'est la question de la création d'une Banque Publique de Développement pour le financement de l'agriculture et des petites et moyennes entreprises.



D. Créer une Banque Publique de Développement

À plusieurs reprises au cours des dernières années, j'ai aussi bien dans les publications du Midh que dans des discours publics, recommandé la création d'une Banque Publique de Développement. Dans les milieux où l'idée a fait son chemin, nombreux sont ceux qui se sont frottés les mains, en pensant : « Ah ! Formidable ! Une nouvelle IDAI, qui permettrait à ceux proches du pouvoir de s'accorder des prêts de complaisance qui ne seraient jamais remboursés. » À ceux-là, nous répondons qu'ils ont tort d'espérer. Nous pensons qu'il n'y a pas de défaillances du secteur public bancaire auxquelles de fortes institutions, des professionnels compétents et honnêtes ne puissent parer ou remédier, et il n'y a aucune raison pour qu'une nouvelle banque publique finisse comme l'IDAI.

Ceux qui s'opposent à l'idée de la création d'une banque publique - souvent d'ailleurs par le silence - le font au nom de l'orthodoxie. Comment par ces temps de privatisation fondamentale, penser à monter un système de crédit public ? Ceux-là oublient - ou ne savent pas - que en avril 2004 les banques publiques dominaient le secteur bancaire dans la majorité des populations des pays sous-développés. Nous pourrions en rester là, s'il ne s'agissait que de polémiquer. Mais, dans la perspective d'une politique de croissance, qui est la nôtre, ignorer que l'accès au financement est la clé du processus de développement serait faire preuve d'irresponsabilité. Il n'y a pas de croissance sans investissements. Il n'y a pas d'investissements sans financement. À quel coût, et quelles sont les conséquences du manque d'accès au financement pour l'agriculture et les petites et moyennes entreprises, lesquelles sont les plus grandes créatrices d'emplois, sur la croissance et le développement économique ?

Haïti aujourd'hui est coincée dans un dilemme. D'un côté, le Gouvernement se doit de maintenir la stabilité du secteur financier dans son ensemble, ce qui suppose qu'il établisse des règles qui régissent le comportement des banques y compris des limites sur les types de crédits, les normes de capital et de liquidités. Mais d'un autre côté, on attend du Gouvernement qu'il crée la croissance, ce qui implique qu'il encourage les institutions financières à allouer du crédit aux entreprises productives et, du fait que de tels prêts présentent des risques, le Gouvernement a pour devoir d'équilibrer ces risques par rapport à l'exigence de stabilité à tous les niveaux.

Haïti dans un dilemme

La réconciliation nécessaire entre stabilité, croissance et large accès au crédit est l'un des nombreux défis que le Gouvernement s'est montré incapable de relever. Quand, en 1991, le Président Aristide avait décidé de libéraliser le secteur financier, de libérer les taux d'intérêts sur les prêts et les dépôts, de relâcher tous contrôles sur le crédit et les réserves obligatoires et de jeter la gourde sur le marché parallèle, j'avais dit : « C'est de la folie. Aucune action compensatrice n'est en place. De toutes les mesures de libéralisation, la libéralisation financière est la plus dangereuse. Son impact est vaste et a des répercussions sur tous les secteurs de l'économie. Le secteur est fragile, à la merci non seulement de changements politiques et économiques mais souvent même de perceptions psychologiques. Ne libéralisons pas tous azimuts sans avoir mis en place des garde-fous. » À cette mise en garde rendue publique par un communiqué du Midh, c'est Marie-Laurence Lassègue, qui avait été chargée de nous répondre. Elle l'a fait avec un propos hors sujet par référence à une fumeuse histoire de « carnet » d'où on devait comprendre que seul Aristide, auquel le peuple n'avait pas donné de « carnet », avait encore droit à la parole.

Si on nous avait écoutés, d'une part et en tout premier lieu, le scandale des coopératives ne se serait pas produit. D'autre part, le secteur financier ne finance pas le développement. La libéralisation sans garde-fous du secteur financier a abouti à l'absence de financement à long terme et à limiter l'accès au financement à un petit groupe de grandes entreprises ; 80 % des avoirs bancaires sont détenus par trois grandes banques ; 10 % d'emprunteurs individuels reçoivent environ 80 % du total des prêts. À peu près la moitié des crédits va au commerce et aux services, 1 % seulement va à l'agriculture et aux transports. La situation du secteur bancaire par rapport à la croissance de l'économie n'est pas seulement anormale mais absurde et suicidaire ; l'agriculture est reconnue comme moteur de croissance. Elle représente 30 % du PIB, 50 % de l'emploi total, 2/3 de l'emploi en zone rurale où vivent 2,7 millions de pauvres, et le crédit bancaire à l'agriculture ne représente que 1 % du total des crédits pendant que 45 % des dépôts dans les banques restent inutilisés.

Un secteur financier performant

Un secteur financier performant est une condition sine qua non de la croissance économique. Il a été amplement établi que 50 % de la variation du PIB par tête entre pays s'explique par la variation du crédit au secteur privé par rapport au PIB. Le financement induit la croissance. Les pays avec un secteur financier dynamique augmentent l'activité économique deux fois plus vite que les autres. À mesure que le PIB par tête augmente par suite du développement du secteur financier, les ménages bénéficient d'un revenu plus élevé, consomment et investissent davantage, diversifient leur épargne, et l'accès au crédit leur permet d'acheter des engrais, des semences et d'augmenter leur productivité.

La perspective d'un marché des capitaux restera encore longtemps une vue de l'esprit en Haïti et matière à spéculation pour commentateurs impatients. Le financement extérieur reste toujours une possibilité mais la question du volume, des conditions et de la prévisibilité restera toujours une source d'incertitude.

Mais il y a plus grave. Le plus grave est que les raisons pour lesquelles le crédit bancaire ne va pas à l'agriculture ne sont pas des raisons susceptibles de disparaître du jour au lendemain. Les banques préfèrent - et on les comprend - financer les déficits du Gouvernement, à un taux rémunérateur. Elles se plaignent - toujours à bon droit - de la faiblesse du système judiciaire, de la faiblesse du marché et des infrastructures. Dans quel délai ces problèmes seront-ils résolus ? Et qui peut garantir que, ces problèmes résolus, le secteur bancaire s'ouvrira au financement de la croissance ? On ne peut pas savoir.

La raison pour laquelle nous recommandons la création d'une banque publique de développement n'a donc rien d'idéologique. Ce n'est ni pour limiter le pouvoir économique et politique des banques privées, ni pour le plaisir de contrôler et d'infléchir le secteur bancaire mais pour corriger une défaillance du marché et faciliter l'accès au crédit pour de petites entreprises potentiellement productives lesquelles sont pour l'instant privées de toute possibilité raisonnable de contribuer à la croissance de l'économie.

À suivre
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L'article original peut être trouvé sur le site Web du journal Le Nouvelliste en cliquant ici.

vendredi 19 juin 2009

Salaire minimum : pauvreté et emploi, quels effets ?

Il s'agit d'un article de Franck E. Lafont publié dans le journal Le Matin du 17 juin 2009.

C'est un très bon papier sur le sujet. Il faut le lire.

Pour ce faire, cliquez ici.

vendredi 12 juin 2009

Haïti: Le salaire minimum, d'une rencontre à l'autre

Source: Le Nouvelliste, 12 juin 2009
Par Carlin MICHEL
michelcarlin@yahoo.fr


Les rencontres se multiplient entre le Président de la République, des parlementaires et des membres du secteur patronal sur la loi fixant le salaire minimum à 200 gourdes. Ces derniers disent n'être pas prêts à supporter un salaire minimum au-delà de 125 gourdes.

Le Palais national est, ces derniers jours, comme le siège des tractations sur la loi portant sur le salaire minimum votée au début du mois de mai 2009. Le président René Préval a réuni autour d'une même table des parlementaires et des industriels pour discuter de la portée de cette loi. S'ils ne peuvent pas trouver un accord pour la promulgation de cette loi, ils se mettent cependant d'accord pour ne pas partager avec la presse les informations découlant des discussions entamées depuis jeudi au Palais national.
Les industriels de l'Association des industriels d'Haïti (ADIH) ne sont pas prêts à payer un salaire minimum de 200 gourdes, selon le député de la plate-forme « Lespwa », Patrick Joseph, un des trois députés qui participaient à une rencontre avec des membres du secteur patronal dont Andy Apaid dans un hôtel de la place. « M. Apaid nous a expliqué que même un salaire minimum fixé à 150 gourdes sera catastrophique pour les entrepreneurs du secteur du textile », déclare le député, expliquant que l'ADIH serait favorable à un salaire minimum variant dans la fourchette de 120 à 125 gourdes. Dans les documents remis aux parlementaires, les hommes d'affaires font savoir qu'ils seront dans l'incapacité la plus totale de respecter un salaire minimum fixé à 200 gourdes.
Plusieurs discussions déjà échouées
Le président de l'ADIH, Georges Sassine, n'étant pas dans le pays, députés et industriels n'ont donc pas pu s'entretenir mercredi dernier sur le salaire minimum, après qu'une invitation eut été adressée à l'ADIH par le député Steven Benoît. Toutefois, une délégation de l'ADIH est disposée à rencontrer le député Steven Benoît pour une présentation préliminaire de sa position avant l'arrivée de M. Sassine. Ce que M. Benoît a tout bonnement rejeté.
« J'attends le président de l'ADIH pour la tenue de cette rencontre. Nous sommes à quelques jours de l'expiration du délai constitutionnel pour que le président formule ses objections sur cette loi, sinon il sera dans l'obligation de la promulguer », a souligné le député de Pétion-Ville. Il a rappelé les cinq documents que les industriels de l'ADIH doivent apporter à la rencontre notamment une liste des mesures d'accompagnement qu'ils souhaitent obtenir, une liste des vingt-six entreprises membres de l'ADIH ainsi que le nom du gérant responsable de chacune d'elles, l'état financier de chacune des entreprises composant cette association.
Le vendredi 5 juin dernier, pendant que les étudiants de plusieurs facultés de l'Université d'Etat d'Haïti manifestaient violemment dans les parages du Champ-de-Mars pour réclamer la promulgation de la loi sur le salaire minimum, le président de la République, René Préval, et des parlementaires réunis au Palais national n'avaient pas pu faire mieux. « Cette rencontre ne pourrait apporter rien de sérieux. Le président ne peut que promulguer la loi ou utiliser son droit d'objection », a déclaré le député Jean Marcel Lumérand en marge de cette rencontre.
Le président René Préval, tout au long de cette rencontre, selon les propos du député Guy Gérard Georges, a fait montre de ses préoccupations qu'un salaire minimum de 200 gourdes n'occasionnerait pas des pertes massives d'emplois.
Laissés en compagnie des conseillers techniques du Président pour leur expliquer les conséquences néfastes de cette loi sur le pays, les députés et les sénateurs ont avoué n'être pas convaincus des arguments avancés par l'Exécutif. « Le président n'exerce pas de leadership, il s'est caché derrière le secteur patronal et laisse ce secteur faire le jeu », a fulminé le sénateur Youri Latortue.
Vendredi 19 juin au plus tard, le Président de la République devra indubitablement faire valoir ses objections ou promulguer la loi en l'état. Selon des sources présidentielles, « si une entente n'est pas trouvée, avant l'expiration du délai constitutionnel, entre parlementaires et industriels, le président utilisera, de plein droit, son droit d'objection ».
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jeudi 4 juin 2009

Haïti / Salaire minimum: que dit la science économique ?

Le salaire minimum fixe un seuil au-dessous duquel ne peuvent se situées les sommes que les employeurs doivent payer les travailleurs d’un pays donné.

Même les économistes les plus éminents sont divisés sur cette question.

Gary Becker, Prix Nobel affirme : « Laissez filer le salaire minimum et vous mettrez les gens au chômage.»

D’autres Prix Nobel ont une opinion contraire: « Nous pensons que le salaire minimum fédéral (aux USA) peut être augmenté modérément sans menacer de façon notable les possibilités d’emploi.»

Un ancien conseiller économique du Président Clinton, Alan Blinder écrivait dans le New York Times du 23 mai 1996: « Les gens qui perçoivent les salaires les plus bas souffrent depuis plusieurs années. Ils ont besoin de toute l’aide possible et très vite. Environ 40% des salariés percevant le salaire minimum sont le seul membre de la famille qui rapporte un revenu et environ les deux tiers des adolescents gagnant le salaire minimum vivent dans des familles ayant un revenu inférieur à la moyenne. Franchement, je ne sais pas si une augmentation modeste du salaire minimum diminuerait ou non l’emploi. Si c’était le cas, l’effet serait vraisemblablement très faible.»

Alors comment voulez-vous que des non spécialistes puissent se faire une juste idée de ces questions si les experts ne s’entendent pas ?

Samuelson et Nordhaus (2005) affirment qu’une analyse faite de sang froid indique que la controverse sur le salaire minimum est d’abord due à des questions d’interprétation et non à des désaccords fondamentaux quant aux résultats empiriques.


A) Salaire minimum et marché de concurrence.-
Commençons par analyser la Figure 1.


Figure 1

Cette figure décrit le marché de la main-d’œuvre non qualifié. Elle illustre la manière dont un salaire minimum établit un niveau plancher pour les emplois.

Sur un marché de concurrence la demande d’un facteur est une fonction décroissante : si le prix du facteur augmente, la quantité de facteur diminue. Cette règle est d’une grande importance sur le marché du travail.

En situation de concurrence sur le marché du travail, dans son entier ou par segment, une augmentation du salaire, ceteris paribus, entraînera une réduction du volume de l’emploi.

Toujours dans le cas de la Figure 1, l’offre globale (OO’) et la demande globale (D’D) aboutissent au salaire w0 qui équilibre le marché au point A. Le volume d’emploi à l’équilibre est L0.

Supposons que l’État décide de fixer le salaire minimum à (w1), une valeur supérieure au salaire d’équilibre du marché ( w1 supérieur à w0 ). La fixation du salaire minimum à (w1) revient à remplacer la courbe de l’offre (OO’) par la ligne brisée (w1 JO’). L’équilibre du marché de l’emploi n’est plus au point A ; il se déplace au point B, intersection de (w1 JO’) et de (D’D).
L’emploi diminuera donc de L0 à L1. L’imposition d’un salaire minimum entraîne une diminution de l’emploi.

Pour le salaire w0 la quantité de travail offerte correspond à l’abscisse du point J, tandis que la quantité de travail demandée s’établit au point B. La différence entre les abscisses de J et de B correspond alors au niveau de chômage. Il y aura donc une augmentation du chômage et une diminution de l’emploi des travailleurs non qualifiés.

L’ampleur de ces mouvements dépendra de l’élasticité-prix de la demande de travail, c’est-à-dire de la mesure de la sensibilité des variations relatives de la quantité de travail demandée aux variations relatives du prix. L’effet de ces mouvements sur le salaire des travailleurs à faible revenu peut être anticipé en analysant les données empiriques disponibles dans le milieu considéré.

Le passage de w0 à w1 pourrait-il se faire sans perte d’emploi ?

La réponse peut-être oui. Pour qu’il n’y ait pas de diminution d'emploi, il faudrait que la courbe de demande (D’D) se déplace vers le haut, comme l’illustre la Figure 2, pour s’établir en (D’1 D1), coupant ainsi la courbe de l’offre (w1 JO’) au point C d’abscisse L0. Mais un tel déplacement de la courbe de demande (D’D) ne pourrait se faire que si le prix des biens produits par les travailleurs augmentait (ce qui déplacerait vers le haut la courbe des valeurs de productivité marginale) et/ou s’il y avait des gains de productivité. À ce sujet, voir par exemple Gauthier et Leroux (1981).

Toutes choses étant égales par ailleurs, l’augmentation du salaire minimum ne se traduirait pas par une diminution de l’emploi si elle était accompagnée de gains de productivité.
*

Figure 2
*
La situation que nous avons considérée ci-dessus est une situation de concurrence imparfaite, dans laquelle il n’y a qu’un seul employeur qui transige avec une offre de main-d’œuvre non-syndiquée. Tout le pouvoir est alors du côté de l’employeur, celui-ci, appliquant le critère de maximisation du profit.



B) Salaire minimum, syndicat et concurrence imparfaite.-

Considérons maintenant le cas où la main-d’œuvre est organisée, c’est-à-dire, protégé par un syndicat, par exemple. La présence du syndicat va changer la dynamique de fixation du prix, comme on va le voir à l’aide de la Figure 3.
Figure 3
Le syndicat peut faire augmenter le salaire sans réduction de l’emploi. Pour cela, il n’accepte pas d’offrir du travail pour un salaire inférieur à w1.

La courbe d’offre (OO’) est remplacée par la ligne brisée, (w1JO’), qui représente aussi la dépense moyenne en travail de l’employeur. Et la dépense marginale est alors définie par l’ensemble des deux lignes (w1J) et (KM).

Pour maximiser son profit, l’employeur est obligé de se positionner au point A, intersection de la ligne brisée précédente (la nouvelle ligne de dépense marginale) et de la ligne de recette marginale factorielle (RmF). Dans ce cas, il emploie L0, mais au salaire w1.

On constate que w1 constitue le salaire minimum le plus élevé que le syndicat peut exiger sans causer une diminution de l’emploi.

D’autre part, soit le niveau de salaire w2, compris entre w0 et w1 et associé à l’intersection de la ligne d’offre initiale (OO’) et de la ligne de recette marginale factorielle. Si le syndicat n’accepte pas d’offrir de l’emploi au-dessous de w12, alors la courbe d’offre devient (w2BO’), tandis que la ligne de dépense marginale de l’employeur est formée des deux segments (w2B) et (SM). Pour maximiser son profit, l’employeur est alors contraint d’utiliser L2, payé au salaire w2. Le syndicat a donc une marge de négaciation: il peut négocier un salaire minimum compris entre w2 et w1, ce qui maintiendra le niveau d’emploi entre L2 et L0.


C) Définition de quelques termes

Fonction de production : Q=f(K,L)

K : facteur Capital
L : facteur Travail

Productivité totale : PTL = f(K=K0, L) ; K0 = valeur fixée de K ; L seule varie.
Productivité marginale physique : PmPL, dérivée de la productivité totale par rapport à L.

Recette totale factorielle (RTFL) : liaison fonctionnelle entre les rentrées monétaires de l’entreprise et les quantités de facteur variables utilisées : RTFL = g(L).

On a toujours : RTFL = PQ . PTL ; PQ étant le prix du bien sur le marché.

Recette marginale factorielle (RmFL) : mesure la contribution additionnelle à la recette totale due à l’utilisation d’une unité supplémentaire de facteur:
RmFL = p(L) = d(RTFL) / dL.

On peut montrer que : RmFL = RmQ . PmPL; RmQ étant la recette marginale sur le marché du bien.

Valeur de la productivité marginale d’un facteur (VPmPL ): produit de la productivité marginale physique du facteur variable (PmPL) par le prix du bien (PQ) :
VPmPL = PQ . PmPL .


Dépense totale factorielle (DTFLK0) : une fonction des quantités utilisées des facteurs fixe et variable décrivant les déboursés dus à la production : DTFLK0 = h(L, K=K0).

On a : DTFLK0 = PL . L + PK . K0.

Dépense fixe factorielle (DFFLK0) : c’est la quantité PK . K0.

Dépense variable factorielle (DVFL) : une liaison fonctionnelle entre les déboursés de l’entreprise sur le facteur variable et les quantités utilisées du facteur variable :

DVFL = q(L) = PL . L.

Dépense marginale factorielle (DmFL) : une fonction des quantités de facteur variable. Elle exprime l’évolution du déboursé additionnel lié à l’utilisation de facteur:

DmFL = s(L) = d(DFLK0) / dL.

Règle générale : L’entreprise qui veut maximiser ses profits (ou minimiser ses pertes) doit utiliser une quantité de facteur variable telle que la dépense marginale factorielle soit égale à la recette marginale factorielle :

DmFL = RmFL.
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Dans la rédaction de ce texte les ouvrages suivants ont été consultés:
1.- Samuelson et Nordhaus, Économie, 18e édition , Economica, 2005
2.- Gauthier et Leroux, Microéconomie, théorie et applications, Gaëtan Morin, éditeur (1981)
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Mise à jour du 6 juin 2009:
En zappant entre les journaux d'Haïti, nous avons trouvé aujourd'hui un aricle sur le sujet.
Il date du 29 mai 2009. Cliquez sur le lien suivant pour le lire:
//Haïti: Quelques remarques sur le salaire minimum
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mardi 2 juin 2009

How Canada can help Haiti to help itself

Source: The Globe and Mail, Monday, Jun. 01, 2009 07:09AM EDT


By Paul Collier

Our aid program should focus on meeting new infrastructure priorities in the country.


In 2008, three decades of unprecedented global prosperity came to an abrupt end. During this period, countries such as China and India rose out of poverty and moved into the rich world. But others, with a population of more than one billion inhabitants, stagnated.


The central challenge of foreign aid is clearly lifting this bottom billion out of poverty - the countries that missed out on development.


The Canadian opportunity to assist this effort lies in Haiti, where Canada is the second-largest aid donor, and which is a classic country of the bottom billion. What's more, much of the heavy lifting has already been done - the Brazilians have provided 9,000 peacekeepers, ensuring stability, and the Americans have provided Haitian exporters privileged market access, opening new economic opportunities.


The government of Haiti has recently decided to seize this rare chance to create jobs by attracting foreign firms into light manufacturing. The key bottleneck to this effort is infrastructure, without which firms cannot produce competitively.


Is private finance queuing up to provide this infrastructure? No, it is looking to public agencies to provide the necessary finance and guarantees that would make the remaining risks acceptable. To do so, they need immediate outside financial support. They need strategic aid. And here is where Canadian aid can play an immediate, tangible role.


Bureaucracies hate change and are good at avoiding it. But either the Canadian aid program is speedily refocused to meet the new infrastructure priorities of the country it is intended to assist, or it is business as usual disguised by a fog of well-meaning words.


There is a simple reason why aid matters for fragile, impoverished countries: They are extremely short of capital, and private finance is reluctant to take the risks. During the 1990s, the World Bank scaled back lending on infrastructure in Africa on the expectation that private finance would fill the gap. Instead it was filled by the government of China on contractual terms that were opaque and potentially disadvantageous. On three different measures the rate of return on private investment shows up as being higher in Africa than any other region of the world, yet even at the height of the global boom private capital inflows were modest. Now is the time for public capital.


The case of Canada in Haiti provides an ideal example of the modest but serious role that foreign aid can play. Put simply, it is to reinforce positive local forces for change.


It has happened before. In the aftermath of the Second World War much of Europe was in ruins, economically and politically fragile. Thankfully, the American and Canadian governments did not say to Europe, “Good luck, you're on your own, just use the capital markets.” They used the full range of policies. Trade policy was used to open North American markets to European exports. Security policy was used to stabilize the peace. Governance standards were set to help Europe to avoid populism and autocracy. And yes, aid was recognized to be part of the solution.


There is no doubt that aid as it has been organized to date has fallen far short of its potential and has sometimes done real harm. Until the end of the Cold War aid was basically geopolitical so nothing much could be expected. Since then it has been in a learning phase during which big mistakes have been made. Donors have been too prescriptive in trying to set policies, and too pusillanimous in not insisting on clean governance. In the aid-giving countries citizen understanding has been so limited that aid policy has sometimes been the plaything of political gestures. But now is not the time to declare failure; it is the time to get serious, and get it right.
Coinciding with the recently announced reforms to the government's development policy, now would also be an ideal time to start a wider conversation about the role and future of Canadian aid.


As critics are quick to point out, we need to recognize past failures in foreign aid. But this is not a reason to declare the whole idea a failure, but to instead recognize that aid needs to become radically more strategic. Canada, in Haiti, has an opportunity to do just that.
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Paul Collier is professor of economics at Oxford University and author of The Bottom Billion: Why the Poorest Countries are Failing and What Can Be Done About It.
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//The Globe&Mail
http://www.theglobeandmail.com/news/opinions/how-canada-can-help-haiti-to-help-itself/article1160675/
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